mardi 24 mai 2011

Jean-Christophe Menu quitte l'Association

C'est la fin de l'une des plus belles aventures de l'édition de bande dessinée francophone : Jean-Christophe Menu vient d'annoncer par un communiqué lundi soir qu'il laissait L'Association derrière lui.

Pendant une quinzaine d'années, de 1990 à 2005 environ, la parution régulière d’œuvres de ses fondateurs suffisait à rendre le catalogue de L'Association particulièrement riche (sans compter que d'autres auteurs d'envergure y publiaient des œuvres marquantes). Au milieu des années 2000, avec le départ de la plupart des fondateurs (David B, Lewis Trondheim et Stanislas et Killofer) et de Joann Sfar, on avait légitiment pu se demander si L'Association allait rester une maison d'édition aussi intéressante.

La réponse fut clairement positive. Autour des albums des fondateurs restés là (les Archives et les volumes les plus récents de L'auto-psy d'un mort-vivant de Mattt Konture, les Lock Groove Comics de Jean-Christophe Menu), on a vu paraître des albums marquants d'auteurs déjà confirmés (Edmond Baudoin, Vincent Vanoli), des rééditions d’œuvres essentielles épuisées depuis longtemps (Les Sentiers Cimentés regroupant les premiers albums de Baudoin, dont les incroyables Un Rubis sur les lèvres et Le Premier Voyage, les Hypocrite de Jean-Claude Forest, quelques Gébé, etc.), les chefs-d’œuvre d'auteurs moins reconnus tels que Faire semblant c'est mentir et Chronographie de Dominique Goblet, Mon mignon, laisse-moi te claquer les fesses de Lucas Méthé, L de Benoît Jacques, les ouvrages atypiques de Florent Ruppert et Jérôme Mulot, ou, plus récemment, l'intéressant Mambo de Claire Braud ; à tout cela, il faut ajouter les trois volumes de l'Éprouvette, l'une des plus passionnantes revues critiques de bande dessinée jamais publiées et La Bande Dessinée et son double, excellent récapitulatif de plus vingt ans de pratique de la bande dessinée par Jean-Christophe Menu. Cet ouvrage pourra d'ailleurs probablement être considéré comme une forme de testament, le couronnement et la synthèse de son expérience au sein de L'Association. Tous les ouvrages que j'ai cités, et beaucoup d'autres encore, ont permis à L'Association d'être, à mon sens, l'éditeur francophone de bande dessinée le plus riche et le plus intéressant de ces cinq dernières années, pendant la période où Jean-Christophe Menu était seul (ou presque) aux commandes. Celui-ci peut donc être légitimement fier de ce qu'il a accompli à la tête de cette maison d'édition. (On a pu lire sur Internet maints articles, messages ou posts mettant en avant les défauts humains et managériaux de Jean-Christophe Menu. J'ai suivi la situation de beaucoup trop loin pour me permettre un jugement. Et, pour moi, cela n'enlève pas grand-chose à l’œuvre accomplie.)

Que va devenir L'Association ? Que va faire Jean-Christophe Menu ? je n'en sais rien mais le fait que leurs chemins divergent marque la fin d'une belle et riche aventure...

lundi 23 mai 2011

Mambo, de Claire Braud (2011)

Je n'avais jamais entendu parler de Claire Braud avant de lire Mambo, paru récemment à L'Association. Et ce livre consitua une très agréable découverte.

Certes, j'ai un peu de mal à apprécier son dessin ; mais cela ne m'a nullement empêché de passer un excellent moment à la lecture de ce récit plus qu'atypique. Il serait vain de vouloir résumer cette histoire abracadabrantesque. On y parle d'amour et de sang, d'un homme nu à cheval, d'un film censément publicitaire, de poursuite en bus et de bien d'autres choses encore. Balloté sans cesse de Charybde en Scylla, le lecteur croisera des personnages picaresques et des animaux extraordinaires, découvrira des situations rocambolesques...

