lundi 28 juin 2010

Conte Démoniaque, d'Aristophane (1996)

Je connais peu de bandes dessinées aussi ambitieuses que Conte Démoniaque, d'Aristophane.

Dans ce chef-d'œuvre publié en 1996 à l'Association, il a cherché à dépeindre rien moins que la guerre finale des démons au cœur de l'Enfer. Au début du livre, nous pénétrons dans les enfers sur la barque de Caron, avec un groupe de damnés. Puis, tout au long des 300 pages de ce monument, nous voyons se dérouler le conflit le plus dantesque que nous puissions imaginer : une querelle entre deux démons dégénère pour se propager dans tout le royaume des ombres.

Le plus gros risque pour un tel récit serait de passer à côté du caractère grandiose du sujet. Il en faudrait peu, un dessin un peu trop académique, un récit trop linéaire, trop rationnel, pour tomber du dantesque dans le grotesque, pour sombrer dans le grand-guignol. Aristophane échappe à tous ces écueils. Ses personnages ne sont que haine, orgueil et démesure. Son dessin très particulier, souvent à la limite du lisible, échappe à tout académisme. S'il risque d'égarer certains lecteurs peu perméables à ce type de lyrisme, il offrira aux autres une plongée dans un monde réellement inhumain : de traits de plume acérés aux grandes taches noires, l'expressionnisme d'Aristophane nous donne un aperçu d'un monde au-delà de toute imagination.

Dans des genres qui n'avaient rien à voir avec ce chef-d'œuvre, Aristophane publia deux livres en 1993 et 1995 puis un ouvrage, Les sœurs Zabîme, chez Ego comme X, la même année que Conte Démoniaque. Il ne devait publier ensuite que quelques récits dans des revues avant de disparaître en 2004. Malgré sa trajectoire éclair, il a dessiné au moins une œuvre qui mérite de laisser sa marque dans l'histoire de la bande dessinée.

mardi 22 juin 2010

L'Eternaute, d'Oesterheld et Lopez (1957-1959)

J'ai longtemps été persuadé que L'Éternaute, d'Oesterheld et Lopez, ne serait jamais traduit en français. Certes, la version plus tardive dessinée par Breccia fut disponible un temps dans nos contrées. Mais cette réécriture, malgré tout le génie du dessinateur, était bien inférieure à la version originale ; sa publication fut interrompue pour des raisons politiques, je crois, et le récit n'a pas du tout le temps de prendre l'ampleur nécessaire.

L'Éternaute première version, pensez donc : un récit des années 1950 (publié initialement entre 1957 et 1959), en noir et blanc, de plusieurs centaines de pages, avec de longs narratifs et un récit ancré dans une ville mal connue du public francophone, Buenos Aires... Quel éditeur pouvait avoir le courage de parier sur un tel livre dans les années 2000 ? Eh bien Vertige Graphic a eu le cran de tenter l'expérience. Grâce lui en soit rendue.

En effet L'Éternaute est, à mon avis, une des plus grandes réussites de science-fiction en bande dessinée. Peu de récits sont parvenus ainsi à conjuguer une atmosphère d'angoisse et des personnages si profondément humains, une peinture si originale et si forte d'extra-terrestres loin des monstres de Star Wars et un récit dont la tension monte régulièrement tout au long de ses centaines de pages. Son ancrage dans des lieux existants de Buenos Aires accroît encore son profond réalisme et met d'autant plus en relief les pérégrinations des personnages principaux dans un monde si familier par certains côtés mais dont ils ignorent soudain les règles les plus importantes, celles qui décideront de leur vie ou de leur mort.

À la lecture de ce chef d'oeuvre de la bande dessinée et de la science-fiction, le seul point de comparaison qui me vient à l'esprit est La Guerre des mondes, d'H.G. Wells. L'Argentine fut un grand pays de bande dessinée pendant quelques décennies ; L'Éternaute en est une des meilleures preuves.

mardi 15 juin 2010

Loin, de Renaud Camus (2009)

Renaud Camus publie beaucoup. Et, comme la plupart des grands auteurs, on retrouve dans tous ses livres, qu'il s'agisse d'essais, de volumes de son journal, ou, comme c'est le cas ici, de romans, les mêmes thèmes, les mêmes fixations.

On retrouve effectivement dans Loin, le dernier roman de Renaud Camus, son regret d'un monde passé, ses critiques sur le grignotage progressif de espaces de liberté par la société actuelle (aussi bien dans le domaine de l'aménagement du territoire que dans celui des libertés individuelles) , son goût de la dissertation sur les formes disparues de savoir-vivre, son jeu sur les différents niveaux de langage en usage dans nos sociétés, du plus recherché au plus décontracté.

