mercredi 28 mars 2012

Des blogs dessinés chez Ego comme X

Ego comme X a encore développé un nouveau concept intéressant sur son site Internet. Pour pallier la disparition de sa revue, cet éditeur met en ligne les blogs dessinés de certains de ses auteurs : Jonvon Nias, Sophie Darcq, Pierre Druilhe, Freddy Nadolny Poustochkine et Gabriel Dumoulin.

Bien sûr, il s'agit de récits autobiographiques mais les thèmes sont variés : des dragues sur Internet de Gabriel Dumoulin au retour aux sources en Corée de Sophie Darcq (dont le dessin m'a beaucoup séduit), l'éventail est large. De nombreuses pages sont déjà en ligne et méritent d'être découvertes.

jeudi 22 mars 2012

On massacre la Ballade de la mer salée aux Etats-Unis

Casterman a une solide réputation en termes d'édition de bandes dessinées dans des conditions déplorables : dans sa collection prétendument prestigieuse, Écritures , comme dans les multiples rééditions de quelques-uns de ses classiques, Corto Maltese en premier lieu : remontage de cases, modification de couverture, changement de format...

Il semblerait que d'autres maisons d'édition soient aussi peu scrupuleuses lors de la publication de quelques classiques. Ainsi, la nouvelle édition anglophone de Corto Maltese a l'air particulièrement gratinée. Le site Big Planet Comics détaille, illustrations à l'appui, quelques-unes des avanies que l'éditeur fait subir à La Ballade de la mer salée. C'est édifiant. Remontage des pages brisant la dynamique du récit, recadrage des dessins ajoutant des vides dans certaines cases, en amputant d'autres d'une partie de leur contenu, cases coupées en deux et réparties sur deux bandes différentes, qualité de reproduction tellement déplorable qu'elle dénature certains dessins, tout y passe... Je vous conseille d'aller voir, cela vaut le détour. Il est impressionnant de voir le manque de respect de certains éditeurs pour les œuvres qu'ils publient.

lundi 19 mars 2012

Les futurs grands prix d'Angoulême, vus de l'autre côté de l'Atlantique

L'élection du grand prix de la ville d'Angoulême est, chaque année, un événement attendu dans le monde de la bande dessinée, y compris de l'autre côté de l'Atlantique. Cette année, peu après le festival d'Angoulême, le webzine The Comics Reporter a eu la bonne idée de demander à une quinzaine de spécialistes (enfin, je suppose que ce sont des spécialistes, la plupart des noms m'étant inconnus) de "nommer cinq auteurs de bande dessiné qu'ils aimeraient voir recevoir le Grand prix à Angoulême dans les quinze prochaines années". Sans avoir la prétention d'être représentatif de quoi que ce soit, ce sondage donne cependant une petite idée des auteurs que des Américains considèrent comme dignes d'être récompensés par ce prix prestigieux. Cela change un peu des pronostics franco-français qui fleurissent tous les années à longueur de blogs (je dois d'ailleurs avouer que je me suis plié à l'exercice il y a deux ans), de forums et de revues spécialisés.

Je dois avouer que certains résultats m'ont étonné. Bien entendu, le poids des auteurs américains, mais aussi japonais, est nettement plus important que lorsque les pronostics sont effectuées chez nous. Mais, alors que j'imaginais que Chris Ware et Alan Moore feraient partie du peloton de tête, le premier n'a été cité qu'une seule fois, le second trois fois (contre sept pour les deux auteurs les plus souvent nommés). Et Dan Clowes, par exemple n'a pas été nommé une seule fois.

Les deux auteurs les plus souvent cités (sept fois chacun) sont Jason et Chester Brown... Jason n'est pas américain mais européen. Pourtant il est rarement cité en France parmi les favoris pour le Grand prix. Son style minimaliste (tant par l'apparente simplicité du graphisme que par le laconisme du texte, voire l'absence totale de celui-ci) semble donc séduire particulièrement chez nos amis anglophones. Quant à Chester Brown (Le Playboy, Je ne t'ai jamais aimé, etc.), son style autobiographique, d'une grande sensibilité, tout en retenue et en émotion, est effectivement perçu comme une influence majeure en Amérique du Nord.

