jeudi 29 octobre 2009

René Girard, une brève introduction

Il serait prétentieux de résumer en quelques lignes l'exceptionnelle oeuvre de René Girard. En développant quelques concepts, relativement simples mais d'une extrême richesse, il a apporté une lumière nouvelle sur des sujets très divers, de grandes oeuvres littéraires à la vision de la guerre de Clausewitz, en passant par la psychanalyse et le complexe d'Oedipe, l'anthropologie et le sacrifice védique, la Bible et le message chrétien.
Je vais tenter aujourd'hui d'introduire cette oeuvre foisonnante en rappelant rapidement certains de ces concepts.

1) Le désir mimétique
Au cœur de la pensée de René Girard, on trouve le désir mimétique : chaque individu désire ce que désire son voisin. Si Pierre désire un objet A, Paul va le désirer aussi. C'est une spirale sans fin car le désir de Pierre pour l'objet A va être augmenté du fait du désir de Paul pour ce même objet.

(Pour observer le désir mimétique, il suffit de regarder des enfants jouer ; chacun d'entre eux veut jouer avec le jouet de voisin. Ce comportement continue chez les adultes, mais la plupart du temps de façon moins évidente ; le phénomène des modes peut être un bon exemple.)

Les sentiments de Paul pour Pierre sont ambigus. Pierre est à la fois modèle et obstacle : c'est un modèle car Paul prend modèle sur lui pour désirer l'objet A ; c'est un obstacle car Pierre et Paul désirent tous deux le même objet et donc Pierre risque d'empêcher Paul d'obtenir l'objet A.

[Si Pierre est très éloigné de Paul, c'est-à-dire si Paul se rend compte qu'il ne peut pas égaler Pierre (par exemple si Pierre est un parent et Paul un enfant, ou si Pierre est un professeur et Paul un élève), Pierre est surtout un modèle. Paul cherche à l'imiter et à se hausser à son niveau. On parle alors de médiation externe.
Si Pierre est proche de Paul, c'est-à-dire s'il s'agit d'individu de même type (même âge, même statut social), Pierre devient surtout un obstacle. Il y a création d'une forte rivalité mimétique qui peut s'emballer mais qui n'a pas de raison de s'arrêter. Pierre et Paul vont s'observer et désirer sans fin ce que désire l'autre. On parle alors de médiation interne.
]

Ce désir mimétique n'est pas intrinsèquement mauvais : c'est notamment ce qui permet aux enfants de progresser puisque c'est ce qui les pousse à faire comme les adultes. Le problème vient de la l'escalade de désir en spirale sans fin : l'emballement mimétique.


2) Le bouc émissaire
2.1) L'emballement et la crise mimétiques
L'emballement mimétique est la spirale sans fin du désir mimétique : Pierre désire un objet A, Paul va le désirer aussi. Pierre va désirer encore plus l'objet A dans la mesure où il voit son désir justifié par le désir de Paul. Jacques, voyant cela, va se mettre à désirer également l'objet A. Plus une société comprend des individus égaux, plus ils vont tous se mettre à désirer les mêmes choses ; la rivalité mimétique s'accroît sans fin. Les objets de désir peuvent se déplacer, ce sont de plus en plus des prétextes ; ce qui devient de plus en plus important, c'est la rivalité de tous contre tous.

2.2) La résolution de la crise par le bouc émissaire
Le désir mimétique de tous va finir par se cristalliser sur un seul individu, le bouc émissaire (la désignation de cet individu sera relativement arbitraire ; toutefois les individus légèrement 'différents' (étranger, handicapé, etc.) feront des boucs émissaires privilégiés). Il deviendra LE modèle/obstacle de tous. Le bouc émissaire devient la cible de toute la violence accumulée lors de l'emballement mimétique et est sacrifié par la communauté unanime. Une fois le sacrifice effectué, la violence, qui a ainsi trouvé un exutoire, retombe et le calme revient. C'est la fin de la crise sacrificielle.


