lundi 30 septembre 2013

Universal War Two, tome 1 : Le temps du désert, de Denis Bajram (2013)

C'est peu de dire que Le Temps du désert, premier tome d'Universal War Two, la deuxième saga de six tomes qui constitue la suite du déjà classique Universal War one, était fortement attendu (il a notamment fait l'objet de deux couvertures de Casemate, d'une couverture de L'Immanquable et d'une de Zoo...). En 6 tomes publiés entre 1998 et 2006, Denis Bajram nous avait en effet offert avec Universal War one l'un des plus grands cycles de science fiction de la bande dessinée. Voici donc le début de ce nouveau cycle, annoncé depuis longtemps. l'auteur a déjà maintes fois déclaré avoir conçu trois cycle en même temps : Universal War One (UW1, pour les connaisseurs), mettant en scène une guerre embrasant le système solaire, UW2 qui s'élargissait à une dimension plus large et UW3 dans lequel seraient remis en cause les fondements mêmes de l'univers...

Denis Bajram nous a déjà prouvé, avec Universal War One, qu'il était un excellent auteur de science-fiction. Le plus dur maintenant est de réussir un second cycle aussi passionnant que le premier, en capitalisant sur les richesses de l'univers en place, mais sans se répéter...

Dans ce premier tome d'UW2, les parallèles avec le premier tome du cycle précédent sont nombreux : l'escadrille de rebelles Purgatory laisse la place au personnage de Théa, jeune femme en révolte contre sa famille et son milieu social, descendante de Kalish. Une série de triangles sortis du soleil sont le nouveau danger incompréhensible qui se substitue au mur inconnu apparu à proximité de Saturne dans UW1. Mais la tension est encore montée d'un cran par rapport au premier cycle: c'étaient alors la survie de planètes du système solaire qui étaient en jeu ; maintenant, avec le risque que le 'wormhole' destructeur placé au coeur du soleil par les CIC à la fin du premier cycle, c'est tout le système solaire qui joue sa survie. Sans compter que les deux premières pages du Temps du désert font apparaître des créatures étranges, probablement extraterrestres.

La fin d'UW1 avait pu sembler un peu naïve, avec la création par Kalish de Canaan, société apparemment idyllique, capable d'apporter paix et harmonie au monde. Le début de ce nouveau cycle montre que la situation est beaucoup plus compliquée que ce que pouvait laisser présager cette fin idyllique : Canaan a certes vaincu les CIC (compagnies industrielles de colonisation) et leur dictature orwellienne. Mais elle n'a as réussi à se faire accepter des populations. Elle apparaît donc comme une armée d'occupation, qui ne reste en place que grâce à ses 300 ans d'avance technologique. Les membres de Canaan ont d'ailleurs tendance à se croire très supérieurs aux peuples qu'ils régentent, et à les mépriser plus qu'à les traiter en égaux ; ce qui conduit à des effets ravageurs, incluant des actes terroristes sanglants et aveugles. Bien entendu, toute ressemblance avec des faits tirés de l'actualité récente (ou moins récente) ne sont que pure coincidence... C'est sur un fond de situation politique déjà extrêmement tendue qu'apparaissent ces mystérieux triangles issus du soleil, alors que les scientifiques de Canaan cherchait justement à sauver l'astre solaire des dégâts dus au 'wormhole'. Nous suivons dans cet album les mésaventures de Théa, jeune descendante de Kalish, travaillant sur Mars comme professeur, en rebellion contre les membres de sa famille et leurs comprtenments militaristes et méprisants pour les populations locales.

Quant à la mise en page et au dessin, ils sont toujours aussi réussis. Compositions variées, mouvements, jeu sur les couleurs dominantes (l'ocre tirant vers le rouge pour Mars et son atmosphère étouffante, le noir pour les scènes dans l'espace, etc.), vaisseaux imrpessionants... sur ce point-là non plus, Denis bajram ne déçoit pas.

Un excellent début de cycle. Et, comme d'habitude dans ce genre de cas, cet album superbement maîtrisé donne très, très envie de connaître la suite...

samedi 28 septembre 2013

1993-2013 : Alberto Breccia, 20 ans après

Alberto Breccia est mort il y a 20 ans déjà, en 1993. À cette occasion, le site consacré au maître uruguayen a eu la bonne idée de poser quelques quelques à plusieurs personnalités du monde de la bande dessinée, auteurs, critiques... Ces entretiens sont disponibles ici. Sont déjà disponibles les entretiens avec Juan Sáenz Valiente, Carlos Nine (en espagnol et en français, traduit par votre serviteur), Lucas Nine (en espagnol seulement) et Thierry Groensteen. D'autres doivent suivre.

samedi 7 septembre 2013

Quanticafrique (Nu-Men 2), de Fabrice Neaud : Suite de l'entretien avec Fabrice Neaud

Voici la suite de l'entretien avec Fabrice Neaud à propos du deuxième tome de Nu-Men, Quanticafrique.