Viennent ensuite, avec trois citations chacun, Alan Moore et Eddie Campbell. Le premier, par l'influence qu'eurent nombre de ses scénarios magistraux, mériterait en effet amplement le Grand prix. Je connais moins le second. Pour tout dire, jusqu'à il y a quelques jours, je ne le connaissais que comme dessinateur de From Hell. Dans les pays anglophones, il a une excellente réputation, acquise avec son comics autobiographique Alec. J'ai récemment lu Alec, comment devenir un artiste, que j'ai beaucoup apprécié.

Avec deux citations, on trouve trois Japonais, Yoshihiro Tatsumi, Taiyo Matsumoto et Yuichi Yokoyama, un Italien, Vittorio Giardino, et quelques anglo-saxons, Seth, Brian Talbot, Gilbert Hernandez (son frère, Jaime Hernandez, étant nommé une fois), Linda Barry et Dave Sim. Yoshihiro Tatsumi commence à être reconnu des deux côtés de l'Atlantique, avec ses histoires courtes désabusées et son autobiographie, Une Vie dans les marges. Taiyo Matsumoto (Amer Béton, Ping Pong, Number 5 et, plus récemment, Le Samouraï Bambou) est un dessinateur exceptionnel et très original mais ses scénarios sont rarement à la hauteur de son immense talent. Vittorio Giardino est un très bon dessinateur "ligne claire", bien édité en France mais ses scénarios ne m'ont jamais enthousiasmé. Seth, son trait élégant, ses histoires mélancoliques, ont beaucoup d'amateurs. Brian Talbot ne m'a jamais attiré (je n'ai pas spécialement apprécié son dessin dans les histoires de Sandman qu'il a illustrées) mais il jouit plutôt d'une bonne réputation, notamment grâce à son Histoire d'un vilain rat. Le talent de Dave Sim, auteur du monumental Cerebus (300 épisodes, répartis ensuite en "romans"), est controversé ; il a ses détracteurs et ses farouches partisans. Personnellement je n'ia jamais eu le courage de me lancer dans la lecture de Cerebus : le dessin et les mises en page, très (trop ?) travaillées, m'ont toujours rebuté. J'ai déjà écrit maintes fois tout le bien que je pensais des frères Hernandez et de leur génial Love and Rockets. Enfin, je ne connais ni Yuichi Yokoyama, ni Linda Barry.

Puis viennent tous ceux qui n'ont été cités qu'une fois. Pour certains d'entre eux, je m'attendais à plus de citations : Joost Swarte (son œuvre est quantitativement limitée, quelques albums, mais son influence considérable, notamment sur Yves Chaland et Chris Ware), Chris Ware (probablement l'un des cinq auteurs vivants les plus importants), Bill Waterson (son exigence artistique, son humour tendre et délirant, son dessin très sûr lui auraient en effet fait mériter le Grand prix). Quelques auteurs francophones, issus pour la plupart de ce qui fut parfois appelé la "nouvelle génération" : David B, Emmanuel Guibert, Christophe Blain et Riad Sattouf ; ansi que Serge Le Tendre (nommé peut-être pour la Quête de l'oiseau du temps ?). Deux dessinateurs exceptionnels, ni francophones, ni anglophones : Carlos Nine et Lorenzo Mattotti. Quelques auteurs aux œuvres notables sans être exceptionnelles : Posy Simmonds (son mélange de dessins et de textes est souvent intéressant), Jordi Bernet (excellent dessinateur, virtuose du noir et blanc), Naoki Urasawa (bon feuilletoniste). Quelques auteurs réputés que je connais assez mal : Jim Woodring (un album de sa série Frank vient d'être récompensé à Angoulême), Ben Katchor, Carlos Gimenéz. Trois auteurs à mon avis surcotés et que je ne considère pas du tout comme pertinents pour le Grand prix : Jill Thompson, Igort, Alejandro Jodorowsky. Quelques auteurs que je ne connais que par quelques dessins mais qui ne m'attirent pas spécialement : Alison Bechdel, Sergio Aragones, Darwyn Cooke, Stan Sakai, Walt Simonson. Kevin O'Neill, dont la prestation sur La Ligue des gentlemen extraordinaires ne m'a pas déplu mais ne m'a pas pleinement convaincu non plus. Enfin, une série d'auteurs que je ne connais pas du tout : Baku Yumemakura, Naif Al-Mutawa, Moto Hagio, Lat, Woodrow Phoenix, Pat Mills, Monkey Punch, Alex Nino, CF, Atsushi Kanedo, Tom Kaczinski.

