lundi 23 août 2010

Le Nouveau Roman, et maintenant ?

Après plus d'un demi-siècle, le Nouveau Roman ne me semble toujours pas être perçu à sa juste valeur par le public et la critique francophones. J'ai l'impression qu'il est encore très souvent considéré comme un mouvement intellectualisant, rassemblant des romans formalistes un peu stériles et embêtants à lire. Certes, Marguerite Duras a été acceptée grâce au succès de L'Amant et Claude Simon a été légitimé par son prix Nobel. Mais Alain Robbe-Grillet ? Nathalie Sarraute ? Michel Butor ? Sont-ils réellement considérés comme ils le devraient, c'est-à-dire comme des romanciers parmi les plus grands classiques de la littérature francophone de la 2ème moitié du siècle dernier ? J'en doute un peu. Cela m'a particulièrement frappé en 2008, à la lecture des articles publiés après la mort d'Alain Robbe-Grillet : si tous les auteurs des dits articles rappelaient le mauvais caractère du défunt, très peu évoquaient sa place de première importance dans le panthéon des lettres françaises ; certains ne semblaient même pas avoir lu ses romans.

Pourquoi donc ce manque de reconnaissance en France (alors que l'accueil dans les pays anglo-saxons leur est depuis longtemps nettement favorable) ?

Leur éloignement de tout engagement politique, à l'heure des Temps Modernes triomphant, n'a sans doute pas joué en leur faveur.

Quelques textes critiques trop pontifiants les ont probablement également desservis. En effet, pour dégouter un lecteur néophyte de toute envie de découvrir le Nouveau Roman, rien de mieux que de lui faire lire les textes critiques de Jean Ricardou, par exemple. Celui-ci a pu apporter une contribution utile au mouvement, à l'époque, en formalisant certains aspects de leurs romans, en définissant certains outils théoriques nouveaux. Mais quel esprit réducteur ! Il ne voit que règle et contraintes là où règnent en maîtres le jeu et la liberté, le plaisir de la découverte et de la transgression. Il cherche à plaquer des définitions, à définir des limites et à chercher des points communs alors que la diversité entre les nouveaux romanciers était considérable...

Un premier moyen pour aborder le Nouveau Roman sans appréhension peut être de prendre conscience que tous ces auteurs s'inscrivent dans une la continuité de la grande histoire littéraire ; il ne s'agit en aucune façon de jeunes rebelles voulant faire table rase du passé. Comme Alain Robbe-Grillet l'écrit à plusieurs reprises, Nathalie Sarraute s'inscrit par exemple dans la lignée de Marcel Proust (étude, voire dissection clinique, de ce qu'il y a 'derrière' les discours, des 'non dits', parfois plus importants que ce qui est effectivement 'dit') ; Claude Simon dans la ligné de William Faulkner (flot de langage faisant fi des règles habituelles, notamment de la ponctuation ; personnages proches, au moins dans certaines situations, d'une certaine 'bestialité', aux fonctions naturelles exacerbées) ; Michel Butor dans la ligné de James Joyce (volonté de faire contenir un monde dans un livre ; pour James Joyce, il s'agit de 24 heures à Dublin dans Ulysse, pour Michel Butor, il s'agit d'une ville dans L'Emploi du temps, d'une vie amoureuse dans La Modification, d'une montagne de savoir dans Degrés). Enfin Alain Robbe-Grillet s'inscrit dans les pas de Franz Kafka (l'individu face à une réalité absurde, dénuée de réalité objective).

Après plus d'un demi-siècle, il me semble donc capital de (re)découvrir le Nouveau Roman (pour ceux qui ne l'ont pas encore fait), en le replaçant notamment dans sa continuité historique, loin de certains clichés décourageants...

samedi 7 août 2010

Terry and the pirates, de Milton Caniff (1934-1946)

Comme je l'écrivais il y a peu, pendant quelques années, je souhaitais la traduction en français de trois oeuvres majeures : Krazy Kat, l'Éternaute et Terry and the Pirates. Krazy Kat reste non traduit, après une courte tentative par Futuropolis dans les années 1980 ; l'Éternaute est maintenant traduit chez Vertige Graphic ; et je viens de lire qu'une maison d'édition que je ne connaissais, Bdartiste, a annoncé vouloir publier Terry and the Pirates en français. D'après ce que j'ai compris, elle va partir de l'intégrale en anglais publiée par IDW publishing ; le 6ème et dernier tome en est paru récemment. Il s'agit de 6 imposants volumes d'environ 400 pages chacun, très réussis : le format des cases est convenable, les trips quotidiens sont imprimés dans un noir et blanc net, les superbes couleurs des planches dominicales sont bien reproduites.



Milton Caniff est d'abord un dessinateur de génie, qui a posé certaines des bases du dessin réaliste de bande dessinée pour plusieurs décennies. Son dessin a progressivement gagné en relief et en profondeur. Initialement peuplées de personnages filiformes aux traits précis, ses cases se sont peu à peu obscurcies ; les personnages ont gagné en mouvement et en épaisseur, les paysages à la fois en réalisme et en mystère. Son maniement du noir et blanc allie une technique époustouflante (comment dessiner très lisiblement la charge d'une vingtaine de cavaliers au clair de lune dans une case de 4 cm x 4 cm ?) et une très grande beauté : ses clairs-obscurs sont justement restés célèbres pour leur grâce et leur esthétique.

Résumer Milton Caniff à son art graphique serait toutefois réducteur. C'est aussi un conteur hors pair, un grand maître du roman feuilleton. Les péripéties s'enchaînent sans relâche, de la jungle chinoise des années 1930 à la guerre du Pacifique des années 1940, d'aventuriers sans peur en femmes fatales, de bandits romanesques en criminels machiavéliques. Le lecteur captivé est balloté sans répit tout au long de ces centaines de pages de rebondissements.

Cette série a atteint son apogée pendant quelques années, approximativement entre 1938 et 1942. Les premières années constituent une période d'apprentissage. Pendant les dernières années, le trait se stabilise vers un style qui, toujours d'un très haut nivau, n'évoluera plus guère, ni pendant la fin de Terry, ni pendant les longues années consacrées au successeur de celui-ci, Steve Canyon. De même les situations se renouvellent moins vers la fin.

Certes, 6 tomes de 400 pages, cela pourra en lasser certains. Je dois avouer avoir montré une baisse d'intérêt vers le début du 6ème volume. Il n'empêche, si le roman feuilleton a connu des heures de gloire en bande dessinée, c'est en très grande partie à Milton Caniff que nous le devons...

Je souhaite donc à cet éditeur de parvenir au bout de cette entreprise éditoriale courageuse (les trois tentatives précédentes de publier en français cette série se sont arrêtées en cours de route). Bonne chance à Bdartiste dans cette réédition !