Écrire que l’œuvre de Jean Giraud / Moebius (1938-2012) est complexe et multiforme relève de l’évidence. Non seulement il a mené deux carrières parallèles : celle de Jean Giraud, consacrée essentiellement à Blueberry et celle de Moebius, consacrée à de nombreuses œuvres diverses, abordant le cinéma ou le jeu vidéo en plus de la bande dessinée (il a même essayé d’amorcer une troisième carrière, graphiquement intermédiaire, sous le pseudonyme de « Jean Gir ») ; mais en plus, au sein même de ces deux carrières parallèles, il n’a eu de cesse de se remettre constamment en question, renouvelant régulièrement son style (ses styles, devrais-je sans doute dire). À quelques années, voire de mois, d’intervalle, il était capable de pousser ses recherches graphiques et narratives dans des directions extrêmement variées.
Depuis des années, j’essaie de m’y retrouver au sein de ce labyrinthe complexe et d’une richesse inouïe, tentant de repérer les points d’inflexion dans le parcours de jean Giraud, d’en appréhender les recherches parallèles ou successives, d’en comprendre les évolutions, les repentirs, etc. Pour ce faire, j’ai divisé sa carrière en plusieurs périodes (avec forcément une certaine dose d’arbitraire) que je vais décrire succinctement dans quelques posts : 1956-1966 : Les années d’apprentissage ; 1968-1972 : Tout pour Blueberry ; 1973-1980 : Moebius et l’explosion baroque ; 1980-1990 : La quête de l’épure, l’époque classique ; 1991-2001 : En quête d’un nouveau souffle ? 2002-2012 : Les années de synthèse.
Les années d’apprentissage (1956-1966)
Publications principales :
- Publications dans diverses revues de 1956 à 1962 ;
- Blueberry (tomes 1 à 6) : premier cycle des guerres indiennes et L’Homme à l’étoile d’argent.
L’éclosion du talent de Jean Giraud fut progressive. De 1956 à 1962, il a publié de nombreux récits complets dans plusieurs revues (Fripounet et Marisette, Cœurs Vaillants, Bonux Boy…), souvent des westerns. Son style est encore assez malhabile et ces récits n’ont pas été réédités depuis leur parution initiale.
Le premier grand changement a lieu lorsque Jijé le prend sous son aile et lui fait encrer un épisode de Jerry Spring, La Route de Coronado. Puis, en 1963, c’est le début de la grande aventure de Blueberry. Jean-Michel Charlier lui offre sa chance en le faisant dessiner cette série western dans le jeune hebdomadaire Pilote. Pendant des années, Jean Giraud se consacre alors essentiellement aux aventures de ce militaire atypique. Sur un scénario encore très classique de Jean-Michel Charlier, son dessin reste traditionnel. Très proche de celui de son maître Jijé au début du premier cycle des guerres indiennes (cinq albums prépubliés dans Pilote de 1963 à 1965), il acquiert progressivement sa propre personnalité. Les premiers albums restent encore maladroits : le dessin des visages manque de stabilité, les décors sont souvent frustres. Progressivement, Jean Giraud parvient à dompter son instabilité graphique, ses difficultés à reproduire les traits de ses personnages de façon stable (il dut cependant lutter contre ce travers tout au long de sa carrière) ; grâce à l’apprentissage avec Jijé, son encrage au pinceau s’est amélioré ; il va l’enrichir peu à peu, notamment en ajoutant des hachures, souvent à la plume.
Quoi qu’il en soit, ces premiers albums (les cinq du premier cycle des guerres indiennes puis L’Homme à l’étoile d’argent ne laissent pas encore pleinement transparaître le futur talent du dessinateur. Cela va rapidement changer avec les quatre albums suivants, qui constituent le deuxième cycle des guerres indiennes.
(À suivre...)