Le début de cet entretien est ici.

Sébastien Soleille : Un élément qui me frappe dans Nu-Men est l'attention que vous apportez aux vues panoramiques urbaines (cela commence avec la pleine page sur une métropole européenne partiellement en flammes au début de Guerre Urbaine et se poursuit tout au long du récit). Pour ces superbes paysages urbains, vous inspirez-vous des travaux d'architectes que vous appréciez ?

Fabrice Neaud : Oui. Je fais plus que m'inspirer de l'architecture existante, et notamment de l'architecture contemporaine. Concernant le commissariat du début du tome 2, je cite quasi tel quel le Phaeno Science Center de Zaha Hadid. J'aime beaucoup cette architecte d'origine irakienne. Elle a un travail à la fois monumental et organique, même si cela semble peu évident sur ce bâtiment...

Mais elle intervient également dans le design d'objets, ce qui fait que même les petits véhicules qu'empruntent Tamara et Charles à la fin de la première scène sont directement inspirés de formes sur lesquelles elle travaille, si ce n'est de véhicules qu'elle a aussi projetés. L'hôpital Boris Cyrulnik, quant à lui, est aussi une quasi citation du Leed Platinum Horizontal Skyscraper de Steven Holl. Je n'ai pas arrêté, notamment dans ce tome, de puiser dans une documentation sur l'architecture contemporaine dont je suis friand. Je dois avoir deux ou trois rayonnages complets, double épaisseur, de livres d'architecture et de paysages, urbains ou non. Le mystère s'épaissit sur l'apparition du portail gothique dans le tome 1... mais je sais exactement où je vais avec ça... et j'en rajoute une couche dans ce deuxième tome. Le lecteur saura où.

Sébastien Soleille : Pouvez-vous maintenant nous dire quelques mots de vos influences liées à la bande dessinée ? J'ai cru percevoir l'influence de Katsuhiro Ōtomo dans le premier tome (scène de l'effondrement de l'immeuble) et de certains comics Marvel (avec par exemple le personnage du "Cramé" qui fait un peu penser à "Crâne rouge"). En voyez-vous d'autres ?

Fabrice Neaud : Léo, avec l'extraordinaire triptyque Aldébaran, Bételgeuse, Antarès, Bourgeon avec Le Cycle de Cyann (même si le dernier tome me paraît bien plus faible que les précédents)... Mais j'ai beaucoup regardé Christophe Bec, que je connais personnellement. Je me suis même odieusement inspiré de certaines cases et lumières lui appartenant (pardon Christophe). Katsuhiro Ōtomo est vraiment loin de moi, maintenant... Et, honnêtement, je n'ai pas du tout fait attention à lui avec la case que vous soulevez... Au contraire, celle-ci est issue d'une documentation photographique issue du net où j'ai fait de nombreuses recherches autour des mots clefs "banlieue/émeutes/ruines/guerre/guérilla"... Ce que bien des auteurs font sans oser vraiment l'avouer. Je n'ai aucun scrupule, aucune hésitation et aucun souci à m'inspirer de toute source iconographique possible. Aussi "faciles" soient-elles en apparence.

Concernant le "Cramé" (dont je n'ai encore défini aucune identité), il fait une référence directe à Crâne rouge, c'est absolument évident... Et je dois dire que c'est un personnage assez "facile". Je le regrette un peu. Sa ressemblance avec Crâne rouge est même trop forte... Cela vient que, même s'il paraît être l'incarnation du "génie du mal" dans ces deux tomes, il n'en était rien dans mon esprit. Pour moi, c'est un sous-fifres, un personnage totalement secondaire... un pantin. Une sorte de vieil officier d'on ne sait même pas quel pays, mercenaire, psychopathe, utilisé pour ses talents de manipulateur et de chef dans un des nombreux laboratoires de la Voûte... Comme, dans mon idée, les trois tomes possibles de ce premier arc de Nu-Men ne sont qu'une mise en place, il est évident qu'il y a des dizaines d'autres laboratoires "clandestins" qui travaillent sur les mêmes expériences que celui-ci... Les Commanditaires qui règnent au-dessus de ce projet sont infiniment plus nébuleux, pervers et puissants que ce pauvre militaire dégénéré. C'est pour ça que je l'ai assez peu travaillé... et que je lui ai laissé l'apparence d'une citation directe de Crâne rouge. Je le regrette un peu... car tout le monde me dit désormais "Crâne rouge, Crâne rouge !...", en se moquant un peu, car ce personnage est infiniment moins travaillé que le vrai Crâne rouge puisque secondaire, voire tertiaire dans mon esprit. C'est de ma faute, tant pis. Non, dans les "dominants", il y a Charles et Simon qui, dans la genèse de Nu-Men, sont bien au-dessus de la mêlée. Et bien plus travaillés que ce petit tyran de pacotille. Pour moi, c'est un "petit chef" équivalent d'un harceleur moral dans une entreprise du secteur tertiaire. :)))

