mardi 9 février 2010

Peau d'âne (2010), ou Charles Perrault raconté par Edmond Baudoin

Baudoin vient de publie une adaptation du Peau d'âne de Perrault.


J'ai parfois entendu, au début des années 2000, que Baudoin ne se renouvelait plus, qu'il publiait trop, qu'il ressassait toujours les mêmes thèmes (bref, que c'était mieux avant...). À la décharge de ces critiques, nostalgiques de la période Futuropolis de Baudoin ou de ses premiers albums à l'Association, je veux bien admettre que Les yeux dans le mur ou Araucaria , notamment, bien que très honorables, ne figurent pas au rang des chefs-d'oeuvre de Baudoin.

Il faut de toute façon bien noter que la force de Baudoin ne provient pas en premier lieu de ses récits, ni de son discours. Il traite plus ou moins toujours des mêmes sujets, tournant autour de quelques questions très simples, voire basiques (mais très peu traitées en bande dessinée avant lui) : comment dessiner la vie ? quelle est ma relation à l'Autre, notamment à la (aux) femme(s) aimée(s) ? qu'est-ce que la beauté ? peut-on s'épanouir humainement dans des zones urbaines déshéritées ? comment revenir à une vie plus proche de la nature ? Si l'on se cantonne à juger l'oeuvre de Baudoin en étudiant les sujets qu'il aborde, il peut en effet donner l'impression de tourner parfois en rond.

Mais ce qui rend Baudoin incomparable, c'est son dessin exceptionnel, et, surtout, sa constante et toujours renouvelée recherche de la meilleure adéquation entre ses questions quasi obsessionnelles et la forme de la bande dessinée. Ses sujets ne sont pas forcément originaux (si l'on ne se contente pas de regarder le monde de la bande dessinée) mais la façon dont il les aborde, notamment dans Un Rubis sur les lèvres, Le Portrait, Véro ou L'Arleri, n'a pas d'équivalent dans la bande dessinée francophone par son originalité, sa force narrative et son inventivité formelle.

Cette introduction peut donner l'impression de nous avoir un peu éloigné de mon sujet d'aujourd'hui, le nouvel album de Baudoin. En fait, pas tant que cela... Car encore une fois, Baudoin révèle tout son talent à mettre ses dons de dessinateur et de narrateur au service du récit qu'il narre, les adaptant magistralement à un genre nouveau pour lui, celui du conte de fée...


Baudoin met en scène Peau d'âne, le célèbre conte de Perrault ; ou, plutôt, il met en scène un père narrant, soir après soir, ce conte à sa fille. Après chaque épisode du récit s'intercale un rêve de la fillette, dessiné de façon enfantine, en couleurs directes.

Baudoin réussit ici un album en se renouvelant encore une fois et en adaptant totalement son dessin et sa narration aux impératifs d'un conte de fée. Il joue la carte du féérique jusqu'au bout : la princesse, la plus belle et la plus pure fille du monde, dans un pays merveilleux, avec son beau cheval "Tempête", la sorcière, le prince charmant, etc. Bien, me direz-vous, mais que peut apporter Baudoin à ce style archi-conventionnel ? Eh bien, parler de la plus belle et de la plus pure fille du monde, sur son beau cheval noir, est une chose ; la dessiner en est une autre... Comment faire rêver sans tomber dans le convenu ou le mièvre ? Je ne donnerai qu'un autre exemple : je ne sais pas si vous vous souvenez, mais à un moment du récit, Peau d'âne demande à son père des choses qu'elle pense impossibles : une robe couleur du temps, une autre couleur de soleil et une troisième couleur de lune... Il faut probablement avoir une bonne dose d'inconscience pour oser, comme le fait Baudoin dans cet album, dessiner ces trois robes, censées représenter ce qu'il y a de plus beau et de plus immatériel... en trois pleines pages, nous pouvons admirer ces trois vêtements fabuleux.

Baudoin perfectionne son usage de la couleur depuis Les Yeux dans le mur. Il en montre maintenant toute sa maîtrise : de robes merveilleuses en orageuses nuits de fuite, de clairière enchanteresse en soirs de fêtes, de joies en deuils, la palette de Baudoin est d'une richesse inouïe, les techniques et les ambiances varient sans cesse pour coller au plus près à l'histoire.

Jusqu'à maintenant, un des principaux leitmotives de Baudoin était : "Comment dessiner la vie ?" Dans cet album il va plus loin, et se demande : "Comment dessiner le rêve ?"

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