Avec ce récit, Claire Braud fait preuve d'une imagination débordante et réjouissante et de cet album souffle un grand vent neuf et décoiffant. Neuf, ce récit l'est doublement : premièrement par l'inventivité des rebondissements et, deuxièmement, par le fait que ces rebondissements font appel à un imaginaire tout à fait féminin, ce qui est encore trop rare dans le monde si masculin de la bande dessinée. Il existe déjà de nombreux récits oniriques pensés par des hommes, des Philémon de Fred au Vitesse Moderne de Blutch, mais tout ici, de la fantaisie à l'érotisme, se démarque des œuvres masculines précitées par bien des aspects. Bref, un grand bol d'air frais...

dimanche 22 mai 2011

Paul Gillon (1926-2011)

Je viens d'apprendre le décès de Paul Gillon.

Digne représentant de l'école française réaliste classique, sur les traces notamment de quelqu'un comme Poïvet, il a traversé plus de 60 ans d'histoire de la bande dessinée française. Il travailla pour Vaillant ou Pif, publia un strip quotidien (genre relativement peu implanté sur nos rivages), 13, rue de l'Espoir, dans France Soir, aborda les années 1980 avec la vague de l'érotisme en bande dessinée (La Survivante et Jehanne) et continua à travailler jusqu'à sa mort, à plus de 80 ans.

Son dessin élégant, au trait fin, ses personnages élancés ont apporté un charme subtil aux nombreux scénarios qu'il a illustrés.

Cependant la seule oeuvre de lui qui m'a réellement marqué est Les Naufragés du Temps, plus précisément les quatre premiers tomes, sur des textes de Jean-Claude Forest. L'alliance de ces deux auteurs fait merveille : l'imagination débridée, les dialogues littéraires, le romantisme de l'histoire de ces deux naufragés élaborée par Forest sont parfaitement mis en valeur par l'élégance du trait de Gillon. Un chef-d'oeuvre de la bande dessinée de science-fiction...

mardi 17 mai 2011

La Porte du Paradis (Heaven's Gate), de Michael Cimino (1980)

Une bande de mercenaires, avec leurs longs manteaux et leurs têtes patibulaires menacent des villageois et fermiers sans défense. Un homme au visage impénétrable et aux motivations inconnues va aider ces paysans. Non, nous ne sommes pas chez Sergio Leone. Un shérif au grand cœur arrive dans une bourgade loin de chez lui et tombe amoureux d’une fille du cru. Un subtil équilibre entre des chevauchées élégiaques dans de grands espaces magnifiques et des scènes de saloon à la foule bigarrée ; entre des fusillades remplies de bruit et de fureur et des têtes-à-têtes amoureux tout en non-dits. Non, nous ne sommes pas non plus chez John Ford. Pourtant on trouve tout cela, et bien plus encore dans Heaven’s Gate (La Port du Paradis), un des plus grands westerns que je connaisse et un des deux chefs-d’œuvre de Michael Cimino (avec Te Deer Hunter, Voyage au bout de l’enfer ; qui, lui, est un des plus grands films sur le Viet-Nam).

Certes, comme les exemples cités plus haut le montrent, Heaven’s Gate contient nombre d’ingrédients classiques des westerns. Cependant, et malgré la notoriété de Michael Cimino à l’époque, tout auréolé de la gloire du Deer Hunter, ce film connu un échec commercial (et, aux États-Unis au moins, également critique) retentissant. Ce four, associé à un budget pharaonique, sonnera malheureusement la fin du studio United Artists, la décadence du western qui, genre roi à Hollywood depuis des décennies, aura bien du mal à se remettre de ce qui aurait dû être son apothéose (il fallut attendre de nombreuses années pour que ce genre redevienne ‘bankable’, avec Unforgiven notamment) et le glas des ambitions de Michael Cimino ; celui ne parvint pas à obtenir de nouveau la pleine confiance des studios. Il filma ensuite L’Année du dragon, excellent polar pâtissant de facilités de scénario et qui n’atteint pas les sommets des deux films précédents, puis de quelques autres films boudés par la critique (que j’avoue ne pas avoir vus) jusqu’en 1990…

Pourquoi un tel échec ? D’autres réalisateurs parvenaient à l’époque à concilier, à Hollywood, film d’auteur et surproduction à succès. J’avancerais plusieurs raisons à cet échec.

Tout d’abord, le film est noir. Il s’en dégage peu d’espoir véritable. Le personnage principal lui-même est désabusé ; il combat par devoir plutôt que par réelle conviction d’avoir une chance de vaincre et ploie sous le fardeau des illusions perdues et de l’âge qui vient.

