samedi 26 septembre 2015

Sherlock Time, d'Alberto Breccia et Hector German Oesterheld (1958)

Sherlock Time relate les aventures d'un retraité argentin initialement paisible, Julio Luna, qui se retrouve entraîné dans d'incroyables aventures mêlant fantastique et science-fiction après avoir acheté une vieille demeure. Celle-ci recèle en effet un incroyable secret, comme le lui expliquera l'énigmatique personnage qu'il y rencontrera, Sherlock Time, et qui deviendra son ami. Cet ensemble de 11 récits complets publiés en 1958 dans la revue Hora Cero Extra constitue un des (nombreux) moments clés dans la carrière d'Alberto Breccia. D'une part, il s'agit de sa première collaboration avec Hector German Oesterheld, avec qui il collabora ensuite sur Mort Cinder et L'Éternaute, deux autres chefs d'œuvre. D'autre part, ce récit constitue le début de son émancipation vis-à-vis des canons traditionnels du dessin de bande dessinée (ou des "historietas", comme on dit en Argentine) et de ses expérimentations toujours renouvelées jusqu'à la fin de sa carrière, en 1993.

Hector German Oesterheld est un très grand scénariste argentin, qui collabora notamment avec Alberto Breccia, Solano Lopez (pour la version originale de L'Éternaute, une des meilleures bandes dessinées de science-fiction que j'ai lues), ou Hugo Pratt (notamment sur Sergent Kirk ou Ernie Pike, même si son nom est quasiment occulté des éditions françaises, qui préfèrent capitaliser sur la notoriété d'Hugo Pratt, et qui ignorent par là complètement le fait que la force de ces récits provient bien plus des scénarios puissants d'Oesterheld que du dessin encore maladroit et souvent paresseux d'Hugo Pratt à l'époque). On sent dans les récits indépendants de Sherlock Time l'influence des grands nouvellistes fantastiques ou policiers du XIXème siècle, tant européens (d'Edgar Allan Poe à Arthur Conan Doyle) qu'argentins (de Leopoldo Lugones, trop méconnu de ce côté de l'Atlantique, à Jorge Luis Borges). On retrouve la lenteur des entrées en matière et l'importance d'un personnage narrateur au sein du récit : les premières pages des récits mettent souvent en scène Julio Luna et Sherlock Time discutant entre eux de phénomènes étranges. Les mystères ne sont souvent que partiellement éclaircis, en fonction de ce que Sherlock connaît ou veut bien expliquer en conclusion de chaque aventure. Ce rythme lent au début et qui s'accélère lorsque l'on entre au cœur de l'intrigue, cet aspect littéraire des intrigues, ainsi bien sûr que le dessin si particulier de Breccia, permettent de développer une atmosphère mystérieuse et souvent angoissante, extrêmement adaptée à ces nouvelles fantastiques. Hector German Oesterheld se montre ici le digne héritier des grands nouvellistes dont il s'inspire (ce dont se souviendra Hugo Pratt, notamment lorsqu'il adaptera, le plus souvent sans le dire, mais parfois avec une grande fidélité, des nouvelles de Robert Louis Stevenson ou de Jorge Luis Borges dans certains récits de Corto Maltese).

Pendant les premières années de sa carrière, Alberto Breccia était un solide dessinateur réaliste, capable d'illustrer avec beaucoup de métier les récits de genre qui lui étaient confiés, qu'il s'agisse d'intrigues policières ou de récits de guerre (comme le montre par exemple le recueil Diario de Guerra). À partir de Sherlock Time, il va aller plus loin. Pendant tout le reste de sa carrière, il ne cessera plus d'expérimenter de nouvelles techniques, passant du noir et blanc à la couleur en passant par le lavis expressionniste de Perramus, utilisant les outils et les techniques les plus divers (papiers découpés, encrage à la lame de rasoir, etc.). La première innovation marquante dans Sherlock Time est le dessin de paysages mystérieux, que ce soit dans les faubourgs de Buenos Aires ou dans l'espace. Le trait jusque là si précis de Breccia devient volontairement beaucoup moins net, les contours s'estompent et l'impression de mystère et d'inconnu grandit, comme le montre la deuxième bande de la planche ci-dessous.

Une deuxième innovation intéressante est celle de la vision subjective du personnage principal, Juio Luna, surtout lorsqu'il se retrouve face à des phénomènes qu'il ne comprend et qu'il perd connaissance : gros plans, rotation de l'image, dessins abstraits, Breccia multiplie les moyens pour nous faire partager les impressions ressenties par son héros.

Le point de départ d'une grande collaboration, le début des fantastiques expérimentations d'Alberto Breccia et des nouvelles à la hauteur des grands prédécesseurs d'Oesterheld, Sherlock Time est bien un chef-d'œuvre méconnu de la bande dessinée mondiale.

P.S. 1 : Malheureusement, cet album, comme de nombreux autres de Breccia, n'a, à ma connaissance, jamais été édité en français ; et la version espagnole est épuisée depuis longtemps. J'ai donc dû me rabattre sur la seule version actuellement disponible, en italien...

P.S. 2 : Si vous voulez lire un des récits de Sherlock Time, l'un d'entre eux, Le Tramway, est disponible ici (en espagnol) sur l'excellent site consacré à Breccia.

mercredi 16 septembre 2015

Edmond, un portrait de Baudoin, le film, sort en salles le 30 septembre 2015

Je vous ai déjà parlé du très beau long-métrage documentaire que Laetitia Carton a consacré à l'auteur de bande dessinée Edmond Baudoin. J'avais eu la chance de le voir en DVD et j'avais écrit dans ce blog tout le bien que j'en pensait. Et bien ce film sort enfin en salles le 30 septembre ! Vu la beauté de certaines images (des superbes paysages autour de Villars-sur-Var, le village de son enfance, dans lesquels Baudoin aime se promener, à ses dessins, que nous le voyons en train de réaliser), voir ce film sur grand écran sera probablement une très bonne façon d'en profiter au mieux.

Rendez-vous dans les salles obscures dans quelques jours !