mardi 6 avril 2010

Pourquoi un tel silence sur Renaud Camus ?

Le Monde des livres a dressé, dans une de ses dernières livraisons, un bref panorama des 30 dernières années de littérature française. Il a donné à cette occasion une liste des 30 romans français les plus marquants, à son avis, de ces 30 années.

Et, encore une fois, mais ce n'est plus vraiment une surprise, aucune mention de Renaud Camus. Comme à chaque fois dans ce type d'occasions, je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi un auteur d'une telle importance, au talent si grand et si original est à ce point ignoré des médias. Ses premiers romans ont fait l'objet de quelques articles notables, notamment grâce à Roland Barthes. Mais, depuis la fin des années 1970, plus rien ou presque, exceptées quelques invitations à des émissions de France Culture.

Pourtant, je suis intimement persuadé qu'il écrit mieux, qu'il est plus profond et plus novateur que la (quasi-)totalité des auteurs français contemporains, en tout cas parmi ceux que j'ai lus.

On peut par exemple le comparer à quelques-uns des auteurs cités par Le Monde des livres. Certes Pascal Quignard ou J.-M.-G. Le Clézio (par respect pour le comité Nobel) sont également deux auteurs de très grand talent. Certes Claude Simon est également un romancier de tout premier ordre, mais il appartient à la génération précédente (on peut noter en passant que les deux seuls auteurs proche du Nouveau Roman cités dans cette liste sont Claude Simon, grâce à son prix Nobel, et Marguerite Duras, grâce au succès public de L'Amant ; ne sont cités ni Alain Robbe-Grillet, qui a pourtant publié au cours des 30 dernières années des chefs-d'œuvre tels que ses Romanesques ou La Reprise, ni Nathalie Sarraute...).

Mais que dire des 27 autres choix du Monde des livres ? J'ai lu avec beaucoup de plaisir la saga des Mallaussène de Daniel Pennac, mais comparer celui-ci à Renaud Camus me paraît grotesque. Philippe Sollers a été relativement innovant à une époque, mais probablement pas plus que Renaud Camus ; en outre son style me semble moins riche et sa superficialité revendiquée ne le rend pas particulièrement intéressant à mes yeux. Michel Houellebecq a publié quelques romans apportant sur nos sociétés modernes un éclairage unique mais son œuvre n'a, pour l'instant, pas du tout l'ampleur de celle de l'auteur des Églogues. Jean-Philippe Toussaint ou Jean Echenoz ont tous deux un réel talent d'écriture, mais peut-être pas suffisamment pour faire de leurs livres de grands chefs-d'œuvre. Et je pourrais continuer la liste ainsi...

Fort de ce constat, j'en reviens à mon interrogation initiale : Pourquoi Renaud Camus est-il ignoré à ce point par les médias ? Comment peut-on expliquer que la quasi-totalité des grands organes de presse respectent un silence presque unanime à la sortie des chefs-d'œuvre de Renaud Camus, de Du Sens à L'Inauguration de la salle de vents en passant par Rannoch Moor et L'Amour l'automne, pour ne citer que quelques titres récents ?


Plusieurs tentatives d'explication me viennent à l'esprit...

Il est souvent trop innovant. Il a commencé sa carrière en publiant les premiers volumes des Églogues, œuvres qui cherchaient notamment à poursuivre certains chemins ouverts par le Nouveau Roman. Or celui-ci a déjà eu beaucoup de mal à se faire un petit peu accepter par la critique (je parle ici de la critique francophone, pas du monde universitaire ou des pays anglo-saxon). Alors vous pensez, un jeune auteur qui écrit des livres encore moins 'lisibles' que Claude Simon, Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Marguerite Duras !

Son œuvre est trop polymorphe. Les Églogues étaient des ouvrages difficiles, déroutants. Mais il a probablement été encore plus déroutant, pour un lecteur qui commençait à s'habituer à ces œuvres inclassables, de découvrir que Renaud Camus délassait celles-ci pour publier en 1983 Roman Roi, roman de facture apparemment très classique. Les changements (apparents) de direction ont continué à parsemer la carrière de Renaud Camus, laissant probablement sur le bord du chemin maints lecteurs insuffisamment curieux.

Enfin il est 'réactionnaire', au sens où il regrette souvent le monde d'hier et les mœurs passées. A priori, cela ne semble pas rédhibitoire en littérature. La nostalgie est habituellement un sentiment qui passe très bien en littérature, Les Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand n'en sont pas la moindre preuve. Mais notre société n'accepte plus guère que les chantres du progrès. Et si le succès permet à Houellebecq ou Dantec de sortir du politiquement correct, Renaud Camus, lui, est généralement condamné par tous les biens-pensants sans même avoir été lu...


Heureusement pour les quelques lecteurs fidèles, tous ces déboires n'ont jamais découragé Renaud Camus d'écrire...

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