Mais, pour revenir à votre question initiale, je suis beaucoup plus revenu à des références franco-belges, finalement. Je me suis remis à lire des séries 46CC traditionnelles, avec un peu d'humilité. Chose que j'avais dédaignée pendant toute la vaine période des "cinq glorieuses" de la "bédéindé" (de 2000 à 2005, dirons-nous. Maintenant, c'est complètement foutu).

Sébastien Soleille : Parlons justement de votre passage de la bande dessinée autobiographique indépendante au 48 CC de SF. Le 48 CC est un exercice assez contraint (nombre de pages fixe, usage de la couleur) mais cela vous a également libéré d'autres contraintes (droit à l'image des personnes représentées dans votre Journal, besoin de s'appuyer sur une documentation précise...). Dans Nu-Men, vous avez également pu donner libre cours à votre goût pour l'architecture, dont nous avons parlé plus haut, et pour les paysages grandioses. Comment abordez-vous ce jeu nouveau de contraintes/libertés ? Du Journal à Nu-Men, avez-vous dû adapter significativement votre méthode de travail ?

Fabrice Neaud : En fait, oui et non. Et c'est un peu une erreur que de ne pas l'avoir assez fait. Nu-Men est de la fiction, il y a des contraintes liées au genre mais aussi à la forme du 48CC. Le plus difficile aura été de mettre en place le premier volume. Il est utile de mettre en place les personnages et leurs enjeux. Et j'avoue avoir été encore un peu ambitieux sur un format aussi court... Il n'y a pas moins de huit ou neuf personnages qui ont tous une importance dès ce premier tome, j'en ajoute un autre (Nuala) dans le deuxième. 48 pages, c'est un peu court. Et puis, sur le premier tome, je ne suis pas certain d'avoir réussi à bien mettre tout en place. Anton, le personnage qu'on pourrait dire principal, ne me paraît pas le mieux posé de tous. À la différence de Mstislav, son opposé, dont les enjeux sont très clairs, désormais, avec ce deuxième tome, et qui était déjà bien posé dès le premier. Anton, pour l'instant, je l'avoue, on ne comprend pas trop ses motivations... Et il se laisse un peu porter par les événements, il les subit. Je laisse supposer qu'il est très réactif concernant les enfants, ce qui induit qu'il a eu un drame enfant ou concernant un enfant qui lui était proche... mais j'aurais bien aimé développer cela un peu plus clairement dès le début pour pousser un peu mieux l'identification. Idem pour Tamara, présentée comme une "bleue" mais qui prend un peu plus d'assurance au second tome. C'est d'ailleurs presque elle qui fait avancer l'histoire... Emma est plus entière mais demeure coincée par sa fonction de médecin (pour l'instant). Tout ceci pour dire qu'en creux, on ne pose pas les identités et les enjeux de la même manière en 48 pages d'un seul premier tome ou quand on a la liberté d'une pagination plus étendue... Mais ceci est lié à la liberté de la pagination et du format plus qu'au genre.

Et, de toute façon, l'autobiographie, elle, contrairement à ce que nous ont fait finalement croire les amateurs bloggeux et autres, n'est pas un genre mais une nécessité. Pour ma part, j'ai voulu ne pas travailler différemment sur l'un comme l'autre. Mais je pense m'être un peu trompé. Mes ambitions sont un peu grandes sur un format aussi court et on ne construit pas tout à fait son récit de la même manière. Quoi qu'il en soit, je pense m'être bien rattrapé dans le deuxième tome ! On comprend mieux, un peu mieux. Les personnages sont presque tous à égalité de traitement (sauf Anton qui me paraît encore un peu "faible" niveau identification).

J'ai moins de difficulté sur les enjeux sociaux, politiques et "méta" du récit... car c'est aussi et surtout cela qui m'intéresse. Pour moi, il n'y a pas d'autonomie, de volonté propre (chez les individus) indépendantes de leur contexte socio-culturel... et c'est d'ailleurs, ce me semble, un des problèmes de la bande dessinée contemporaine et/ou de fiction (mais pas que) : on y reste souvent avec des archétypes d'individus (et je n'ai pas dit stéréotypes) qui ne peuvent simplement pas advenir à l'existence dans notre société. L'archétype du "héros", par exemple (volontaire, héroïque, courageux, capable de prendre des décisions qui changent son impact sur son entourage immédiat comme s'il n'avait jamais de foyer, d'attaches réelles etc.) est impossible dans la vie. Mais je trouve dommage que l'on continue tout de même à faire fonctionner des personnages avec ça aujourd'hui... Le héros a un métier mais il est capable de quitter son "poste" (sauf quand cela définit son poste -> policier, enquêteur...) pour une "quête"... Qui ferait ça? Ce n'est même pas lâcheté que de refuser la quête... c'est simplement normal. Difficile de respecter les arcanes du genre héroïque dans le monde contemporain.