3) La genèse des religions et des sociétés
Pour René Girard, tous les mythes et toutes les religions découlent d'une crise sacrificielle. En effet, à l'issue de la crise sacrificielle, le groupe humain au sein duquel elle a eu lieu se rend compte, sans en comprendre vraiment les raisons, que le sacrifice du bouc émissaire a eu un effet salvateur pour la communauté, qu'il a supprimé brutalement, comme par magie, une grande violence dont souffrait la communauté. Vu cet effet salvateur du bouc émissaire, le groupe humain aura tendance à mythifier celui-ci, qui, par son sacrifice, a sauvé la communauté.
René Girard observe que dans la plupart des religions, cultes et mythes traditionnels, un tel schéma est à l'oeuvre.
Ces mythes sont toujours racontés avec le point de vue de la communauté : celle-ci a eu raison de sacrifier le bouc émissaire ; celui-ci est présenté comme coupable.
(Exemple du mythe d'Oedipe : La peste est arrivée à Athènes. Oedipe demande à l'oracle qui est le responsable de cette peste. Il apprend que c'est lui, Oedipe, le responsable, pour avoir tué son père Laïos et couché avec sa mère, Jocaste. Oedipe est alors sacrifié : ses yeux sont crevés et il est expulsé de la communauté.)
Pour René Girard, les sociétés, dont les origines sont relatées dans les mythes, sont ainsi fondées sur la violence de la crise mimétique et du sacrifice du bouc émissaire.


4) La spécificité de la religion chrétienne
La Révélation judéo-chrétienne, et tout particulièrement le christianisme, révèle explicitement ce schéma de la crise sacrificielle.
À première vue, le christianisme peut apparaître comme une religion comme les autres : la Passion du Christ est une crise sacrificielle, le Christ sert de bouc émissaire. Mais la perspective est en fait radicalement changée car le bouc émissaire est présenté comme innocent, il est clairement dit que la communauté sacrifie un être qui n'est pas coupable des crimes dont on l'accuse. Le Christ, par sa Passion, révèle au monde la réalité de l'emballement mimétique et la fausseté des mythes.
La Révélation chrétienne, une fois comprise, peut permettre d'empêcher la violence des emballements mimétiques et le sacrifice des boucs émissaires.


5) Satan

Pour René Girard le Satan de la Bible est en fait le désir et l'emballement mimétiques. En ce sens Satan est vraiment « le Prince de ce monde » car le désir mimétique est au centre de toute activité humaine.
Renoncer à Satan, c'est renoncer à l'emballement mimétique pour imiter le Christ, qui nous dit d'imiter son Père.


6) L'itinéraire de René Girard
René Girard a commencé à observer le désir mimétique en étudiant des grandes oeuvres littéraires (Proust, Dostoïevski, Shakespeare, etc.).
Puis il a cherché à voir si ce concept s'appliquait à d'autres domaines qu'à la littérature. En creusant, il s'est rendu que cela pouvait s'appliquer à de très nombreux domaines : structuralisme, psychanalyse (le complexe d'Œdipe est un cas typique de désir mimétique : le petit garçon désire ce que désire son modèle évident, son père ; le père devient modèle/obstacle pour son fils). Il s'est rendu également compte, en développant le concept du bouc émissaire, que cela expliquait la genèse de toutes les religions.
En continuant à étudier les religions, il a découvert la spécificité de la religion chrétienne.

mardi 27 octobre 2009

Quelques innovations de Sfar et Trondheim (2/2)


Plusieurs raisons nous donnent envie de tourner la page d'un feuilleton : l'envie de connaître la fin du récit d'une part, l'envie de connaître la suite de l'histoire d'une part (ces deux motivations pouvant bien sûr se compléter mutuellement). Des exemples emblématiques de la première catégorie sont les romans d'Agatha Christie et leur 'whodunnit' (« qui l'a fait ?», au sens de « qui a commis le crime ?»). Une fin décevante et c'est tout le roman qui semble sans valeur. Nous avons tous en tête des exemples de séries de bande dessinée dont les premiers tomes soulevaient d'innombrables questions angoissantes, nous poussant à nous précipiter sur les tomes suivants ; au fil des tomes les réponses étant rares ou insatisfaisantes, toute la série s'en est trouvée dévalorisée à nos yeux. L'exemple typique de la seconde catégorie est le récit à la Milton Caniff, archétype du strip d'aventaire américain. Les aventures de Terry ou de Steve Canyon ne se concluent jamais vraiment, rebondissant toujours vers de nouvelles péripéties ; mais cela importe peu, ce qui nous pousse à tourner avidement les pages n'est pas l'attente du fin mot d'une intrigue qui n'en finit pas (et que nous ne voulons d'ailleurs jamais voir finir) mais le simple désir d'être baladé sans fin de Charybde en Scylla. C'est ce type de récit que Sfar a remis à l'honneur, après des années de séries déclinées en cycle : Nous ne nous soucions guère de savoir vont 'finir' les aventures de Grand Vampire ou du Chat du rabbin. Mais les pages s'enchaînent, l'histoire, ou plutôt les histoires, se poursuivent à notre plus grande satisfaction. Cette forme de récit est, à mon avis, beaucoup plus difficile à conduire : il ne s'agit pas de soulever quelques grandes questions au début du récit (« qui est l'assassin ? », « qu'est devenu le père de N ? », « qui gouverne secrètement la planète P? ») ; il faut, page après page donner au lecteur envie de découvrir la suite du récit, au moyen de trouvailles sans cesse renouvelée, d'une imagination toujours présente...

