Éblouissant. C'est le premier mot qui m'est venu à l'esprit après avoir lu la biographie de Salvador Dali par Edmond Baudoin. C'est également le mot qui m'est revenu lorsque j'ai refermé ce livre magistral.
Baudoin s'était déjà frotté à un grand peintre du XXe siècle, Pablo Picasso, dans l'Oeil et le Mot. Il s'agissait alors d'un ouvrage illustré pour les enfants, effectué dans le cadre des travaux de Baudoin pour une revue artistique destinée aux jeunes, Dada. L'ouvrage était d'ailleurs très réussi, malgré la difficulté de se confronter à un artiste majeur. Cette fois, la biographie de Dali est une collaboration avec le centre Pompidou, en lien avec la grande rétrospective que ce musée consacre au peintre de Figueras.
L'association de Baudoin et de Dali peut surprendre. En tant qu'hommes, en tant qu'artistes, ils semblent très éloignés l'un de l'autre. La modestie et la simplicité de Baudoin sont aux antipodes de la mégalomanie et des extravagances extraverties de Dali ; le trait spontané du premier semble très loin du réalisme quasiment photographique recherché par le second (au moins dans la deuxième partie de sa carrière). Baudoin l'a d'ailleurs confirmé : « Je n’appréciais (...) pas beaucoup sa peinture, ni l’homme a priori, mais à force de l’étudier, je me suis mis à l’aimer. Je suis rentré dans les textes, j’ai lu énormément de choses sur lui, j’ai regardé des films, vu des images, je suis rentré dans son monde, et j’y ai vu un être humain. Et un être humain est toujours touchant, même le plus grand criminel. Dalí, c’est donc avant tout un être humain. C’était quelqu’un qui voulait vivre au-delà de tout, et ce trait de caractère est quelque chose d’extraordinaire."
Baudoin livre une biographie de Dali, certes, mais dans un style unique et délirant. Il parvient à mélanger intimement leurs deux univers. Il recrée à sa façon les œuvres les plus connues de Dali et replace celles-ci dans leur contexte biographique. Une des plus grandes forces du peintre espagnol était probablement de créer des images marquantes (des montres molles au Grand Masturbateur, des images de putréfaction à ses ânes dévorés par les fourmis), le tout dans des tableaux luxuriants, foisonnants de détails et de symboles analysables à l'infini. Baudoin s'approprie ces images, cette luxuriance, ce foisonnement. Il les dessine à sa manière, les mélange à ses propres questionnements, à son propre univers. Cela donne des images saisissantes, mêlant intimement la puissance des images de Dali au trait magnifiques de Baudoin.
Baudoin propose sa propre interprétation de la vie, des actes et des œuvres de Dali. Par la bouche de deux personnages dialoguant, une jeune homme et une jeune femme, il livre ses hypothèses personnelles, ses interprétations de cet artiste si étrange.
Baudoin a toujours fait preuve de grandes liberté et innovation formelles. Là, il se surpasse encore. Il mélange les styles, les techniques (noir et blanc à la plume, couleurs à l'huile, crayon, etc.), les mises en page. On peut d'ailleurs noter que les éditions Dupuis lui offrent des conditions d'impression meilleures que pour nombre de ces ouvrages précédents. Cela permet de profiter beaucoup de ses dégradés de gris, de ses traits de crayon, de ses couleurs magiques. Il met à profit ces variations stylistiques pour souligner certains aspects de son discours ; il insiste ainsi fortement sur l'importance de Gala dans la vie de Dali : celle-ci est le seul personnage en couleurs de l'album, comme si elle était la principale source d'inspiration du peintre (ce que celui-ci mettait lui-même en vant).
Confronter son univers à celui d'un des artistes les plus célèbres et les plus complexes du XXe siècle était un véritable défi pour Baudoin. Il en a profité pour développer et renouveler son propre univers, et nous offrir ainsi une de ses œuvres les plus riches et les plus belles.