dimanche 11 septembre 2022

Exposition Chris Ware à la BPI (Centre Pompidou)

Il n'est pas forcément simple d'imaginer une exposition pertinente sur la bande dessinée. En accrochant des planches au mur, on les prive forcément de l'enchaînement séquentiel pour lequel elles ont été conçues. Prises individuellement, ou par petits groupes, elles perdent forcément une partie de leur sens (ce qui peut être nuancé dans le cas de gags en une planche, notamment). En outre, dans bien des cas, les planches originales permettent de voir des détails de réalisation (restes de gommage, reprises du dessin, etc.) qui leur donnent plus de vie, mais que leur auteur a cherché à éliminer de la version finale, il s'agit donc en quelque sorte de documents de travail plus que d'oeuvres achevées. Bien entendu, il arrive parfois que voir une planche originale permette de découvrir une richesse de couleurs, notamment, à laquelle les techniques actuelles de reproduction industrielle ne permettent pas de rendre pleinement justice ; je me souviens ainsi d'une belle exposition à la Bibliothèque nationale, dans laquelle j'avais admiré de superbes pages de Trait de craie, de Prado, avec une magnificence de couleurs directes, dont l'album imprimé ne donnait qu'un pâle reflet.

Une difficulté supplémentaire s'ajoute dans le cas d'un auteur qui, comme Chris Ware, ne dessine pas de planche originale finalisée : avant l'étape finale effectuée par ordinateur, ses pages ne comportent qu'un dessin au trait, sans couleurs, bien loin du rendu imprimé. De façon plus générale, pour Chris Ware l'oeuvre finale, celle qui correspond pleinement à son dessein créateur, est uniquement le livre imprimé, avec l'ensemble des planches coloriées, mais également la maquette, les couvertures et pages de garde, jusqu'à l'ensemble des textes de teneur administrative apparaissant sur ces dernières. Dans ces conditions, quelle est la pertinence de monter une exposition sur Chris Ware ? Son oeuvre n'est-elle pas avant tout à découvrir en feuilletant et lisant ses livres, dans une bibliothèque ou chez soi ? (Il est d'ailleurs intéressant de noter que l'exposition dont je souhaite vous parler aujourd'hui est justement organisée dans quelques salles au coeur d'une bibliothèque, la BPI du centre Pompidou, à Paris ; à la sortie de l'espace d'exposition, la bibliothèque propose d'ailleurs à la lecture du visiteur intéressé la plupart des ouvrages de Chris Ware.)

Ces questionnements liminaires étant posés, ai-je apprécié la visite de cette exposition dédiée à Chris Ware, initialement imaginée pour le festival d'Angoulême, suite à l'attribution de son Grand Prix à Chris Ware, et maintenant présentée, apparemment sous une forme un peu différente, à la bibliothèque publique d'information (BPI) du centre Pompidou à Paris ? Et bien oui, beaucoup. Les commissaires ont réussi à surmonter les difficultés intrinsèques à ce genre d'exercice pour présenter au visiteur, qu'il soit familier de l'oeuvre de l'auteur américain ou bien complètement néophyte, un parcours instructif et plaisant.

L'exposition est suffisamment complète pour présenter succinctement les différentes facettes de l'oeuvre, mais pas trop longue pour ne pas lasser. Elle met en avant chronologiquement les livres phares de Chris Ware, des oeuvres de jeunesse à Rusty Brown, en passant par Jimmy Corrigan et Building Stories. Ses livres sont mis en valeur de différentes façons, complémentaires : quelques planches originales, les planches finalisées et publiées (dans leur version française), ainsi que les livres eux-mêmes. On peut également découvrir quelques pages plus rares, publiées notamment dans divers périodiques, et d'autres illustrations, comme les superbes couvertures qu'il concocte régulièrement pour le New Yorker.

Enfin, et c'est là que cette exposition apporte le plus de valeur ajoutée par rapport aux livres imprimés pour un lecteur familier de cette oeuvre protéiforme, on peut également découvrir d'autres pans du travail créatif de Chris Ware : quelques-uns des nombreux objets qu'il se plaît à fabriquer, ainsi que plusieurs dessins animés qu'il a co-conçus. Si on cite également un entretien vidéo très intéressant, on aura donné une petite idée de la variété de cette exposition. Elle est prévue jusqu'au 10 octobre 2022, il est encore temps d'en profiter !

La salle consacrée à Jimmy Corrigan

La salle consacrée à Building Stories

Un mur de planches originales de Rusty Brown

D'autres illustrations

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