mercredi 27 mars 2013

Abymes t 3, de Valérie Mangin et Denis Bajram (2013)

De nombreux angles sont possibles pour aborder le troisième volume du triptyque Abymes de la scénariste Valérie Mangin et dessiné, pour ce dernier tome, par Denis Bajram.

Cette trilogie est constitué de trois albums basés sur des mises en abyme, emboités les uns dans les autres à la manière de poupées gigognes : Dans le premier volume, Honoré de Balzac est victime d'une chronique qui révèle tous ses secrets ; dans le second tome, Henri-Georges Clouzot tourne un filme sur la vie de Balzac, mais telle que l'a racontée Mangin dans le premier livre ; dans le troisième tome enfin, Valérie Mangin elle-même, personnage de son propre récit, découvre les volumes de ce triptyque qu'elle n'a pas encore imaginé... Avec une telle trame, le risque est double : premièrement l'auteur risque de s’emmêler les stylos (ou la souris) et d'égarer le lecteur dans de vains labyrinthes. Mais Valérie Mangin est suffisamment habile pour ne pas se perdre dans ses propres artifices, comme elle a pu le montrer notamment dans Trois Christs, autre jeu formel en forme de triptyque (le même épisode est raconté trois fois mais en partant de trois hypothèses métaphysiques différentes), ou dans Alix Senator, brillant exercice de style revisitant doublement les classiques (Alix, bande dessinée classique ayant accompagné l'enfance de Valérie Mangin, ainsi que celle de nombreux autres lecteurs, et l'histoire de l'empire romain, moment ô combien classique de l'Histoire occidentale...). Le deuxième risque était plus sérieux : à force de fonder des histoires sur des jeux formels, si brillants soient-ils, en construisant ainsi le récit sur cette mise en abyme elle-même, le risque était grand de déboucher sur un album brillant intellectuellement mais rébarbatif et désincarné... Il n'en est rien : l'album se lit d'une traite, le suspens va grandissant jusqu'aux dernières pages pour conduire à un dénouement inattendu et grandiose.

J'évoquais en introduction d'autres angles approches pour cet album. L'exégète spécialiste de l’œuvre de Denis Bajram (dessinateur mais aussi co-auteur du synopsis de cet album) et de Valérie Mangin pourra s'amuser à analyser les riches réminiscences de thématiques chères à ces deux auteurs (je ne m'étends pas sur ce sujet, de peur de déflorer quelques rebondissements inattendus...).

Un autre point marquant de l'album est le dessin de Denis Bajram. Celui-ci, comme à son habitude, a effectué toute la mise en image informatiquement. Il maîtrise parfaitement son outil et, si l'on reconnaît sans mal son style, a adopté un style d'encrage et de mise en couleurs très différent de celui d'Universal War ou de Trois Christs. L'absence de traits noirs pour délimiter les dessins, l'inclusion d'images importées (notamment des couvertures d'albums de bande dessinée), l'utilisation abondante de photographies comme base de travail, notamment pour les décors (Paris, Bruxelles, Angoulême et Bayeux principalement) et les portraits de personnages "réels", ainsi que le traitement très réaliste de la lumière donnent un aspect très "photographique" à son dessin. Tellement photographique que l'on pourrait se croire parfois davantage dans un roman photo que dans une bande dessinée traditionnelle. Ce n'est nullement une critique ; bien au contraire, j'ai trouvé intéressant que, sur ce point graphique également, cet album brouille les frontières entre réalité et fiction...

Valérie Mangin et Denis Bajram n'ont jamais eu peur de bousculer leurs lecteurs. Ils le font encore une fois dans la conclusion de ce triptyque, brouillant les frontières entre récit formaliste et thriller intimiste, entre fiction et autobiographie, entre dessin et photographie... Une riche et agréable expérience pour le lecteur...

jeudi 14 mars 2013

Susceptible, de Geneviève Castrée (2012)

J'avais acheté Susceptible, de Geneviève Castrée, quasiment dès sa sortie. Cet album paraissait dans un contexte particulier : il s'agissait en effet du premier livre publié par L’Apocalypse, la nouvelle maison d'édition fondée par Jean-Christophe Menu après son départ de L’Association. Pour diverses raisons, le livre est resté sur une pile pendant plusieurs mois et je viens à peine de le lire.

Comme souvent avec ce type d'ouvrage autobiographique, je ne peux m'empêcher de m'interroger, probablement un peu vainement, sur ce qui m'y plaît : est-ce une réelle valeur esthétique, ou bien avant tout une qualité de témoignage ? Mais dans quelle mesure cette question est-elle réellement pertinente ? Quoi qu'il en soit, cet album m'a vraiment séduit. La narratrice relate son enfance et son adolescence québécoise, entre sa mère, avec qui elle vit près de Montréal, et son père, qui vit à moitié reclus en Colombie britannique et dont, enfant, elle ne parlait même pas la langue (elle étant francophone, lui anglophone). Elle évoque ses racines familiales, sa relation intime mais difficile avec une mère qui n'est pas toujours la plus adulte des deux, ses difficultés avec les amants de sa mère, etc.

Le ton est suffisamment distant pour montrer que de l'eau a passé sous les ponts et pour ne pas tomber dans le mélo, mais assez proche pour que l'on puisse partager ses tourments. Le dessin est sensible et élégant. Les chroniques autobiographiques en bande dessinée fleurissent depuis quelques années ; peu ont la subtilité de celle-ci.

mardi 5 mars 2013

Bananas no 5 (2013)

Je viens de terminer la lecture de la cinquième livraison de Bananas, la revue critique consacrée à la bande dessinée d'Évariste Blanchet. Comme d'habitude, ce numéro est instructif, agréable à lire et peut susciter de nombreuses discussions.

Toujours éclectique, le sommaire l'est cependant moins que les fois précédentes : comme le fait remarquer Évariste Blanchet dans son éditorial, il n'y a pas, cette fois-ci, d'articles consacrés à la bande dessinée contemporaine (Évariste Blanchet est notamment un grand admirateur de Fabrice Neaud, Xavier Mussat ou Frédéric Poincelet depuis leurs débuts). On pourra néanmoins se reporter au site Internet de Bananas pour y lire des chroniques des derniers livres de Fabrice Neaud, Guerre Urbaine, et Frédéric Poincelet, Le château des ruisseaux.

Nous trouvons au sommaire de ce numéro des articles sur des classiques indémodables (très bonne analyse de l'intégrale de Jerry Spring, deux courts articles sur un proche d'Hugo Pratt, un entretien avec un auteur ayant travaillé avec René Goscinny), sur de la bande dessinée populaire (un entretien avec Jean Graton, auteur de Michel Vaillant) et des réflexions théoriques (deux longs articles, très clairs et bien argumentés, de Renaud Chavanne).

À l'heure où la plupart des bonnes revues critiques papier sur la bande dessinée ont disparu depuis des années, la parution de la livraison annuelle de Bananas est toujours une bonne nouvelle.