Depuis les années 1970, le sexe avait fait son apparition dans la bande dessinée européenne. Mais quel sexe ? Ce n'était le plus souvent que prétexte à mettre en scène fantasmes et belle plastique, des délires déclics de Manara aux filles libérées de Bourgeon. Le sexe est très présent dans les récits de Sfar mais il ne s'agit pas là de racolage. L'auteur se pose de nombreuses questions sur la place de chacun vis à vis des autres, sur le sens de l'existence de chacun. C'est dans ces interrogations existentielles qu'apparaît le sexe dans les bandes dessinées de Sfar. Le sexe s'intègre parfaitement aux propos de l'auteur : Grand Vampire s'interroge sans cesse sur l'amour, et le sexe constitue une partie de ces interrogations. Pour Pascin, hédoniste assumé, dessin et sexe sont indissociables.

On me rétorquera, à raison, que les caractéristiques que j'ai mises en avant ne sont pas le seul apanage de ces deux auteurs. Certes non. Sfar et Trondheim ne sont pas forcément plus talentueux ou plus innovants que d'autres auteurs ayant présenté des traits similaires en même temps, voire avant eux. Mais ils sont arrivés au bon moment, ont trouvé leur public et ont pu imposer leurs innovations, les faire accepter par un large public, les grands éditeurs et une bonne partie de la presse 'culturelle'.
Le quotidien le plus banal se rencontrait déjà dans les planches d'un Tito, par exemple. Une certaine métaphysique était déjà apparue dans certaines planches des auteurs de l'Echo des Savanes (le premier, le seul, le vrai), Gotlib ou Mandryka. Baudoin avait déjà abordé le sexe et l'amour, le sens de la vie d'artiste, le vieillissement et la mort des proches ou l'amour. Forest également avait traité du sexe dans ses liens avec l'amour. Mais tous ces auteurs n'ont pas réussi à apporter ces préoccupations devant le public le plus large comme ont pu le faire Sfar ou Trondheim. Forest était trop en avance et ses albums trop rares, Baudoin était trop complexe et trop marginal.

Quelques innovations de Sfar et Trondheim (1/2)

Quelques lignes pour compléter certains aspects du post d'hier...

Le paysage de la bande dessinée francophone a tellement changé depuis le début des années 1990 qu'on a tendance à oublier les innovations majeures apportées par quelques auteurs singuliers il y a un peu moins de 20 ans.

Je vais parler aujourd'hui brièvement de deux de ces auteurs et de l'originalité de certains de leurs récits au sein de la bande dessinée francophone au moment de leur publication.


Trondheim tout d'abord. Il a apporté au sein de la bande dessinée indépendante d'abord, puis grand public également, plusieurs innovations marquantes (sur certains plans, il me semble qu'il y a un 'avant Trondheim' et un 'après Trondheim' dans la bande dessinée francophone). J'en retiendrai deux.

Trondheim a appelé une de ses séries les plus récentes 'Les Petits Riens' (il s'agit en fait d'une publication en format papier de son blog, lisible ici). Mais depuis le début de son œuvre, il prend un malin plaisir à nous relater son quotidien le plus banal. Il faut se souvenir de l'immense originalité d'un récit tel que 'Dans le métro' paru dans le premier numéro de Lapin, ou d' Approximativement un peu après. Très loin des épiques séries d'heroïc fantasy ou d'aventures alors en vogue, Lewis Trondheim faisait triompher dans ses planches le vide événementiel le plus trivial. Ou comment faire rire, ou tenir en haleine, avec rien...

L'autre innovation de Trondheim est l'introduction de préoccupations métaphysiques. Qu'on ne se méprenne pas sur ce terme : Trondheim n'est pas Kant ou Hegel. J'utilise ici le terme métaphysique pour caractériser des questionnements simples : pourquoi je vis ? pourquoi je vais mourir ? que faire de ma vie ?... Les interrogations de Trondheim sont simples, voire simplistes ; il n'apporte aucune réponse. Mais le fait d'introduire ces questionnements partagés par tous introduisait une dimension nouvelle dans la bande dessinée.

