René Girard vient de mourir (le 4 novembre), à 91 ans.
J'ai écrit à plusieurs reprises dans ce blog toute l'admiration que je portais à ce penseur extraordinaire. J'avais notamment cherché à en introduire très brièvement la pensée et les principaux concepts : le désir mimétique (chacun désire ce que désire son voisin), l'emballement et la crise mimétique (ce phénomène de désir mimétique entraîne une violence toujours plus importante, et débouche finalement sur une crise généralisée), le phénomène du bouc émissaire (pour sortir de cette crise, la foule se concentre sur un individu, le bouc émissaire, dont la mort, bien qu'arbitraire, permet de calmer la violence et de sortir de la crise) et la naissance du sacré (ce bouc émissaire, après sa mort, devient vénéré comme une divinité qui a permis la fin de la crise).
Sa pensée a progressivement évolué, au fur et à mesure que son intuition initiale se développait. On peut d'ailleurs suivre cette évolution en lisant les trois œuvres maîtresses de René Girard : Mensonge romantique et vérité romanesque (1961), son premier ouvrage, dans lequel il commence à explorer le désir mimétique en analysant quelques grands textes de la littérature (Stendhal, de Proust ou Dostoïevski) ; La Violence et le sacré (1972), où, plus de 10 ans après, il pose les bases de son système de façon plus structurée et plus globale ; Je vois Satan tomber comme l'éclair (1999), dans lequel il achève de construire sa pensée, avec une relecture de la révélation chrétienne à la lumière des thèses girardiennes (et vice-versa). Il est intéressant de voir ainsi, en plein XXème siècle, un philosophe arriver progressivement au christianisme en s'appuyant sur la force de son raisonnement intellectuelle.
René Girard est probablement l'un des anthropologues et philosophes les plus puissants (intellectuellement parlant, il va sans dire) et les plus éclairants de la période contemporaine. Son système, fondé sur quelques intuitions relativement simples mais prodigieusement fécondes, jette des lumières nouvelles sur notre histoire et nos sociétés actuelles comme bien peu d'auteurs l'ont fait avant lui.
Il fut relativement mal accepté par ses pairs, au moins en France (c'est sans doute notamment pour cela qu'il était parti s'installer aux États-Unis il y a des années) et abondamment critiqué (individu trop arrogant, système trop totalisateur, pensée trop chrétienne, etc.).
Sa pensée est l'une de celles qui m'ont le plus apporté pour comprendre l'Homme, la religion et le monde et elle m'accompagnera encore longtemps. Merci, Monsieur Girard.
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