mardi 29 mai 2012

Bollywood, festival de Cannes et poncifs

Trois films indiens étaient présentés au festival de Cannes cette année. Ce fut l’occasion pour nombre de journalistes d’avouer leur manque de connaissance du pléthorique cinéma indien, voire d’aligner les poncifs sur Bollywood.

Or le cinéma indien vaut beaucoup mieux que ces poncifs. Je connais peu le cinéma indien indépendant (exception faite des magnifiques films de Satyajit Ray, déjà anciens). En revanche, j’ai vu un grand nombre de films de Bollywood. Et, parmi eux, j’ai pu découvrir de très nombreux excellents films, à défaut, probablement, de réels chefs-d’œuvre. Certes, la majeure partie de la production est fondée sur des situations stéréotypées, une esthétique kitsch et des chansons répétitives. Mais que m’importe cette majorité si je parviens à voir quelques films qui s’élèvent loin au-dessus du lot ? Je dois avouer en préambule que j’ai, de façon générale, une très grande attirance pour l’Inde, sa culture, son mode de vie. Regarder des films bollywoodiens me permet de me replonger dans les ambiances si particulières de ce pays. Je ne pense cependant pas que cela annihile entièrement mon sens critique ni que cela décrédibilise complètement les quelques remarques qui vont suivre.

Il faut tout d’abord noter que les caractéristiques principales du cinéma bollywoodien, souvent considérées comme des facteurs à charge, peuvent, lorsqu’elles sont bien employées, constituer de réelles forces.

Premier poncif : Ces films sont longs, approchant souvent les trois heures, avec un entracte à mi-parcours. Ceci leur permet de développer davantage leurs intrigues. Cela peut se faire notamment en ajoutant des digressions (les numéros chantés sont les plus courants, j’y reviendrai) ou en multipliant les registres : il n’est pas rare, dans un même film de passer du comique le plus burlesque au drame le plus larmoyant, du suspens le plus haletant à la comédie romantique. Cette utilisation concomitante de registres divers, lorsqu’elle est utilisée à bon escient, ajoute une touche d’humanité aux intrigues. Une autre façon de tirer parti de cette durée de trois heures et de cet entracte est de changer de registre, plus ou moins radicalement, avant et après l’entracte : Ainsi Fanaa est une comédie romantique avant l’entracte et un film d’action après ; de même Ghajini est une comédie romantique avant l’entracte et un thriller après ; Saathiya présente un autre cas intéressant : la première partie du film est une comédie romantique qui se conclut par le mariage des deux jeunes premiers, la seconde partie s’intéresse à ce que l’on nous montre trop rarement, ce qui se passe après le mariage, lorsque l’amour est confronté à la réalité du quotidien.

Deuxième poncif : L’esthétique est kitsch. Les Indiens aiment généralement les couleurs ; pour s’en convaincre, il suffit de voir la beauté colorée des saris ou leur affection pour Diwali, la fête des couleurs. Les films de Bollywood profitent de cette richesse colorée pour offrir des images chromatiquement très riches. Ils tirent également parti de la beauté des paysages et des monuments indiens pour proposer des images parfois kitsch, certes, mais souvent magnifiques. Dans Fanaa, par exemple, la grâce multiséculaire des plus beaux monuments de Delhi (du Qutub Minar au tombeau d’Humayun) et les blanches immensités du Cachemire nous offrent des images magnifiques et variées de l’Inde.

Troisième poncif : De nombreuses chansons ralentissent l’action. Certes, il s’agit de comédies musicales, genre roi à Hollywood il y a un demi-siècle, moins bien considéré depuis. À ; Bollywood, les chansons sont rarement pleinement intégrées à l’action, il s’agit davantage de rêves, de variations autour des pensées les plus intimes des protagonistes. Et les compositeurs travaillant actuellement à Bollywood sont parfois très bons. Il faut notamment citer A.R. Rahman, probablement un des meilleurs compositeurs de musique populaire dans le monde à l’heure actuelle (il a notamment été rendu populaire en Occident pour sa B.O. de Slumdog Millionaire, qui n’est pourtant pas du tout ce qu’il a composé de plus intéressant). Ses morceaux ont su intégrer les apports de la musique occidentale sans renier les riches traditions musicales du sous-continent indien.

Quatrième poncif : L’histoire est toujours la même. Ce poncif est peut-être celui qui est le plus reproché à la production bollywoodienne. Or il est clairement erroné. Traditionnellement, les thèmes dominants sont ceux de la comédie romantique, les conflits entre les mariages arrangés par la famille et les histoires d’amour. Le cinéma bollywoodien a d’ailleurs produit quelques-unes des meilleures comédies romantiques que je connaisse (Dil To Pagal Hai, Kuch Kuch Hotai Hai notamment). Mais le cinéma bollywoodien ne peut se résumer à cela. Il a déjà produit de très nombreux films de genre : films de gangsters, de science-fiction, films historiques (parmi lesquels on peut citer les excellents Jodha Akbar, sur l’amour entre Akbar, le grand empereur Moghol musulman, et Jodha, sa femme, princesse Rajput hindoue, ou Mangal Pandey: The Rising sur la révolte de 1856 contre l’occupant anglais, sanglante et vite réprimée). Et, surtout, il aborde parfois frontalement de nombreux thèmes très prégnants dans la société indienne contemporaine : les tensions communautaires, principalement entre Hindous et Musulmans (Delhi 6 avec son récit si girardien : un individu tente de réconcilier deux communautés en créant un bouc émissaire ; la rivalité mimétique entre les deux communautés conduit à une crise mimétique de plus en plus violente où l’indifférenciation va croissant et qui aboutit à la mise à mort du bouc émissaire, puis à la réconciliation de tous autour du corps inanimé de celui-ci), le terrorisme et les affrontements armés actuellement en cours au Cachemire (Fanaa) ou dans les territoires du Nord-Est (Dil Se), la corruption des élites (Rang de Basanti), la difficile montée en puissance économique des classes sociales les moins favorisées (Guru), l’ostracisme des États-Unis vis-à-vis des Musulmans et des Orientaux en général depuis le 11 septembre 2011 (My Name is Khan), l’aide au développement que peut apporter un ingénieur Indien éduqué aux États-Unis dans un village indien rural (Swades), etc. Les films de Bollywood se montrent extrêmement fiers de l’Inde, de sa culture, de sa beauté, de son développement, tout en étant très critiques sur les principaux maux actuels de la société indienne.

Les bons films bollywoodiens peuvent être excellents, et n’ont clairement pas à rougir devant les blockbusters d’Hollywood ou les grands succès du cinéma français. Ils présentent des caractéristiques marquées, qui leur permettent de conserver une identité nationale forte (évitant ainsi de se fondre dans la soupe culturelle mondialisée qui se répand de plus en plus) et qui, bien employées, permettent de contribuer à produire des films très agréables et de réintroduire dans le cinéma des notions de détente, de merveilleux, de glamour et de rêve qui ont été la marque de fabrique de l’Hollywood des années 1940 à 1960 mais qui semblent parfois bien loin aujourd’hui.

Je précise encore une fois, que les films dont je parle aujourd’hui ne sont par forcément des chefs-d’œuvre immortels du 7e Art (je répète toutefois que je ne connais pas le cinéma indien indépendant contemporain). Mais ils offrent aux passionnés de cinéma un continent à découvrir, qui vaut beaucoup mieux que les poncifs répétés à son sujet…

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