La bande dessinée, vive la crise ?

« L'état de la bande dessinée : vive la crise ? », tel était l'intitulé de l'université d’été de la bande dessinée de l'été 2008.
La bande dessinée connaît-elle actuellement une crise ?
Non pas une crise au sens économique du terme ; sur ce sujet on peut toujours se reporter aux rapports annuels de Gilles Ratier pour le compte de l'association des critiques et journalistes de bande dessinée, très documentés.
Non, plutôt une crise de création.

Si je veux schématiser très grossièrement, mon impression est que la bande dessinée francophone passe par des périodes successives de richesse créatrice et de repli artistique d'une dizaine d'années chacunes, au moins depuis les années 1950. Aux années de renouvellement des formes et des sujets, de création de nouvelles structures souhaitant publier des types de livres n'existant pas encore, succèdent des périodes de repli : l'innovation s'essouffle, les aspects les plus facilement assimilables des innovations de la décennie précédentes sont récupérées par les plus grands éditeurs.
Depuis 2000 environ, j'ai l'impression que la bande dessinée francophone se situe dans un de ces creux...

Mais reprenons en arrière...

La bande dessinée francophone 'classique' connaît son âge d'or dans les années 1950 (ou à partir de la fin des années 1940, avec la création du Journal de Tintin et le début de Blake et Mortimer, la reprise de Spirou par Franquin et les premiers pas de Lucky Luke, etc.). Le style franco-belge classique se définit alors en deux écoles, Marcinelle d'un côté, Charleroi de l'autre. Quelques années après les plus grands auteurs, Hergé, Franquin, Jacobs, espacent leurs publications ; de nombreux auteurs, souvent talentueux, mais moins originaux, leur empruntent leur style, leur emboîtent le pas et remplissent progressivement à leurs places, devenues de plus en plus souvent vacantes, les pages des magazines Spirou et Tintin.

Dans les années 1970, c'est l'explosion. Cela a débuté sous la conduite bienveillante et éclairée de René Goscinny dans les pages de Pilote vers 1966-1968, puis les auteurs de ce (Mâtin quel) journal ont essaimé, partant fonder l'Écho des Savanes ou autre Métal Hurlant. Forest évoluait, un peu en avance, en parallèle, comme l'électron libre qu'il a été tout au long de sa carrière. Période de foisonnement, de défrichement inouïs. En quelques années, en quelques chefs-d'oeuvre, on quittait la bande dessinée francophone traditionnelle pour atterir dans les bandes psychanalytiques de Gotlib ou de Mandryka, la SF érotique de Forest (même si relire Barbarella aujourd'hui, maintenant que son aspect érotique apparaît plutôt bon enfant, permet de se rendre compte que l'immense talent de cet auteur était très loin de se résumer à son aspect gentiment polisson), l'humour nonsensique de Masse, les délires sous acide de Moebius, les critiques sociales de Brétécher ou Lauzier...

Le soufflé est malheureusement vite retombé.

Les années 1980 voit la récupération de ces mouvements au profit de bandes plus calibrées. Certes, À Suivre a continué à parcourir certaines des voies ouvertes par ces pionniers : récit de longueur variable, non exclusivité de la couleur, et ouvert notamment ses pages aux derniers chefs-d'oeuvre de Forest ou aux récits au long court d'Hugo Pratt... Mais il s'agissait cependant le plus souvent d'une version relativement soft, un peu aseptisée, en tout cas sans réelle innovation (ce qui n'interdisait à certaines des œuvres publiées d'être de grande qualité). Cette décennie 1980 fut majoritairement marquée par le fameux 48CC (48 pages cartonné couleurs) tant vilipendé par Jean-Christophe Menu.