Ensuite le film est relativement lent ; il débute notamment par un long prologue, le bal de fin d’étude de la promotion 1870 de Harvard, magnifique moment de cinéma mais un peu déroutant pour un aficionado de western classique.

Enfin, et, à mon sens, surtout, il aborde un thème à la fois inhabituel dans ce type de films et très dérangeant : il rappelle que les États-Unis, première démocratie du monde, sont, très profondément, une société de classes où règnent la richesse et le privilège de la naissance plutôt que le droit des humbles. Nous avons d’un côté les riches dynasties implantées depuis des générations sur le sol américain. Diplômés des plus grandes universités, ses rejetons peuvent devenir banquiers sur la Côte Est, riches dilettantes, éleveurs dans l’Ouest, voire, comme le personnage principal du film, James Averill, représentant de la justice dans le County de Johnson ; ils n’en restent pas moins membre d’une même caste. Riches, cultivés, ils fréquentent les mêmes clubs. Même si James Averill prend parti pour les crève-la-faim récemment arrivés d’Europe de l’Est, il est néanmoins, par bien des aspects, plus proche des éleveurs sans scrupules auxquels il va s’opposer que des fermiers qu’il va défendre. Il sait d’ailleurs qu’il peut regagner à tout moment la Côte Est où l’attendent sa fortune et une vie confortable. Ces deux classes sociales sont opposées tout au long du film dans des scènes magnifiques : au bal de promotion à Harvard répond la fête de village ; au combat de coq dans un saloon surpeuplé et bruyant s’oppose l’atmosphère calme et feutrée du club dans lesquels les éleveurs vont jour au billard ; aux rudimentaires techniques de combat des villageois s’opposent les astuces militaires de James Averill, tout droit tirées de l’Antiquité romaine étudiée dans les meilleures écoles, et immédiatement reconnues par les personnes qui les ont étudiées dans les mêmes universités que lui (« These goddamn Romans » s’exclame l’officier de carrière en découvrant la technique utilisée par James Arveline...).

Autre aspect de cette Amérique de classes : La justice et l’État sont là pour protéger les riches et les puissants, non les travailleurs pauvres. Le rêve américain est notamment fondé sur la sacralité de la propriété privée. Les riches éleveurs sont donc en droit de faire tuer les pauvres hères qui leurs volent une bête pour sauver leur famille de la famine. En payant des mercenaires pour tuer ces voleurs de bétails miséreux, ces propriétaires peuvent affirmer défendre la justice et le droit contre l’anarchie et la décadence.

Michael Cimino intègre ainsi dans un récit et un cadre qu’il emprunte fidèlement aux westerns traditionnels un discours résolument innovant. Dans The Deer Hunter, il insistait beaucoup sur l’après Viet-Nam ; ici également, il s’intéresse aux marges, aux à-côtés, d’où l’importance du prologue et de l’épilogue qui se déroulent dans le cadre douillet des familles aisées de la Côte Est, loin de la fureur et de la violence de l’Ouest sauvage ; loin également de ses paysages enchanteurs et de la force des liens humains, amour (avec Ella Watson, tenancière du bordel) ou amitié (avec le patron du saloon, John L. Bridges ou amitié contre nature avec le mercenaire Nate Champion), que l’on peut y tisser.

Bien d’autres éléments font de ce film un chef-d’œuvre : le triangle amoureux entre Ella Watson (Isabelle Huppert), James Averill et Nate Champion, son ami, bien que mercenaire, qui cherche à devenir riche, comme lui ; le flou laissé sur les motivations profondes de James Averill (idéalisme, déception amoureuse dans sa jeunesse…) ; la beauté des images, qu’il s’agisse des paysages du Wyoming ou de scènes de rituels sociaux (bal, fête, etc.). Mais je vous laisse (re)découvrir tout cela vous-même...

lundi 9 mai 2011

Ma bédéthèque idéale (7) : Séance de rattrapage

J'ai dressé la liste, dans six messages, de ma « bédéthèque idéale ». Bien entendu, une liste comme celle-ci n'est jamais tout à fait close. J'en ai exclu certains titres après beaucoup d'hésitation. D'autres sont absents tout simplement parce que je ne les connais pas suffisamment ou que je les ai lus il y a trop longtemps pour en conserver une idée précise. Voici aujourd'hui une liste de ces titres laissés pour compte.

