Les livres de Chris Ware sont relativement rares mais s'éloignent généralement des standards habituels de l'édition. Son livre le plus récent, Monograph, ne fait pas exception. Comme pour Building Stories en 2012, je vais commencer par dire quelques mots de ce livre en tant qu'objet. Préparez-vous à avoir du mal à le caser dans votre bibliothèque : avec ses 46,5 cm de haut, 33,5 cm de large et 3 cm d'épaisseur, il ne passera pas inaperçu ; il est même plus grand que le coffret de Building Stories, déjà fort impressionnant. Ce n'est pas tout, puisqu'à l'intérieur, sur certaines des pages sont collés de petits fascicules, créant ainsi des livres dans le livre... Comme pour chacun de ses ouvrages, Chris Ware a tout pensé, tout contrôlé, pas un centimètre carré de l'objet n'a pas été conçu par lui, de la couverture aux moindres pages intercalaires. Et, comme d'habitude, c'est beau, impressionnant et original.
Fort bien, mais qu'est-ce que cela "raconte" ? Que contient donc cet "objet" ? Il s'agit d'une autobiographie illustrée de Chris Ware. De façon chronologique, il nous relate sa vie et son œuvre, tout en livrant au passage sa vision de l'art de la bande dessinée.
Chaque double page est richement illustrée et contient des commentaires de l'auteur replaçant les œuvres présentées dans le contexte de sa vie et de ses publications, les analysant et expliquant les motivations qui l'ont conduit à les dessiner.
Pour bien saisir la richesse de l'iconographie de Monograph, il faut avoir en tête que chaque planche de Chris Ware a généralement trois vies : elle est d'abord publiée dans le feuilleton que l'auteur a publié à un rythme hebdomadaire pendant des années (de 1992 à 2009 pour son strip The ACME Novelty Library, dans NewCity puis The Chicago Reader). Les planches sont ensuite compilées dans les recueils des The ACME Novelty Library (20 volumes publiés de 1993 à maintenant, sans compter un volume 18 1/2 qui reprend ses travaux pour le New Yorker). Enfin elles sont de nouveau rassemblées pour former les œuvres finales, des romans graphiques fleuves ambitieux (Jimmy Corrigan en 2000 et Building Stories en 2012) ou des recueils de récits courts (Quimby the mouse en 2003 et The ACME Novelty Library Report to Shareholders en 2005). À chaque fois, les récits sont retravaillés et chaque livre donne lieu à de nouvelles couvertures, de nouvelles illustrations, etc. En parallèle de cela, Chris Ware fournit des couvertures et des planches à certaines publications prestigieuses comme le New Yorker. À toute cette œuvre "publique" s'ajoutent les carnets de croquis et les carnets de bande dessinée improvisée. Enfin, Chris Ware aime beaucoup créer autour de son œuvre dessinée de nombreux objets, maisons de poupées ou figurines qui reprennent certains personnages ou lieux de ses récits dessinés. La richesse de cette œuvre protéiforme lui permet de disposer de très nombreux dessins et photographies pour la plupart inédits. Même un lecteur assidu de son œuvre aura donc le plaisir de découvrir pour la première fois des travaux qu'il ignorait jusqu'alors.
Cet ouvrage très riche permet ainsi d'approfondir encore la connaissance de l'œuvre foisonnante de Chris Ware et de mieux comprendre le cheminement intellectuel et artistique de l'auteur. Celui-ci est convaincu de la richesse de la bande dessinée en tant qu'art pour décrire le fonctionnement de l'esprit et de la mémoire humaine. Cet ouvrage magnifique nous en donne de très nombreux exemples, que ce soit dans les textes de l'auteur, ses planches publiées ou ses œuvres inédites.
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