dimanche 22 mai 2016

Le droit d'auteur, d'Emmanuel Pierrat et Fabrice Neaud (2016)

Les récits didactiques en bande dessinée ne datent pas d'hier. Traditionnellement, il s'agit justement de récits : biographies, épisodes marquants de l'histoire, etc. L'Oncle Paul et ses belles histoires ont eu beaucoup de succès aux grandes heures du Journal de Spirou pendant des années. À chaque fois, la même question se pose : comment trouver le juste équilibre entre texte et dessin ? S'agit-il réellement de bande dessinée, avec récit et dialogues, ou bien de textes narratifs illustrés (la distinction n'étant bien entendu pas nettement tranchée, mais en débattre ici nous mènerait trop loin).

Et encore, jusqu'ici nous parlions de récits, avec personnages, enchaînements chronologiques et péripéties. L'affaire se complique quand la bande dessinée didactique s'attaque à une explication abstraite. C'est notamment le cas dans le volume de la petite bédéthèque des savoirs dont je souhaite parler aujourd'hui, le cinquième, sur le droit d'auteur, sur un scénario d'Emmanuel Pierrat, grand spécialiste du sujet, et des dessins de Fabrice Neaud. Un tel défi est loin d'être nouveau pour ce dernier : déjà dans son Journal ou dans quelques récits courts, il avait abordé des thèmes abstraits, sujets l'actualité entre autres, et les avaient brillamment traités en bande dessinée (on pourra lire ici un texte consacré à ces essais en bande dessinée).

Il le fait ici encore une fois avec brio, mais sur une distance plus longue (60 pages). Malgré le talent de vulgarisation d'Emmanuel Pierrat, on pouvait craindre un traité un peu aride sur un tel sujet. Et, a priori, pas de véritable personnage dans un traité théorique sur le droit d'auteur. Pourtant si, en quelque sorte. Fabrice Neaud met à profit son art consommé de la métaphore iconique. Il représente certains aspects du droit d'auteur avec des objets (par exemple un parapluie pour les attributs d'ordre moral du droit d'auteur et un casque de chantier pour ses attributs d'ordre patrimonial), présents tout au long de l'ouvrage. Il introduit également plusieurs personnages, les plus présents étant le petit chaperon rouge et le grand méchant loup, pour accompagner le lecteur tout au long de l'exposé. L'éventail va donc de simples icônes à des personnages récurrents complexes, interagissant entre eux. Les symboles utilisés évoluent : ainsi, le casque de chantier devient chapeau melon lorsqu'il s'agit d'aborder les droits dits "voisins".

Cette personnification des enjeux théoriques souvent complexes exposés dans cet ouvrage permet au lecteur de se familiariser plus facilement avec eux ; la récurrence de certaines métaphores aide également le lecteur à suivre le fil du raisonnement et à mieux comprendre les relations entre différents thèmes. Cela permet également d'introduire quelques touches d'humour bienvenues pour désacraliser encore le sujet.

Pas de véritable récit, peu de phylactères. Pourtant le dessin enrichit significativement cet exposé didactique, en combinant plusieurs rôles : parfois ils complète "simplement" le texte avec des graphiques ; parfois, il l'illustre de façon directe (par exemple en montrant un portrait de Céline quand on parle de celui-ci, ou en montrant Karl Lagerfeld quand on évoque la mode) ; en complément de ces deux approches, le dessin enrichit également l'exposé par le jeu de ces métaphores iconiques, en créant des "personnages" récurrents qui permettent au lecteur de suivre l'exposé avec presque autant de facilité qu'un récit ordinaire. Il serait trop long d'énumérer ici toutes les techniques mises en œuvre par le Fabrice Neaud pour créer un jeu de renvois et d'échos tout au long du livre. En dernière page, comme au théâtre, l'ensemble des personnages revient pour saluer le public...

Nous avons donc ici un récit didactique en bande dessinée très réussi : le texte d'Emmanuel Pierrat pose de façon claire et succincte les principaux enjeux du droit d'auteur ; les dessins de Fabrice Neaud accompagnent le lecteur pour lui en faciliter la compréhension et la mémorisation, en jouant sur des registres très complémentaires du texte.

lundi 16 mai 2016

Eloge de l'impuissance, d'Edmond baudoin (2016)

L'Association vient de sortir en DVD Edmond, un portrait de Baudoin, le film de Laetitia Carton, consacré à Edmond Baudoin, dont j'ai déjà parlé plusieurs fois et que je continue à recomander. Il est accompagné d'une bande dessinée d'une quarantaine de pages, Éloge de l'impuissance.

Dans ces pages, Baudoin nous livre quelques réflexions sur sa vie et sur son art, au fil de la plume (et du pinceau, pour les planches consacrées à son frère Piero, utilisant ainsi la même technique que celle qu'il avait employée dans l'album éponyme). Au fil, relativement ténu, de discussions avec Laetitia Carton, il évoque brièvement l'ensemble de sa carrière, ses relations avec ses parents et ses enfants, ses rapports avec le dessin et avec les femmes, son lien avec son village d'enfance, Villars-sur Var, et ses camarades de là-bas.

Pourquoi Éloge de l'impuissance ? Il s'agit ici de l'impuissance à dessiner la vie, quête inlassable de Baudoin, mise en avant depuis ses premiers albums. C'est peut-être dans Le Portrait, entre autres, que cette impuissance est la plus richement écrite ("Peindre l'homme, ce rêve impossible", "Dessiner la vie... Le rêve impossible... On ne peut que l'aimer").

Bien sûr, l'ensemble peut paraître assez décousu. Mais quelle importance cela a-t-il ? Baudoin a atteint un tel niveau, une telle grâce dans le dessin, que la moindre pensée dessinée semble prendre vie sous sa plume. Son art dans l'utilisation des silhouettes, notamment, atteint encore des sommets. Tel un peintre oriental, il parvient à insuffler une vie extraordinaire à des personnages brossés en quelques traits.