Après mon post sur "Les mystères des différentes versions de Barbarella, de Jean-Claude Forest", j'ai voulu en savoir plus et je me suis procuré les différentes versions des deux premières aventures de Barbarella... Parlons aujourd'hui de la première, celle qui a lancé le mythe, notamment grâce au fait qu'elle a inspiré le film de Roger Vadim. On dénombre une bonne demi-douzaine de versions différentes.
1) La version initiale a été publiée en 8 épisodes dans V Magazine en 1962, pour un total de 64 pages. Version en bichromie. Je n'ai pas pu me procurer cette version car les numéros de V Magazine sont rares et relativement chers. À cette époque, Jean-Claude Forest menait de nombreuses activités de front (une bande quotidienne dans France Soir, quelques planches de Bicot, des illustrations pour Alfred Hitchock magazine et Bonjour Bonheur, des couvertures pour Le Rayon Fantastique, Le Livre de poche et Fiction. Il considèrera avec le recul que certains dessins de Barbarella n'étaient pas suffisamment réussis et en redessinera quelques-uns pour la parution en album.
Ci-dessous, deux versions de la case centrale de la page 23 : telle qu'elle a été publiée dans V Magazine en 1962 et telle qu'elle a été redessinée pour l'album en 1964.
2) Première publication en album, en 1964, au Terrain Vague. L'album passe de 64 à 68 planches. Cette version est également en bichromie ; chaque chapitre est colorié avec une couleur différente. Comme indiqué plus haut, certains dessins ont été redessinés par rapport à la version de V Magazine. Je n'ai pas acheté non plus cette version, qui se trouve facilement sur Internet, mais à des prix relativement élevés. En revanche, il est très facile de trouver sur la Toile des scans de l'intégrale d'une version en anglais, basée sur cet album initial. Après comparaison détaillée des différentes versions, c'est bien à celle-ci que va ma préférence...
3) En 1968, l'album est réédité chez Eric Losfeld Editeur, avec les photos du film en couverture (il y avait déjà eu une réédition en 1966 ; j'imagine qu'elle était identique à l'édition de 1964). Jean-Claude Forest continue à modifier son œuvre et il faut bien avouer qu'à partir de ce moment, cela ne vas pas améliorer l'album... Suite à des interdictions par la censure et à la sortie du film de Vadim, l'album est modifié : Barbarella n'apparaît plus nue : elle porte toujours au moins une culotte et un soutien-gorge. Le livre est toujours en bichromie.
4) En 1974, l'album est publié au Livre de poche, avec une nouvelle couverture (un simple dessin de Barbarella). Cet album est souvent appelé C'est elle !, à cause du phylactère qui apparaît sur le dessin de couverture (quel titre laid, surtout par rapport aux titres si bien trouvés des autres albums de Forest...). Les ajouts de 1968 sont supprimés. D'après ce que je sais, la bichromie disparaît et les cases sont remontées pour s'adapter au nouveau format.
5) En 1984, Dargaud édite le livre (dans la collection "Les héroïnes de la bande dessinée"), qui est lourdement mis à jour. Le visage de Barbarella est systématiquement modifié, pour lui donner les traits qu'elle a dans Le Semble Lune et Le Miroir aux tempêtes, parus dans l'intervalle. Son visage est donc plus dur : menton plus affirmé, ailes du nez plus marquées et chevelure plus touffue. Alors qu'elle changeait parfois de tenue dans la version initiale, elle conserve maintenant toujours la même combinaison spatiale. L'érotisme est accentué et elle prend des formes. D'autres personnages sont également modifiés, notamment quelques hommes dont la chevelure s'épaissit. Jean-Claude Forest charge en outre la plupart des dessins de hachure supplémentaires. La position de certains phylactères est modifiée. Enfin, l'album est colorié par Danie Dubos. Je dois avouer que je ne suis pas très séduit par ces couleurs : les nombreux dégradés et le choix des couleurs sont parfois étranges.
6) L'album est publié aux éditions J'ai Lu en 1988, à l'époque où les éditeurs, convaincus que les livres de poche constituent un vrai débouché pour les bandes dessinées, rééditent des centaines d'albums dans ce format pourtant si mal adapté (à cause du remontage des planches rendu nécessaire par la différence de taille des pages entre le format original et celui des éditions de poche...).
7) En 1995, les Humanoïdes Associés rééditent les deux premiers volumes en un seul livre. La dégradation de l’œuvre se poursuit : on repart de la version Dargaud, mais en supprimant les couleurs ; les dessins, conçus pour la bichromie y perdent beaucoup en clarté. En outre l'impression est de mauvaise qualité et les traits sont souvent trop peu nets. Résultat : les dessins souffrent d'un réel problème de lisibilité et le trait de Forest, si vif et alerte, n'est pas du tout respecté...
On note donc une dégradation dans les versions successives, légère en 1968, plus nette en 1984 et encore accentuée en 1995... Je ne peux m'empêcher de continuer à m'interroger sur la responsabilité de l'auteur dans ces dégradations. Un commentateur de mon post précédent m'écrivait qu'il était payé à la retouche. Serait-ce suffisant pour expliquer des ajouts maladroits ? Quoi qu'il en soit, pouvons-nous espérer maintenant une version restaurée à l'avenir ? L'idéal serait même un album avec la version de 1964 et des éléments de comparaison avec les autres versions...
(P.S. : Je dois encore noter que L'Art de Jean-Claude Forest, de Philippe Lefèvre-Vakana, est une source d'information et d'images précieuse...)