De nombreuses idées pour les jurés du Grand prix s'ils souhaitent sortir du milieu franco-français...

vendredi 16 mars 2012

Moebius, encore des surprises

Je pensais bien connaître l’œuvre de Jean Giraud - Moebius. Il fut une époque où je cherchais avidement tout ce qu'il sortait, où je lisais bandes dessinées, recueils de dessins divers, monographies ou entretiens. Et pourtant, en surfant un peu sur Internet après l'annonce de son décès, je me suis aperçu qu'une partie importante de son œuvre m'était encore inconnue.

J'ai en effet découvert sur la Toile une foultitude de dessins, affiches, publicités, récits courts, illustrations diverses, que je connaissais pas. J'ai donc passé des heures à découvrir avec plaisir tous ces fantastiques dessins que je n'avais jamais vus. Une des sources les plus riches fut le blog de Louis-Hugues Jacquin (réparti en deux adresses suite à un manque de place : ici et ). Je vous recommande chaudement cette mine de trésors, souvent rares ou inédits.

mercredi 14 mars 2012

Alec, How to be an artist, d'Eddie Campbell (2001)

Je ne connaissais jusqu'à maintenant Eddie Campbell que comme le dessinateur de From Hell, avec Alan Moore, et je viens de découvrir avec plaisir Alec, comment devenir artiste. Eddie Campbell s'y met en scène sous les traits d'un jeune auteur de bande dessinée, Alec MacGarry, cherchant à vivre de la bande dessinée en traçant une voie qui lui est propre, loin des poncifs en vigueur, super-héroïques principalement. Ce qui intéresse en effet cet Alec est surtout de dessiner un comics autobiographique, ce qui est relativement original dans le paysage anglophone des années 1980.

Ce livre est donc une passionnante plongée dans le monde des comics alternatifs des années 1980, avec la naissance, la gloire, puis la décadence du "roman graphique". Après le triomphe quasiment simultané des Watchmen d'Alan Moore, du Dark Knight de Frank Miller et de Maus d'Art Spiegelman, la mode du "graphic novel" a connu un grand boom, puis, faute de nouveaux succès de ce calibre, est progressivement retombée. Eddie Campbell nous plonge dans cette époque, au milieu des artistes essayant de frayer leur chemin, loin des effets de mode mais impactés néanmoins par ces succès contemporains. Le style assez particulier d'Eddie Campbell, petites cases, texte abondant à la deuxième personne du singulier et au futur, dessin très vivant de style "croquis", nous permet de partager au plus près ses états d'âme et ses mésaventures.

En lisant la quatrième de couverture, j'apprends qu'il s'agit du troisième volume de la série autobiographique d'Eddie Campbell. Je lirai probablement prochainement les deux premiers.

mardi 13 mars 2012

Moebius, la surprise permanente

L’œuvre de Jean Giraud - Moebius est clairement une source constante de surprises, un puits d'émerveillement toujours renouvelé. Tout d'abord dans la mesure où l'imagination apparemment sans borne de Moebius semblait sans cesse repousser de nouvelles limites. Mais aussi parce que son talent était tel qu'il pouvait toujours faire apparaître un superbe dessin auquel je ne m'attendais pas.