Mais bon, je m'éloigne... Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il existe des contraintes de genre, il est vrai, que j'ai parfois laissées de côté, à tort ou à raison. Mais je n'ai jamais pu fonctionner autrement. Après, dans le genre SF ou plutôt anticipation, je pense que mon récit ne se débrouille pas trop mal... Il faut regarder du côté de Cloud Atlas, l'adaptation du roman de David Mitchell par Lana et Andy Wachowski (Matrix), pour comprendre ce que l'on peut faire avec la SF aujourd'hui... Je trouve que c'est vraiment un film passionnant et réussi de bout en bout. Mais, peut-être par sa complexité et le "jeu" que les réalisateurs ont fait jouer à chaque acteur qui joue parfois pas moins de 6 ou 7 rôles différents, le film fut un plantage commercial complet.

dimanche 1 septembre 2013

Le Transperceneige (intégrale), de Lob, Rochette et Legrand (1984-2000)

J'ai profité de la récente publication de l'intégrale du Transperceneige pour relire le premier tome, publié en 1984, scénarisé par Jacques Lob et dessinée par Jean-Marc Rochette, et pour découvrir L'Arpenteur (1999) et la Traversée (2000), toujours dessinés par Jean-Marc Rochette mais scénarisés par Benjamin Legrand.

On ne présente plus le premier tome. Publié en feuilleton dans les pages du mensuel À Suivre, au moment des grandes heures de celui-ci, il est considéré depuis longtemps, à juste titre, comme un classique de la bande dessinée francophone de science-fiction. L'histoire de ce "Transperceneige aux mille et un wagons", ce train qui roule en "parcourant la blanche immensité d'un hiver éternel et glacé d'un bout à l'autre de la planète"et "qui jamais ne s'arrête", est effectivement d'une grande force. Suite à l'utilisation d'une arme nouvelle lors d'une guerre à la fin du XXe siècle, le climat de la Terre a radicalement changé : il règne à la surface de notre planète une température inférieure à moins 80 degrés, rendant toute vie impossible. Des personnes ont réussi à monter dans un train géant et, ainsi, à survivre à ce désastre. Elles sont maintenant prisonnières de ces wagons, la vie étant impossible à l'extérieur. Ce huis clos angoissant permet de mettre en scène des situations très riches, mêlant lutte des classes et dictature, pouvoir militaire et nouvelles religions.

Il s'agit d'un des premiers albums de Jean-Marc Rochette (qui remplaçait pour ce projet le dessinateur Alexis, trop tôt décédé), et le premier dans lequel il cherche à adopter un dessin résolument réaliste. Malgré quelques dessins encore très teintés de caricature, son dessin fait déjà preuve d'une grande maturité.

J'ai donc relu avec plaisir ce premier tome. Mais ce sont les deux suivants qui m'ont réellement impressionné et que je considère maintenant comme probablement supérieurs au premier. Le point le plus frappant au premier abord sont les progrès considérables de Jean-Marc Rochette. Son dessin a gagné en puissance d'évocation ce qu'il a perdu en netteté. Il est passé d'un très honnête dessin réaliste relativement classique à un style parfaitement original d'une grande beauté et d'une force magistrale. Le trait est charbonneux, le noir est profond, les nuances de gris apportent une profondeur et des nuances extrêmement riches.

Benjamin Legrand n'est pas en reste. Son scénario est fidèle à l'idée de Jacques Lob tout en l'enrichissant avec beaucoup d'imagination. Ce scénariste, bien qu'excellent, est malheureusmement trop rare en bande dessinée. Il a pourtant fourni un des meilleurs scénarios (avec celui d'Ici Même, de Jean-Claude Forest) de tous les albums de Tardi (Tueur de cafards) et a offert quelques autres excellentes histoires à Jean-Marc Rochette : Requiem Blanc et les deux tomes de L'Or et L'Esprit (malheureusement, cette excellent série n'a pas eu le succès qu'elle méritait : deux tomes ont été prépubliés dans À Suivre, un seul a fait l'objet d'un album et la série s'est arrêté en cours de route...).

Cette intégrale fournit une excellente de (re)découvrir l’œuvre de deux auteurs trop sous-estimés, Jean-Marc Rochette et Benjamin Legrand ; profitons-en.