Je n'ai pas cité les œuvres de Mattt Konture (depuis 1983, France). Ce disciple français de Crumb nous livre depuis des années une œuvre, majoritairement autobiographique, forte et originale. Essentiellement constituée de courts fragments, en grande partie improvisée, elle nous fait découvrir les angoisses, les déprimes et, plus rarement, les joies de Mattt Konture et de ses multiples avatars, d'Ivan Morve le mort-vivant à Galopu en passant par Mistor Vrö.

J'ai omis également les œuvres de Nikita Mandryka (notamment Le Concombre masqué, depuis 1975, France) et de Claire Brétécher (notamment Les Frustrés, 1975-1980, France) car je les connais assez mal. Je sais cependant que ces deux cofondateurs (avec Marcel Gotlib) de l'Écho des savanes sont des auteurs originaux à la forte personnalité et qu'ils ont tous deux, chacun dans leur style, apporté un souffle résolument nouveau à la bande dessinée francophone, Mandryka avec son humour nonsensique et son tropisme pour la psychanalyse, Brétécher avec ses tranches de vue si bien vues.

Parmi les auteurs pour lesquels j'ai beaucoup de respect mais que je connais mal, je pourrais également citer Reiser ou Gébé.

J'ai cité relativement peu d'auteurs parfois regroupé sous l'appellation de "nouvelle bande dessinée". Si j'avais dressé une liste similaire il y a une dizaine d'années, j'y aurais très probablement inclus La Fille du professeur, de Joann Sfar et Emmanuel Guibert (1997, France), Approximate Continuum Comix, collecté sous le titre d'Approximativement, de Lewis Trondheim (1993-1994, France), ou Léon la came, de Sylvain Chomet et Nicolas de Crécy (1995, France). Avec le recul, ces albums, bien qu'excellents, ne me semblent pas avoir l'importance que je leur accordais à l'époque. En outre, à part les très imaginatifs Lewis Trondheim et Joann Sfar, un certain nombre d'auteurs rassemblés sous cette appellation sont d'excellents dessinateurs mais, à mon sens, n'ont pas grand chose à raconter.

Ordinary Heroes, une aventure des Gen 13, d'Adam Hughes (1996, États-Unis). Je ne sais pas si Adam Hughes a publié d'autres récits en tant qu'auteur complet. En tout cas, il nous fournit ici avec ce double comics une histoire au scénario habile et avec un retournement final bienvenu. Et, surtout, il y a son dessin : fondé sur de bonnes connaissances anatomiques, variant du réalisme quasi-photographique à certains dessins plus 'cartoon', à l'encrage habile donnant du volume aux personnages, c'est un des styles qui ont eu le plus d’influence depuis le milieu des années 1990. Les imitateurs sont nombreux : John Cassaday (Planetary), Bryan Hitch (The Authority), David Mack, etc. Depuis ce récit, Adam Hughes a encore dessiné un ou deux récits et se consacre en fait essentiellement aux dessin de couvertures...

The Life and Times of Scrooge Mc Duck, de Ken Don Rosa (1994, États-Unis). Ken Don Rosa reprend les choses là ou Carl Barks les avait laissé. Il reprend tous les indices parsemés par celui-ci dans ses récits et comble le récit pour nous offrir la jeunesse de Picsou. Par la même occasion, il nous fait parcourir le monde et plus d'un siècle, au gré des aventures truculentes et hautement réjouissantes du canard le plus riche du monde...

Je connais très mal Gasoline Alley, de Frank King (1921-1969, États-Unis), et les bandes dessinées de Jules Feiffer (depuis 1949, États-Unis). Ces œuvres sont souvent citées comme de grands chefs-d’œuvre. Elles sont en cours de réédition aux États-Unis. Je vous en reparlerai peut-être quand j'en aurai lu davantage...