Je vais prendre un exemple. J'ai écrit, et je continue à penser, que l’œuvre de Jean Giraud - Moebius a progressivement décliné à partir des années 1990. L'album Apaches de Blueberry, le dernier, est ainsi très en-dessous des albums des années 1970 et 1980, tant au niveau du scénario que de celui du dessin. C'est d'ailleurs un des seuls albums de la série dessinés par Giraud que je n'ai jamais eu envie d'acheter. Et pourtant... En redécouvrant le dessin ci-dessous, extrait de cet album et détourné en hommage au dessinateur récemment décédé, je me suis rendu compte que même ce livre contenait des dessins fantastiques. On y retrouve tout le sens de la composition, tout l'art de l'espace et de la perspective aérienne qui rendaient sans égal le dessin de Blueberry. L'atmosphère calme, l'attitude recueillie du personnage sont parfaitement rendues. Décidément, Jean Giraud - Moebius a toujours été un grand artiste.

samedi 10 mars 2012

Moebius (Jean Giraud) est mort (1938-2012)

Jean Giraud, également connu sous le pseudonyme de Moebius, est mort aujourd’hui, 10 mars 2012, à l'âge de 73 ans.

Créateur protéiforme, il avait multiplié les expériences artistiques les plus variées et était incontestablement l'un des créateurs les plus influents et les plus reconnus de la bande dessinée mondiale.

Après avoir appris les rudiments du métier aux côtés de Jijé, il débuta en 1963 comme dessinateur de Blueberry, sur des scénarios de Jean-Michel (qui atteignit avec cette série le sommet de son talent). Les années 1960 sont donc principalement celles du lieutenant, de plus en plus rebelle. Il traversa plusieurs guerres indiennes, chercha de l'or dans une mesa perdue et contribua à la construction du chemin de fer avant d'être envoyé au Mexique pour des missions plus que délicates. Ce cycle, qui commença avec Chihuahua Pearl en 1973, s'acheva avec Le Bout de la piste en 1986. Ces 10 albums constituent, avec le diptyque La Mine de l'Allemand perdu - Le Spectre aux balles d'or (1972), le sommet de la série et l'un des plus grands chefs-d’œuvre du western en bande dessinées. De façon générale, l'art de Jean Giraud dans Blueberry est absolument remarquable : expressivité des personnages, fantastique sens de l'espace (ses scènes de rues, de foules ou de grands espaces, en perspective aérienne, montrent un talent sans guère d'équivalent en bande dessinée pour décrire ainsi des vues d'ensemble avec un tel sens de l'espace), art du mouvement, mises en pages variées au service de la narration, etc.

Les années 1970 sont les années de tous les possibles, de toutes les expérimentations : son art, pour son versant réaliste, atteint des sommets expressionnistes dans La Mine de l'Allemand perdu et Le Spectre aux balles d'or. Pour le versant plus imaginaire, il s'agit des vrais début de sa carrière parallèle, sous le pseudonyme de Moebius (qui ne lui avait servi jusque là que pour quelques courtes bandes humoristiques). Dans des bandes délirantes, souvent conçues sous acide, il révolutionne la bande dessinée, tant sur le plan graphique (couleurs directes dans Arzach, mises en page éclatées, mondes imaginaires délirants, variabilité quasiment infinie du style de dessin au cours d'un même récit) que sur le plan narratif (critique du racisme et des "ratonnades" dans Cauchemar Blanc, délire improvisé dans Le Garage Hermétique, récit muet dans Arzach, etc.). Il participe également en 1975 à la création du magazine Métal Hurlant, qui fut pendant quelques années l'un des plus passionnants journaux de bande dessinée.

Les années 1980 sont l'âge classique de Moebius. Il séjourne quelques années dans une communauté dans une île tropicale, se met au végétalisme, puis à l'instinctothérapie et cela se ressent sur son dessin : Il consolide ses acquis et publie des œuvres assagies, mois exubérantes. C'est la période de l' Incal (sur un des scénarios les plus lisibles de Jodorowsky). Dans Blueberry également le trait se simplifie pour aboutir à la quasi "ligne claire" de La dernière carte.

