Après les sommets atteints par Jaime Hernandez dans les deux précédents numéros de Love and Rockets: New Stories, il lui était forcément difficile de rester au même niveau. Il a donc choisi de nous offrir des récits très différents des précédents. Loin de l'intensité dramatique des retrouvailles contrariées de Maggie et Ray, loi de l'extraordinaire charge émotionnelle du passé de Maggie et de sa famille, Jaime Hernandez adopte ici un ton beaucoup plus léger, change d'approche et, partiellement, de personnages. Il n'est guère question ici de Maggie et Ray, pas du tout de Hopey : Seules quelques pages racontent les relations entre Ray et son ami Doyle (ce récit est traité, comme la plupart du temps lorsqu'une histoire est centrée sur le personnage de Ray, en caméra subjective et en voix off). Les deux principaux récits de ce cinquième Love and Rockets: New Stories racontent les déboires de Viv, alias "Frogmouth" et de Tonta, sa demi-sœur. Viv a déjà souvent croisé les chemins de Maggie et Ray mais Tonta, sauf oubli de ma part (oubli toujours possible tant est riche la galerie de personnages créés par Jaime), est une nouvelle venue. Nous sommes presque ici dans le domaine de la comédie. Les préoccupations de Tonta tourne essentiellement autour de son béguin pour un chanteur d'un groupe de rock local, de ses tentatives pour se faire raccompagner en voiture par le bon garçon et des soirées auxquelles elle participe. Son personnage est résolument caricatural, tant dans son caractère (tête de linotte et excitée) que dans son dessin (Jaime la dessine souvent dans un style résolument "cartoon"). On retrouve un peu le ton de la série lorsqu'elle contait les aventures de Maggie et Hopey tout juste sorties de l'adolescence, jeunes punkettes qui vivaient à fond l'instant présent, sans guère de considération ni pour la plupart des personnes qui les entouraient, ni pour leur propre futur. Ces pages légères, toujours magistralement dessinées, semblent illustrer la volonté de Jaime Hernandez de marquer une pause après l'intense tension dramatique des derniers épisodes. Il effectue ici un pas de côté, délaisse (provisoirement ?) ses personnages principaux, pour s'offrir (et nous offrir) une récréation extrêmement agréable.
Gilbert Hernandez nous épargne, pour une fois, les récits gore (violence et sexe extrêmes) dont il nous a souvent gratifiés depuis quelques années. Il nous ramène à Palomar, cité d'Amérique latine qui avait été le théâtre de ses récits pendant une dizaine d'années, avant qu'il ne fasse émigrer ses personnages aux États-Unis. Nous n'assistons cependant pas à un retour à l’identique, loin de là : les personnages ont vieilli, Pipo a maintenant des cheveux blancs et s'est offert une villa sur les hauteurs du village ; de jeunes personnages découvrent Palomar, comme Killer, petite-fille de Luba, maintenant une belle jeune fille ; Palomar est même devenu un lieu de tournage, où une équipe de cinéma vient réaliser un film qui mêle plusieurs fils narratifs des histoires de Gilbert Hernandez. Comme souvent chez les frères Hernandez, ce récit est beaucoup plus riche qu'il ne semble au premier abord. La confrontation de personnages venant de lieux et d'époques différents, le mélange au sein de ce récit fictionnel d'éléments réels (réels pour ce monde fictionnel) et imaginaires (imaginaires pour ce monde fictionnel) produisent une histoire puissante qui offre de nombreuses occasions de laisser aller son imagination se perdre dans des méandres d'un espace et d'un temps imaginaires, certes, mais si proches de nous...
Juste un petit message pour vous remercier de continuer à parler régulièrement de cette œuvre incroyable qu'est celle des frères Hernandez et qui semble cantonnée à un lectorat confidentiel en France. J'ose espérer que les récents prix décernés à la série aux US relanceront peut-être l’intérêt des éditeurs français à traduire leurs travaux les plus récents.
RépondreSupprimerMerci pour vos encouragements.
RépondreSupprimerPour l'instant, lorsque je parlais des frères Hernandez, j'avais un peu l'impression de prêcher dans le désert (leur lectorat semble effectivement confidentiel en France...). Mais je continue car leur oeuvre en vaut vraiment la peine !