Plus que dans ses essais ou son journal, il peut donner livre court à son talent de la description : les paysages défilent, faisant jouer les reliefs et les couleurs, bien sûr, mais également les transparences de l'air, les ambiances.

Le personnage principal ressemble très fortement à celui de son précédent roman non expérimental, L'Épuisant désir de ces choses (je mets à part L'Amour l'automne, 5ème volume des Églogues, et L'Inauguration de la salle des vents, ouvrages plus novateurs et, à mon humble avis, plus riches que ses romans plus faciles d'accès). Les thèmes, déjà traités dans son journal, sont presque les mêmes que ceux du Chasseur de lumière et de L'Épuisant désir de ces choses.

Ce qui distingue cet ouvrage des opus cités ci-dessus et ce qui m'a frappé davantage est le fil conducteur du livre, parfaitement, et très succinctement, résumé en 4ème de couverture : "Un homme s'éloigne". C'est bien de cela qu'il s'agit, et l'on retrouve ici un thème déjà magnifiquement traité dans Roman Furieux : l'éloignement progressif d'un individu vis-à-vis du monde, envers ses semblables. Certes, Roman était isolé des autres par son destin de roi déchu, alors que Jean ne l'est que par goût et volonté ; l'éloignement de Roman était subi, tragique, concrétisé dans sa séparation d'avec Diane, sa femme, et dans son effondrement dans la folie, alors que celui de Jean est volontaire, décrit avec une certaine distanciation et une bonne dose d'humour. Il n'empêche. Dans ces deux romans, nous assistons à un éloignement progressif : les personnages principaux, Roman et Jean, sont totalement inadaptés au monde dans lequel ils vivent et la distance entre ce monde et eux s'accroît tout au long du roman.

On peut voir dans cet éloignement au monde un idéal de vie ou, au contraire, un tragique échec. Quelle que soit notre vision d'un tel destin, il est difficile de rester indifférent à la peinture puissante qu'en offrent ces deux romans.

lundi 14 juin 2010

Le nouveau site Internet d'Edmond Baudoin

En surfant un peu au hasard, je viens de me rendre compte qu'Edmond Baudoin avait un nouveau site Internet. Il est assez esthétique, tout en flash, complet quoiqu'un peu succinct (dans la bibliographie, l'auteur a écrit une seule phrase de commentaire pour chacun de ses livres). La partie sur ses performances (séances de dessin en direct, généralement de concert avec des danseurs ou des musiciens) est très intéressante.

Mais l'aspect qui m'a réellement passionné est la présentation de quelques peintures. Je connaissais à peine cet aspect de son œuvre et, une fois encore Baudoin m'a étonné...

En tout cas, ce nouveau site est une très bonne, et très agréable, occasion de (re)partir à la découverte de cet auteur exceptionnel.

Le Parfum des olives, de Hugues et Edmond Baudoin (2010)

Il y a quelques jours, je suis tombé par hasard sur Le parfum des olives de Hugues et Edmond Baudoin, qui venait de paraître aux éditions Six pieds sous terre. Tiens, qui est cet Hugues Baudoin ? Je lis la première page de l'album. Hugues Baudoin est en fait un des fils d'Edmond Baudoin. Homme de théâtre, il est allé en Israël pour interroger des personnes là-bas sur les liens entre gens de théâtre israéliens et palestiniens. Edmond, son père donc, a illustré le journal que Hugues a tenu pendant ce voyage de l'autre côté de la Méditerranée. Bon, probablement un album mineur de Baudoin. Voilà pour la première impression.

Après lecture, cette première impression a-t-elle changé ? Pas complètement, cet album ne compte effectivement pas parmi les chefs-d'œuvre de Baudoin. Mais... Mais même dans un album tel que celui-ci, qui pourrait sembler mineur, Baudoin laisse paraître tout son talent. Au gré des considérations familiales ou artistiques de son fils, Baudoin père parvient à faire ressortir certains thèmes qui parcourent toute son œuvre, les racines méditerranéennes (le grand-père d'Edmond Baudoin, et donc l'arrière-grand-père du narrateur, personnage principal de Couma Aco, fait ici plusieurs apparitions), les rêveuses déambulations, l'idée de quête artistique. Et, surtout, il utilise tout son art pour illustrer le texte de son fils : dessinant un personnage parfois d'après photo, parfois d'après les descriptions de son fils, mettant en image les réflexions de celui-ci ou les lieux visités, Baudoin met, comme à son habitude, de multiples techniques au service du texte.