À partir des années 1990, l’œuvre se fait moins riche. Suite à la mort de Jean-Michel Charlier, Jean Giraud continue les séries Blueberry et Jim Cutlass et écrit pour elles des scénarios indigents (il a de toute façon été un scénariste plutôt médiocre, même si ses hallucinations improvisées offraient parfois de beaux moments). Le trait de Moebius, après s'être assagi pendant la décennie précédente, a tendance à s'appauvrir. Son talent était tel qu'il continue toutefois à produire des œuvres remarquables. Son œuvre la plus marquante des 20 dernières années est probablement la série Inside Moebius, dont les 6 tomes constituent une expérience intéressante de carnet intime délirant et improvisé, dans lequel le narrateur rencontre à la fois de multiples avatars de lui-même et ses propres créations. Avec cette œuvre originale, il surpasse les efforts similaires de quelques-uns des membres de la génération suivante, Sfar, Trondheim et leurs carnets.

Il a multiplié les incursions dans des genres divers, cinéma (story board pour Tron, dessins pour Alien, Abyss ou Willow), pochettes de disques (remarquables illustrations pour des rééditions de Jimi Hendrix) ou peintures. Il avait plusieurs fait l'objet de nombreuses grandes expositions, une des dernières fut l'excellente rétrospective de la fondation Cartier début 2011.

vendredi 9 mars 2012

Terry and the Pirates, volume 6 (1945-1946), de Milton Caniff

1934-1946. 12 ans d'aventures, près de 2000 pages. Nous avions fait la connaissance d'un Terry adolescent, nous le quittons jeune adulte, déjà très mûr et à l'aube d'une longue vie bien remplie.

Je viens de terminer l'intégrale de Terry and the Pirates et je dois avouer que cela ne me laisse pas indifférent. Je ne découvrirai plus de nouvelles péripéties de Terry Lee et Pat Ryan ; je ne lirai plus leurs rencontres toujours renouvelées avec Normandie Drake, Dragon Lady ou l'inénarrable Burma, se faisant systématiquement repérer par Terry en chantant Saint Louis Blues de façon si particulière. J'ai déjà écrit tout le bien que je pensais de ce feuilleton extraordinaire, archétype du roman populaire servi par un dessin d'une clarté, d'une expressivité et d'une beauté réellement uniques. Mais, à l'heure de fermer le dernier volume de cette saga sans équivalent dans la bande dessinée, je ne peux m'empêcher d'y revenir. Terry, ses amis et ses amours, sont des personnages qui m'ont accompagné pendant des années et que je ne quitterai pas une dernière fois sans un pincement au cœur.

Ce sixième volume n'est probablement pas le meilleur de la série, qui a plutôt connu son âge d'or entre 1938 et 1942. Mais lorsque l'on situe à tels niveaux de qualité, cela n'a plus guère d'importance. La guerre du Pacifique se termine. Terry Lee, qui est de plus en plus indépendant de Pat Ryan, termine le conflit en lieutenant de l'aviation ; après quelques mois de démobilisation, il se réengagera pour des missions (plus ou moins) secrètes. Les ressorts de l'intrigue sont toujours les mêmes : exotisme oriental, action et héroïsme, contrebandiers et pirates, femmes fatales et compagnes sans reproches, jalousies et amours multiples. Terry Lee est la plupart du temps accompagné du gaffeur Hot Shot Charlie (archétype des aviateurs coureurs et maladroits de Jean-Michel Charlier, Sonny Tuckson et Ernest Laverdure) et croise, comme à son habitude, Dragon Lady, Burma, Sandhurst, Nasty devenue grande et bien d'autres anciennes connaissances.

