mardi 11 février 2020

Décès de Claire Brétécher (1940-2020)

Claire Brétécher vient de mourir. C’était vraiment un personnage hors norme du monde de la bande dessinée francophone. Bien sûr, c’était une femme à une époque où les autrices étaient exceptionnelles dans le petit monde de la bande dessinée. Elle a réussi à s’élever à la hauteur des plus grands auteurs de son époque. Et certains de ses collègues masculins, Marcel Gotlib en tête, ne cessaient de vanter à la fois son talent et sa beauté...

Mais c’est d’abord par son talent, très grand et tout à fait original qu’elle a marqué son époque.

Son trait, d’apparence très spontané et peu généreux pour ses personnages, détonnait au milieu du dessin humoristique classique de ses collègues, qui s’inspiraient presque tous de Hergé ou de Franquin, voire d’Uderzo dans une moindre mesure. Elle débuta dans Tintin à partir de 1965 puis dans Spirou à partir de 1967. Elle fut ensuite invitée par René Goscinny, qui avait l’œil pour repérer les talents originaux, pour prendre part à l’aventure du journal Pilote de la grande époque. Elle en partit pour fonder en 1972, avec Nikita Mandryka et Marcel Gotlib, L’Écho des savanes, l’une des premières revues fondées par des auteurs iconoclastes qui allaient révolutionner la bande dessinée dans les années 1970. Elle fut également appelée par Franquin, l’un de ses très nombreux admirateurs, pour participer à l’expérience du Trombone Illustré en 1978.

Surtout, elle a insufflé dans la bande dessinée francophone un souffle de critique sociologique qui y était inconnu jusqu’alors. Ses Frustrés firent les beaux jours du Nouvel Observateur et proposaient chaque semaine à ses lecteurs le portrait d’une certaine bourgeoisie intellectuelle contemporaine (on ne parlait pas encore de « bobos » à l’époque) dans des saynètes très drôles et bien senties, avec un ton jamais vu dans les séries de ses collègues (l’œuvre la plus proche était probablement les tout aussi formidables Explainers de Jules Feiffer, de l’autre côté de l’Atlantique). Roland Barthes la considérait même comme « la plus grande sociologue de l’année 1975 ».

Il n’y eut pas que cela : la médiévale Cellulite, l’adolescente Agrippine, le « bobologue » docteur Ventouse étaient également très drôles et en phase avec leur époque.