dimanche 28 septembre 2014

Edmond, un portrait de Baudoin, film documentaire de Laetitia Carton (2014)

Edmond est un long-métrage documentaire consacré à Edmond Baudoin. Lætitia Carton, la réalisatrice, l'a construit comme un dialogue entre elle et lui. Edmond Baudoin a toujours apprécié ce format, la discussion entre lui, ou un personnage dans lequel il met beaucoup de lui-même, et une jeune femme. C'est notamment la forme qu'il a adoptée pour Le Portrait, Les Yeux dans le mur, L'Arleri et quelques passage ses autres livres. Cette fois, le dialogue n'est pas dessiné mais filmé. Il s'ouvre sur Baudoin dessinant Lætitia Carton qui le filme...

Pendant plus d'une heure, nous suivons cet auteur de bande dessinée dans sa vie quotidienne, notamment à Vilars-sur-Var, le village de son enfance dans lequel il revient régulièrement passer des vacances. Nous le voyons se promener sur son chemin de Saint-Jean, dont il a tant parlé. Nous le regardons dessiner à même le sol sur du goudron avec le l'eau, en duo avec Carol Vanni qui improvise des pas de danse. Nous l'écoutons parler de son œuvre, de ses recherches, de la vie et de l'amour.

Ceux qui connaissent bien son œuvre seront en territoire connu : il a déjà abordé ces sujets maintes et maintes fois tout au long de son œuvre (anecdote de l'orage dans Terrains Vagues, vision de l'amour dans l'Arleri, relations avec Étienne Robial, son éditeur chez Futuropolis, dans plusieurs entretiens, etc.). Mais c'est intéressant de découvrir tout cela dans un film ; de voir des images du chemin de Saint Jean et de Vilars sur Var, lieux si importants pour lui ; de découvrir le vrai visage de Carol Vanni, muse et modèle du personnage principal du Portrait ; de la voir danser, elle dont l'art de la danse contemporaine a tant apporté à Baudoin ; de regarder dessiner cet artiste ; de le voir travailler un mur de pierre comme il a raconte que le lui avait appris son grand-père (dans Couma Acò) ; de l'entendre exposer ses idées sur l'amour, ce qu'il avait fait magistralement dans l'Arleri, mais cette fois de vive voix et sans le masque du vieux peintre dont il avait affublé le personnage principal de cet album, etc.

Ceux qui ne connaissent pas, ou peu, Edmond Baudoin pourront découvrir dans ce film un personnage humble et attachant, un artiste toujours en quête, cherchant sans cesse comment représenter la vie dans ses œuvres. Ils le regarderont peindre et auront ainsi un petit aperçu de son immense talent.

Voici donc un film intéressant et plaisant que je recommanderais à tous ceux qui sont curieux d'art et d'humanisme, et qui souhaitent passer plus d'un heure en compagnie d'Edmond, artiste plein d'expérience et au talent immense.

Personnellement, ce film m'a donné très envie de relire certains livres de Baudoin. Rien que pour cela, je suis ravi de l'avoir vu.

(P.S. : Deux autres points à noter : 1) ce film a été rendu possible grâce à un financement participatif ; merci à tous les souscripteurs ! 2) Le film sera projeté en avant -première, le samedi 4 octobre à 10h, pendant le festival du livre de Mouans Sartoux, dans les Alpes Maritimes. Edmond Baudoin et Lætitia y seront.

mercredi 17 septembre 2014

Non-Aventures, de Jimmy Beaulieu (2013)

Non-aventures regroupe l'ensemble des bandes dessinées autobiographiques de Jimmy Beaulieu, auteur québecois. Ces œuvres ont déjà fait l'objet de trois recueils : Quelques Pelures, Le Moral des troupes et Le Roi Cafard. À ma connaissance, seuls les deux premiers ont été publiés en France. D'après ce que j'ai compris, les deux premiers recueils ont été modifiés pour cette reprise en intégrale. Je ne sais pas si une édition française de Non-Aventures est prévue. La plupart de ces récits ont été dessinés au tournant des années 2000) ; le dernier dresse un bilan, forcément provisoire, 10 ans après, en 2013. Les dates ne sont pas anodines : la première période correspond à la fin d'un âge d'or de la bande dessinée autobiographique francophone ; Fabrice Neaud publie son Journal, David B L'Ascension du Haut Mal, etc. 10 ans après, les choses ont bien changé (comme je l'ai déjà écrit plusieurs fois dans ce blog, notamment ici ou ) : les pionniers publient moins (même si la récente publication de Carnation, de Xavier Mussat, vient de contredire partiellement cette affirmation) ; en revanche, une génération d'auteurs dessinent dans leurs blogs ou carnets des récits censément autobiographiques où ils mettent en scène un moi archétypal, impliqués dans des saynètes où l'autodérision est le plus souvent le moteur principal.

Les récits de Jimmy Beaulieu ne relatent pas des drames personnels comme on peut en lire dans les volumes 1 et 3 du Journal de Fabrice Neaud ou dans L'Ascension du Haut Mal. Ils ne tombent pas non plus dans les travers des récits "sympas" où l'auteur fait sourire (ou pas) de travers générationnels. Jimmy Beaulieu parvient à trouver le ton juste pour relater des événements simples , des états d'âme, des doutes : mal-être dû au célibat, interrogations avant un déménagement de Québec vers Montréal, joie de voir arriver le printemps, doutes sur l'intérêt de poursuivre son travail de dessinateur, retrouvailles familiales, temps qui passe dans son quartier, etc. A chaque fois, il parvient en quelques pages à planter une situation et à nous faire partager ses sentiments.

Jimmy Beaulieu est également un excellent dessinateur. Son style, très "croquis", est plein de vie. Qu'il décrive un paysage sous la neige ou une rue de Montréal, quelques traits lui permettent de planter très efficacement le décor.  Enfin (et surtout ?), son dessin est d'une grande sensualité. Il aime croquer de jolies, il le fait avec beaucoup de tendresse et un grand talent.

Je ne peux donc que vous conseiller chaudement de partager ces quelques tranches de vie avec Jimmy Beaulieu. On s'y sent bien comme auprès d'un bon feu lors d'un froid hiver québécois...