Bref, dans cet album (peut-on d'ailleurs le qualifier de bande dessinée ? il faudrait approfondir la définition de celle-ci : il s'agit davantage d'un récit illustré, avec peu de cases qui s'enchaînent, très peu de phylactère) relativement mineur dans sa bibliographie, Baudoin met assez de cœur et de talent pour en faire une lecture plus que recommandable...

mercredi 9 juin 2010

Love and Rockets X, de Gilbert Hernandez (1999)

Je viens de relire Love & Rockets X, de Gilbert Hernandez, aux éditions Fantagraphics (en français chez Rackham). Il s'agit à mon avis du meilleur récit de cet auteur, ce qui n'est pas peu dire... On retrouve en effet dans cet album un condensé de ce qui constitue le meilleur de son œuvre.

Il enrichit dans ces pages un monde déjà riche et cohérent, foisonnant de lieux et de personnages qui parcourent, parfois subrepticement (je pense notamment à Maria, la mère de Luba, croisée au détour d'une case), les histoires de ce fantastique conteur. Il nous offre un passionnant kaléidoscope de l'Amérique des années 1990 : de Los Angeles à Palomar (ville imaginaire d'Amérique latine), des beaux quartiers d'Hollywood aux ghettos noirs des faubourgs, des amateurs de punk aux rappeurs, des skin-heads aux idéalistes de gauche. Gilbert Hernandez mêle d'innombrables personnages, Blancs et Noirs, Asiatiques et Mexicains, Juifs et Arabes, en de complexes fils narratifs entrelacés entre eux.

Son dessin, parfois un peu maladroit, est particulièrement expressif. A l'instar de son frère Jaime, c'est un des rares auteurs qui parvient à réellement individualiser ses personnages de jeunes femmes. La plupart des dessinateurs, surtout masculins, se contentent de dessiner toujours le même archétype féminin, en variant toutefois les coiffures pour différencier les personnages. Gilbert Hernandez parvient à offrir à tous ses personnages féminins une vraie personnalité graphique, en jouant sur leur taille, leur corpulence, la finesse de leur trait, etc.

Enfin on peut particulièrement admirer sa maîtrise de l'ellipse. Gilbert Hernandez choisit en effet avec un art impressionnant les moments de la vie de ses personnages qu'il relate et ceux qu'il laisse à l'imagination du lecteur. Pas de superflu chez lui, pas de remplissage ; toute donnée inutile, que ce soit pour l'histoire ou pour l'ambiance, est laissée de côté. C'est tout spécialement visible dans les dernières pages de l'album. Chaque scène est constituée d'une case unique (à raison de 9 par pages) : dans la case suivante l'auteur suit d'autres personnages, que l'on pourra retrouver 3 cases plus bas ou 2 pages plus loin. Ces ellipses à répétition, si elles risquent de laisser sur les bords du chemin les lecteurs les moins attentifs, donnent au récit un tempo et une densité rarement égalés en bande dessinée.

N.B. : On pourra lire une chronique de cet album, très intéressante et beaucoup plus détaillée sur ce blog exclusivement consacré à Love and Rockets.

mercredi 2 juin 2010

Ego comme X et la vente en ligne

La maison d'édition Ego comme X essaie de promouvoir la vente en ligne de ses livres. Elle vient d'annoncer qu'elle doublait les droits versés aux auteurs pour tous les livres achetés sur le site Ego comme X. Il s'agit donc d'une opération intéressante à la fois pour les auteurs (qui touchent deux fois plus de droits par livre) et pour les lecteurs (qui bénéficient d'une remise de 5 % sur le prix du livre et des frais de port gratuits) ; en gros du "gagnant-gagnant" comme on dit aujourd'hui... L'initiative me semble donc très positive...

Bien sûr se pose la question du sort des libraires (âprement débattue actuellement sur quelques sites internet) : de telles démarches de la part des éditeurs ne risquent-elles pas de fragiliser encore le secteur des librairies spécialisées ? En même temps, les librairies qui proposent la plupart des ouvrages d'Ego comme X à la vente, hors de Paris ou de quelques grandes villes ,me semblent plutôt rares...

Le débat est loin d'être clos... Mais que cela ne vous empêche pas d'aller sur le site d'Ego comme X et d'y commander quelques ouvrages...