jeudi 29 août 2024

Exceptionnelles expositions "La bande dessinée à tous les étages" au Centre Pompidou

Du 29 mai au 4 novembre 2024, le Centre Pompidou, à Paris, plus grande institution française concacrée à l'art contemporain, mettait la bande dessinée à l'honneur, avec plusieurs expositions dans un cadre global intitulé à juste titre "La bande dessinée à tous les étages".

L'exposition principale, "Bande dessinée, 1964 - 2024", occupait tout le 6ème étage du musée et avait pour objectif de présenter un panorama des plus belles oeuvres de la bande dessinée internationale depuis 1964 (si on veut pinailler, on peut noter que la limite de 1964, commode pour établir une période claire couvrant six décennies jsuqu'à aujourd'hui n'était pas toujours respectée ; l'exposition s'ouvrait par exemple avec plusieurs couvertures de Fred pourHara Kiri légèrement antérieures). Plus sérieusement, la date de 1964 permettait de débuter l'exposition avec des revues d'avant-garde venant des trois continents : Hara Kiri en France (de très belles couvertures de Fred, quelques superbes dessins de Reiser et Gébé, entre autres), Garo au Japon (couvertures exceptionnelles en couleurs de Shirato Sanpei, auteur de Kamui Den et plusieurs comix underground autour de Robert Crumb ; dans la même salle, le travail de l'éditeur Losfeld (Barbarella de Jean-Claude Forest, Lone Sloane de Philippe Druillet, etc.) et du groupe Bazooka renforçait l'idée que ces années avaient permis l'émergence d'une bande dessinée plus mature aux quatre coins du monde. Le reste de l'exposition présentait une très riche sélection de planches et de douments inédits des quatre coins du monde (des grands classiques, Hergé, Franquin, Uderzo, Moebius, aux auteurs plus récents, Edmond Baudoin ou Fabrice Neaud, avec également des auteurs venant de plus loins tels qu'Osamu Tezuka, Alberto Breccia ou Will Eisner et bien d'autres encore, il faudrait tous les citer) accompagnés d'extraits vidéo de grande qualité. Et l'exposition s'achevait sur deux superbes fresques murales réalisées par Chris Ware spécifiquement pour l'occasion.

Au cinquième étage, les collections permanentes du musées (Matisse, Picasso et bien d'autres) étaient présentées à leur place habituelle, et des groupes d'oeuvres de bande dessinée y étaient mêlées, établissant ainsi des correspondances parfois bien vues (quelques belles planches de David B sur des auteurs surréalistes, par exemple, faisaient face à la reconstitution du bureau d'André Breton).

À la bibliothèque du musée était présentée une belle exposition sur Corto Maltese. Une exposition pour enfants et une autre sur la revue Lagon venaient compléter cet ensemble extrêmement riche.

Que retenir de tout ceci, à part bien sûr le fait que cette exposition apporte une reconnaissance institutionnelle de grande qualité à la bande dessinée ? Il faudrait tout citer. À titre personnel, j'ai été particulièrement sensible aux carnets de Fabrice Neaud et d'Edmond Baudoin (de magnifiques planches en couleurs issues de l' Arleri). J'ai profité de quelques planches en couleurs directes dont les subtilités disparaissent dans les albums imprimés (par exemple des dessins de Moebius et d'Alberto Breccia). J'ai longuement parcouru les deux fresques murales inédites de Chris Ware. Enfin j'ai contemplé les strips gigantesques de Jean-Claude Forest, tirés d'une version inédite du troisième album de Barbarella, Le Semble lune (il s'agit de la version pensée pour être publiée sous forme de strips quotidiens dans la presse ; elle fut modifiée, parfois lourdement, pour être publiée directement en album).

lundi 22 janvier 2024

Chumbo, de Matthias Lehmann (2023)

J’avais déjà lu quelques ouvrages de Matthias Lehmann (l'excellente La Favorite entre autres) dont j’avais beaucoup apprécié, notamment, le dessin richement hachuré. Mais je connaissais globalement assez mal son œuvre.

Voyant que Jean-Christophe Menu, entre autres, recommandait très chaudement son dernier ouvrage, Chumbo, j’ai fini par l’acheter. Je viens de le lire avec beaucoup d’intérêt et énormément de plaisir.

Cet ouvrage massif (360 pages, parfois très denses, avec de nombreux personnages) relate la vie compliquée d’une famille brésilienne entre 1937 et 2003. La postface de l’auteur suggère qu’il s’est assez largement inspiré de la famille de sa mère.

Nous suivons donc les mésaventures d’Oswaldo Wallace, riche industriel de Belo Horizonte, dans le Minas Gerais, de sa femme, et de leurs enfants, deux garçons, Severino et Ramires, et trois filles, Adélia, Ursula et Berenice. Dès les années 1930, ces enfants croisent d’autres personnages, l’associé de leur père, l'un de ses hommes à tout faire, une famille de ses ouvriers, qu’ils recroiseront tout au long de leurs vies, dans des circonstances extrêmement variées. Les choix politiques des deux aînés, à deux opposés du spectre politique, leur feront vivre des situations très contrastées.

La diversité des personnages, la variété des choix de vie effectués par ceux-ci, permettent de dresser un tableau très riche de l’Histoire du Brésil pendant plus de 60 ans, avec une attention particulière sur la période de la dictature militaire qui a sévi au Brésil entre 1964 et 1983.

Matthias Lehmann nous offre ainsi un récit historique particulièrement réussi, dans lequel la petite histoire se mêle à la grande, pour en mettre en lumière certains aspects ; dans lequel l’humanité et la variété des personnes viennent faire prendre conscience de la complexité des événements historiques.

Pour conduire efficacement ce récit assez dense, l’auteur multiplie les modes de narration et les compositions, alternant dessins en pleine page et planches découpées en de nombreuses cases, passages muets et pages au texte bien fourni, événements tragiques et épisodes grotesques, etc. Le tout dans un noir et blanc sobre et élégant aux hachures rappelant la gravure sur bois, si caractéristiques de son style.