vendredi 8 mai 2015

Alex Toth, Setting the Standard (1952-1954 ; 2011)

Alex Toth (1928-2006) est sans contexte un "dessinateur pour dessinateurs" (un "artist's artist", comme disent nos amis d'Outre-Atlantique) : pratiquement inconnu du grand public (en tout cas en France) mais particulièrement reconnu par les autres dessinateurs et extrêmement influent, encore aujourd'hui. Les lecteurs francophones ont pu découvrir certains de ses récits dans quelques aventures de Zorro, dans la toute première aventure de Torpedo, avant que Jordi Bernet ne prenne la relève, dans Bravo pour l'aventure publié par Futuropolis en 1981, malheureusement épuisé depuis longtemps, ou dans sa participation à quelques aventures de super-héros (Batman ou X-Men notamment)... Si ses œuvres sont actuellement relativement peu diffusées, son influence se fait en revanche très sensiblement sentir. Ainsi les récits super-héroïques dessinés par David Mazzucchelli (Daredevil - Renaissance et Batman - Année 1, tous deux sur scénario de Frank Miller) sont très proches de ce que dessinait Alex Toth 30 ans plus tôt. Plus récemment, Jean-Marc Rochette, entre autres, dessinateur du Transperceneige, n'hésite pas à rappeler son admiration pour ce grand précurseur.

Qu'a donc apporté Alex Toth pour être si influent plusieurs décennies après, malgré le manque de succès public ? Débutant sa carrière au milieu des années 1940, il n'eut jamais la chance de voir son nom durablement associé à une série marquante ou populaire. La seule exception fut son adaptation de la série télévisée Zorro de Walt Disney en bande dessinée, au milieu des années 1960. Il dessina certes quelques récits de super-héros DC (dont un épisode de Batman), mais ces travaux ne furent pas assez durables pour qu'il puisse bénéficier de la célébrité des dessinateurs de super-héros DC et Marvel de l'âge d'argent des comics (entre 1956 et le début des années 1970). Assez rapidement, il se consacra majoritairement au dessin animé et ne participa donc que très marginalement au boom de Marvel et DC dans ces années-là.

Setting the Standard compile tous les récits dessinés par Alex Toth pour l'éditeur Standard, entre 1952 et 1954. L'auteur est alors en pleine possession de ses moyens. Les histoires semblent aujourd'hui bien datées : il s'agit uniquement de (courts) récits complets. En moins de 10 pages, chaque histoire relate une passion amoureuse avec de multiples rebondissements, une invasion d'extra-terrestres, une aventure criminelle ou que sais-je encore.

Pourtant, à chaque fois, Alex Toth met tout son talent au service du récit. Il élabore attentivement la composition de la page, notamment pour soigner le rythme de son récit, choisit avec soin le moindre cadrage pour accroître la tension émotionnelle : il alterne plans d'ensemble et plans plus rapprochés, apportant notamment un soin particulier aux visages et aux mains de ses personnages en fonction de leurs émotions et de leurs relations entre eux (difficulté de communication ou période de plus grande entente, etc.).

Le maître mot pour Alex Toth est l'efficacité, l'économie de moyen. Dessinateur virtuose, il cherche pourtant à simplifier son dessin pour ne garder que ce qui est réellement efficace, ce qui sert le récit de la façon la plus directe. Et, malgré la simplicité des intrigues, les développements bien trop courts, on est vite captivé par ces intrigues sentimentales stéréotypées et datées, par ces mystères trop vite dévoilés. Alex Toth, en quelques traits bien sentis, nous a pris dans ses filets.

Enfin, ce qui ne gâte rien, l'appareil critique qui accompagne cet ouvrage, sans être particulièrement abondant, est très intéressant : l'ouvrage débute par un entretien avec Alex Toth et comprend quelques paragraphes de commentaires pour chaque récit. Ces textes s'appuient souvent sur des propos de l'auteur qui explicite sa démarche et les techniques qu'il a utilisées pour emporter l'adhésion du lecteur.

Un régal visuel et une superbe leçon de bande dessinée !

2 commentaires:

  1. Jacques Boudinot25 janvier 2016 à 21:30

    Merci pour cet article qui nous rappelle quel talent
    immense avait Toth.
    On peut trouver en langue française 4 récits
    de sa "période" Warren dans les recueils
    Creepy (3 histoires dans le tome 1, 1 dans le second) encore trouvables.
    Et consultable sur le web, son adaptation du
    chef d'oeuvre de Hawks Rio Bravo.

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  2. Je viens d'aller voir son adaptation de Rio Bravo, que je ne connaissais pas encore. Merci pour l'information.

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