J'ai également hésité à inclure dans ma liste Le Chat du rabbin de Joann Sfar (2002-2006, France), L'Homme qui marche, de Jiro Taniguchi (1990-1991, Japon), Lone Wolf and Cub, de Kazuo Koike et Goseki Kojima (1970-1976, Japon), Demi-tour de Benoît Peeters, Frédéric Boilet et Emmanuel Guibert ( 1997, Belgique-France), Georges et Louis romancier, de Daniel Goossens (depuis 1993, France), Les Cités Obscures, de Benoît Peeters et François Schuiten (depuis 1983, Belgique)...

Avant de conclure (provisoirement ?) sur ce sujet, je souhaite citer deux listes de « bédéthèque idéale » auxquelles j'aime bien me référer : Les 100 comics essentiels du Comics Journal et les « 100 œuvres remarquables de la littérature dessinée parues entre 1732 et 1999 » d'Harry Morgan. La première ne cite que des auteurs anglo-saxons. La seconde est très intéressante pour sa large amplitude chronologique ; elle affiche une préférence marquée pour les œuvres de type feuilletonnesque (on peut ainsi noter que, de Lewis Trondheim, elle cite Les carottes de Patagonie, pastiche de l'héroïc fantasy, très à la mode à la date de publication de ce pavé, plutôt que, par exemple, Approximativement ; et l’œuvre citée de Jacques Tardi est Adèle Blanc Sec, pastiche des romans feuilleton du début du XXe siècle, plutôt que des œuvres plus ambitieuses telles que C'était la guerre des tranchées).

mercredi 4 mai 2011

La Bande Dessinée et son Double, de Jean-Christophe Menu (2011)

Si, dans une thèse, vous espérez trouver un travail scientifique particulièrement objectif, passez votre chemin ; la thèse de Jean-Christophe Menu, intitulée La Bande Dessinée et son Double et récemment publiée par L'Association, n'est rien de tout cela. Elle n'en est pas moins passionnante.

Pendant une majeure partie de l'ouvrage, Jean-Christophe Menu ne parle en fait presque de lui et de sa pratique de la bande dessinée, sous quatre aspects au moins. Il évoque ainsi son expérience de lecteur, d'auteur, de critique et d'éditeur. Il met en valeur la façon dont il a toujours cherché à enrichir le médium et à en élargir le champ des possibles : en tant que critique, en vitupérant contre tous ceux qui, à son avis, appauvrissent le médium en l'emprisonnant dans des cadres arbitraires et trop stricts (comme le 48CC, ou album de 48 planches, cartonné, en couleurs) ; en tant qu'éditeur, en publiant des livres atypiques qui ne trouvaient pas leur place ailleurs et en créant des maquettes qui se voulaient plus proches de celles des livres traditionnels que de celles habituellement réservées à la 'BD' ; en tant qu'auteur enfin, en réalisant des bandes dessinées qui exploraient sans cesse de nouveaux horizons, le récit traditionnel, l'autobiographie, la fiction en monde clos (le Mont Vérité et le monde de la Mune), l'hétérotopie' (récit dans lequel se déroulent en parallèle plusieurs fils narratifs différents), retour actuel à l'autobiographie, mais de façon indirecte (avec la série des Lock Groove Comics), etc. Jean-Christophe Menu n'est pas un auteur très prolifique ; il a tendance à se lasser d'une forme dont il a l'impression d'avoir fait, au moins partiellement, le tour ; chacun de ses récits peut alors apparaître comme la nouvelle étape d'une démarche de recherche, un nouveau jalon visant à repousser les limites de la bande dessinée. C'est, à mon sens, l'apport majeur de ce riche ouvrage ; de nombreuses planches, certaines plutôt rares, de l'auteur viennent illustrer fort à propos son argumentation. J'ai ainsi découvert plusieurs récits complets de lui que je ne connaissais pas et que j'ai beaucoup apprécié...

La suite de l'ouvrage, dans laquelle Jean-Christophe Menu s'interroge sur les limites du médium, pour mieux les repousser, m'a moins passionné. Le choix d'exemples instructifs mais disparates et isolés (un bas-relief antique égyptien, un 'livre' du Moyen-Age, une suite de peinture provenant de l'Allemagne de la première moitié du XXe siècle) et le refus par Jean-Christophe Menu de toute systématisation permettent d'entrouvrir des pistes intéressantes mais m'ont un peu laissé sur ma faim.

L'ouvrage dédié à la bande dessinée le plus intéressant que j'ai lu depuis longtemps...