En 1946, Milton Caniff décidait d'arrêter Terry, qui appartenait à son syndicat, pour créer un autre personnage, Steve Canyon, qui sera sa propriété et qui sera un adulte mûr, pouvant fumer et jouer les Casanova plus aisément que le jeune et innocent Terry. Cette nouvelle série, malgré d'indéniables qualités, n'aura pas autant de charme que Terry. Il faut que je me fasse à l'idée : j'ai achevé l'intégrale de Terry and the pirates et la fin des rebondissements des aventures du jeune homme explorant l'Orient lointain et mystérieux est cette fois définitive.

mercredi 7 mars 2012

Chris Ware, au-delà de Jimmy Corrigan

Que représente Chris Ware pour le lecteur francophone ? Il est l'auteur d'un magnifique pavé, Jimmy Corrigan, paru en 2002 et justement récompensé par l'Alph'Art du meilleur album en 2003, puis de deux autres ouvrages, plus expérimentaux, compilations de planches et de récits variés, Quimby the Mouse en 2004 et Acme en 2007. Bref Chris Ware pourrait apparaître comme l'auteur d'un unique chef-d’œuvre et de quelques essais expérimentaux.

Oui mais voilà, Jimmy Corrigan a été publié aux États-Unis en fascicules (les volumes successifs de l' Acme Novelty Livrary) entre 1993 et 2000 et en recueil en 2000. Cela fait donc maintenant 12 ans. Et, depuis, Chris Ware n'a pas arrêté de travailler. Bien au contraire, il a continué à progresser et à évoluer. Ses mises en page, toujours très travaillées, atteignent de plus en plus souvent une beauté très classique (on en voit de merveilleux exemples dans l' Acme Novelty Livrary 18 1/2, compilation de planches initialement publiées dans le New Yorker). Ses couleurs, de plus en plus recherchées, se rapprochent de la finesse de celles du studio Hergé dans les derniers albums de Tintin et confèrent un charme supplémentaire à ses dessins. De manière générale, il dose ses effets de façon plus parcimonieuse : il nous offre moins de démonstrations de virtuosité et son talent se fait plus subtil, les fausses publicités et textes parallèles sont moins envahissants.

Les lecteurs anglophones ont ainsi pu découvrir la continuation de son œuvre dans les volumes 16 à 20 de l' Acme Novelty Livrary (avec trois épisodes de Rusty Brown, deux épisodes des Building Stories et enfin le superbe Lint en 2010).

Chris Ware est l'un des 3 ou 4 auteurs de bande dessinée les plus importants des 20 dernières années et la majeure partie de son œuvre reste encore largement inconnue du public francophone. Quand donc un éditeur osera publier les différents volumes de l' Acme Novelty Livrary qui, bien plus que de simples "épisodes" d'un ouvrage plus important, sont, chacun, un album majeur de première importance ?

mardi 6 mars 2012

De l'indigence de l'offre légale de téléchargement de musique

Je ne suis pas spécialement un partisan du téléchargement illégal. Mais à l'heure où l'on reparle des modes de sanction à l'encontre des "pirates" et autres téléchargeurs illégaux, je reste attéré par l'indigence des offres légales proposées par les grandes maisons d'édition musicale et les principaux sites de vente en ligne (heureusement certains artistes qui vendent eux-mêmes leur musique ont davantage compris les potentialités d'Internet et proposent une offre de téléchargement légal digne de ce nom).

Quelques remarques en vrac :

  • De nombreux auditeurs regrettent la faible qualité du "mp3". Pourtant l'offre légale de téléchargement reste cantonnée à ce format alors qu'à l'heure du (très) haut débit il serait si simple (certains artistes le font déjà) de proposer également, probablement pour un prix légèrement supérieur, des morceaux à télécharger dans un format de meilleur qualité (le "flac" semble avoir actuellement la préférence des spécialistes).
  • La musique n'est pas tout. Il peut être apprécié de disposer en même temps des livrets des albums, que ce soit pour disposer des crédits, des paroles, voire de quelques photos. Pourtant les offres de téléchargement légales ne sont (quasiment) jamais accompagnées par la mise à disposition des livrets (ce qui serait poutant extrêmement simple également).
  • La politique tarifaire du téléchargement est aussi peu réfléchie que le reste. En effet, alors que les prix des CD "physiques" varient énormément (en fonction de l'actualité de l'album, de son succès, etc.), celui des albums à télécharger est à peu près constant (un peu inférieur à 10 €). En conséquence de quoi de nombreux albums, qui ne sont plus considérés comme des nouveautés, sont moins chers en format "physique" qu'en mp3.