Au début des années 1990 vint l'émergence de la bande dessinée dite « indépendante ». Sur les ruines encore fumantes du regretté Futuropolis, l'hydre de l'Association permet aux six mousquetaires qui la composent de publier des récits refusés partout ailleurs : strips répétitivo-métaphysiques de Trondheim et Menu, cauchemars de David B, autobiographies familiale de Menu et schizophrénique de Mattt Konture. Cornélius publie des 'comics' de Jean-Christophe Menu, Blutch, David B ou Lewis Trondheim. D'Angoulême, Ego comme X révèle Fabrice Neaud, Xavier Mussat et leur autobiographie sans concession. Freon et Amok repousse les formes de la bande dessinée, aux franges de l'art contemporain. Tout cela ne ressemble à (presque) rien de ce qui se faisait à l'époque, que ce soit au niveau des formats (tailles variées, noir et blanc, pagination libre) qu'en termes de sujets. Pendant un peu moins de 10 ans, jusqu'à l'aube du 21e siècle, la bande dessinée francophone connaît une des périodes les plus riches de son histoire.
Puis la nouveauté s'essouffle. Les grands éditeurs récupèrent la part la plus vendable de cette nouvelle vague (d'Écriture en Futuropolis ressuscité), ne laissant aux petits éditeurs que les récits les plus exigeants. Les folles audaces deviennent procédés répétitifs, un peu chez les grands auteurs des années 1990, beaucoup chez leurs très nombreux épigones plus tard venus, d'innombrables récits autobiographiques en blogs redondants.
Quoi de vraiment neuf depuis l'an 2000 ? Quels auteurs sont vraiment allés plus loin que le Journal de Fabrice Neaud, le Livret de Phamille de Jean-Cristophe Menu, le Portrait de Baudoin, l'Ascension du Haut Mal de David B, le Journal d'un album de Dupuy et Berbérian ou Conte démoniaque d'Aristophane ? Personnellement, je n'en vois pas.

Je me trompe peut-être ; je souhaite me tromper. Il est tout à fait possible que de jeunes auteurs très talentueux publient actuellement leurs premiers ouvrages et que je ne les ai pas remarqués. Si c'est le cas, si vous en connaissez, dites-le moi ! En tout cas, bonne chance à eux !

lundi 26 octobre 2009

Falbala, Uderzo et la psychologie par le dessin

Parlons un peu d'Astérix, en ce cinquantième anniversaire de sa création...

La page ci-contre [© Uderzo, Goscinny et les éditions Hachette] (ainsi notamment que la demie-page qui la précède, que je vous conseille d'aller revoir), extraite d'un des meilleurs albums de la série, Astérix légionnaire, m'a toujours fasciné. En quelques cases, Uderzo résout un problème vieux comme la bande dessinée : comment caricaturer une jolie fille ? Comment faire intervenir un personnage au physique de jeune première dans une série humoristique autrement que comme faire-valoir esthétique ?


Dès le début du 19e siècle, Töpffer, un des premiers auteurs et théoriciens de la bande dessinée, note dans son Essai de physiognomonie, qu' « il devient plus difficile d'imprimer l'expression par le trait graphique à des visages ou purs de trait, ou seulement jeunes (…) parce que ces plissures, en même temps qu'elles expriment, elles altèrent et vieillissent. » En d'autres termes : la bande dessinée humoristique cherche à camper des personnages stylisés, facilement identifiables, de façon caricaturale (cela a notamment donné au style dit 'gros nez' cher à de nombreux auteurs francophones), ce qui permet de mettre en valeur les expressions des personnages, mais au prix de déformations de ceux-ci, principalement au niveau des visages. On se trouve alors devant le dilemme suivant : ou un visage est pur et beau, mais il est peu expressif, peu propice au comique ; ou il est caricatural, humoristique, mais au prix de déformations qui le rendent moins pur, moins beau.
Uderzo surmonte cette difficulté avec une superbe élégance. Au repos, Falbala incarne l'archétype de la « jolie fille » de bande dessinée. La caricature ne se situe nullement au niveau de la déformation des traits, contrairement à ce qui est le cas pour la plupart des personnages masculins qui l'entourent, mais au niveau des gestes, des mimiques, du 'jeu de scène' de Falbala. Observez ses mains, le dessin de sa bouche, la façon dont elle se recroqueville dans le deuxième strip de la planche 8, celle dont elle se relève au troisième : Uderzo parvient à outrer les mouvements de son héroïne, à la caricaturer (avec beaucoup de tendresse, certes), sans jamais déformer ses traits, sans jamais l'enlaidir.
Ceci explique, à mon avis, au moins partiellement, la très grande popularité de Falbala parmi les lecteurs d'Astérix : en la caricaturant ainsi, Uderzo rend Falbala, sans rien lui retirer de son charme, beaucoup plus vivante, et de ce fait plus attachante, que la plupart de ses consoeurs de papier...

Par la bande...

De quoi vais-je parler dans ce blog ?

De bande dessinée très certainement ; de littérature parfois ; de musique probablement ; et d'autres choses encore sans aucun doute...

Dans tous les cas, j'espère que les sujets abordés, quels qu'ils soient, vous intéresseront et vous feront réagir. Bonne lecture !