Lucas Méthé est un jeune auteur de bande dessinée. Il a publié deux albums chez deux des principaux éditeurs de bande dessinée d'auteurs,
Ça va aller, chez Ego comme X en 2005, et
Mon mignon, laisse-moi te claquer les fesses à l'Association en 2009 ; un album est prévu en 2010 chez Ego comme X. Il faut ajouter à cette bibliographie des albums en collaboration et des fanzines chez Terre Noire, ainsi que récits dans plusieurs numéros de la revue de
Lapin et un texte brillant dans le troisième numéro de la revue
Éprouvette.
Je n'ai lu que les deux premiers albums cité ci-dessus. Ils ont un certain nombre de points communs : tout d'abord ils ne paient pas de mine ; sous des dehors très simples, ils sont beaucoup plus profonds qu'une lecture rapide peut le laisser penser.
Le premier relate les amours contrariées d'un jeune Lucas, ancien étudiant aux beaux arts, maintenant sans travail fixe, qui évolue au milieu d'autres jeunes artistes, entre spleen et expositions. Encore un ex étudiant des beaux arts qui raconte nombrilistement son quotidien le plus banal, me direz-vous ? En apparence, oui ; mais cet album explore beaucoup plus en profondeur les hésitations, les relations, les évolutions des différents personnages que ne le font la plupart des albums 'indé' abordant des sujets similaires. Le choix des scènes, les ellipses entre celles-ci, les cadrages étudiés, parfois décentrés par rapport aux personnages, permettent à l'auteur de relater cette (non)histoire toute simple avec une subtilité rare.
Le deuxième album précité est une succession de saynètes (souvent de 3 cases, quelquefois moins, parfois plus) mettant en scène deux enfants de 7 ans, Sébastien (le "mignon" du titre) et Caroline. Cet album ne ressemble à rien de ce que je connais et, de ce fait, est parfois déstabilisant. Ces deux enfants parlent, pas tout à fait comme des enfants, d'amour et d'amitié, d'évolution personnelle et de fidélité à soi-même ; ils se battent, jouent et rêvent, grimpent aux arbres et se perdent au fond d'eux-mêmes. Le tout intrigue, fait réfléchir ou sourire. Une fois l'album refermé, on n'est pas sûr d'avoir compris où l'auteur voulait nous emmener mais on a l'impression d'avoir vécu une expérience inhabituelle...
J'ai qualifié Lucas Méthé d'auteur "exigeant" dans le titre de ce message. Cela se voit dans les deux albums évoqués plus haut ; mais c'est particulièrement apparent dans "noyer la "BD indé molle" qui est en soi", très beau texte publié dans le troisième et dernier numéro de l'Éprouvette, la revue-somme de l'Association. En une vingtaine de pages, Lucas Méthé essaie de "traduire une ligne de conduite artistique personnelle, la pus rigoureuse possible", selon ses propres termes. Dans ce texte passionnant, l'auteur questionne les positions d'auteur, d'éditeur, de dessinateur ; se demandant "quel est l'intérêt de dire dans un livre ce que tout le monde sait déjà ? de faire ce qui, sans nous, existera quand même ?", déplorant "la surproduction nauséeuse du marché du livre", il encourage tout auteur, lui le premier, à remettre sans cesse en question ses acquis, interrogeant le travail des grands prédécesseurs et les objectifs de son propre travail, et, surtout, refusant toute facilité.
Lucas Méthé n'a pas encore publié de chef-d'œuvre impérissable, certes, mais suffisamment de planches prometteuses pour que l'on puisse espérer beaucoup de ses prochaines publications...