Je ne parlerai même pas du fait qu'il y a quelques années, un changement de version du logiciel Windows media player a supprimé toutes les licences des morceaux que j'avais téléchargés légalement, les rendant inutiles.

Bref, si l'on souhaite télécharger des morceaux dans un format de bonne qualité, avec leur livret, sans risque de perdre la possibilité de les écouter après un changement de logiciel, le mieux est de se tourner vers les sites de téléchargement illégaux. Et après, il y a encore des personnes pour s'étonner que le téléchargement légal mis à dispositon par les grandes maisons d'édition et les principales plates-formes de téléchargement ne rencontre qu'un succès limité ? Si l'offre légale était moins indigente, cela ne pourrait qu'améliorer les choses. Encore faudrait-il faire l'effort d'essayer...

vendredi 2 mars 2012

Shalimar the Clown, de Salman Rushdie (2005)

Shalimar the clown fait partie de ces « livres mondes » : Salman Rushdie y recrée un univers d'une richesse et d'une complexité inouïes. Les péripéties entraînent les personnages de l'Alsace et Londres pendant la seconde Guerre mondiale au Los Angeles des années 1990 en passant par le Kashmir, de la première moitié du siècle dernier à nos jours, sans compter de nombreux autres lieux parcourus plus rapidement.

Nous rencontrons Max Ophüls (rien à voir avec le cinéaste de Lola Montès), un diplomate américain, né alsacien, héros de la Résistance, ancien ambassadeur des États-Unis en Inde et ancien chef des services secrets américains, grand séducteur ; sa fille, India, au passé mystérieux, élevé dans le luxe de la Cité des Anges et l'énigmatique Shalimar, apportant dans notre Occident policé le charme et la violence de l'Orient. Ces personnages sont humains, trop humains, dans leurs faiblesses et leurs (més)aventures. Ils sont en même temps « bigger than life » : leurs destins sont extraordinaires (Max est successivement l'un des plus grands héros de la Résistance, invité à Londres par le général de Gaulle, le grand artisan du rapprochement indo-américain, puis as du contre-espionnage), ils personnifient les plus grands sentiments humains, l'amour filial, la volonté de puissance, la vengeance, l'attachement à la tradition.

À travers ces individus à la fois archétypaux et si personnalisés, Salman Rushdie met en scène la folie des hommes. L'Alsace des années 1940 et la folie nazie contre les juifs, le Kashmir d'avant l'indépendance de l'Inde et la Partition (entre le Pakistan et l'Inde en 1947), le Los Angeles des années 1990 et ses émeutes communautaires : l'Homme du XXe siècle n'a pas cessé, avec des luttes communautaristes stériles, de transformer des paradis en enfers. Dans Shalimar the clown, Salman Rushdie prend le Kashmir comme exemple le plus marquant de ces dérives. Cette région paradisiaque des contreforts himalayens abrite depuis des siècles des musulmans, des hindous et des sikhs. Au sein même des villages, ces communautés ont longtemps cohabité sereinement, comme au temps du légendaire roi Zain-ul-Abidin, dont les comédiens du livre aiment tant rappeler les exploits (même si, historiquement, cette cohabitation fut probablement moins facile que les légendes anciennes ne veulent bien le dire...). La Partition de 1947, les guerres indo-pakistanaises successives et les tentatives de contrôle de cette région par Islamabad et New Delhi ont exacerbé les haines entre musulmans et hindous et ont fait de ce coin de paradis un état sous contrôle militaire, ravagé par les raids terroristes et les expéditions punitives de l'armée.

Enfin la langue de Salman Rushdie, d'une grande richesse, extrêmement colorée et au rythme si sensuel, accompagne parfaitement la force et la complexité des péripéties et des sentiments relatés. L'auteur nous fait apercevoir la beauté des paysages, la force des légendes, la richesse culinaire de cette région magique, longtemps hors du temps. Malheureusement, la folie des hommes a rattrapé ce paradis, maintenant perdu. Restent la beauté des légendes et le talent des conteurs...