lundi 3 mai 2010

Alan Moore, Tom Strong et Supreme

Tom Strong et Supreme font partie du versant 'pastiches' de l'œuvre d'Alan Moore, loin des récits plus politiques, tels que V pour Vendetta, ou ésotériques, tels que From Hell ou Promethea. Tom Strong est très fortement inspiré de l'univers des pulps, de Doc Savage à Tarzan : on y retrouve de bons sauvages et des îles paradisiaques, un père savant génial qui semble tout droit sorti d'un roman de Jules Verne ; Supreme est une copie quasiment conforme de Superman : toute la trame de cette série est un décalque des aventures de l'Homme d'acier : de l'origine des super pouvoirs aux parents adoptifs, de la double vie (superhéros et employé maladroit), de l'opposition entre la campagne où il a été élevé et la mégalopole où il se lance dans sa carrière de sauveur de la Terre (et des environs), etc.

Quel est l'intérêt, me demanderez-vous ? Paradoxalement, moi qui ne suis un grand fan ni de Doc Savage, ni de Superman, je dévore avec délectation Tom Strong et Supreme. Alan Moore parvient dans ces deux séries à condenser en quelques récits tout ce qui faisait le charme des séries dont il s'inspire, tout en y ajoutant un constant second degré qui ne fait qu'ajouter au plaisir de lecture. Il réussit en fait ce qui est pour moi le nec plus ultra du pastiche : il parvient à trouver le délicat équilibre entre le premier degré, pour captiver le lecteur au gré de péripéties abradacabrantesques, et le second degré, par le biais d'une certaine distanciation.

On trouve dans ces deux séries toute la naïveté des récits d'époque, notamment une grande foi dans les potentialités de la science (Tom Strong a obtenu sa force surhumaine car ses parents l'ont élevé dans une chambre avec une gravité renforcée), le caractère de preux chevalier sans peur et sans reproche du héros principal, les ennemis qui ont deux idées fixes, devenir maître du monde et tuer Tom Strong/Supreme, etc. Les péripéties s'enchaînent sans aucun souci de vraisemblance pour le plus grand plaisir du lecteur qui accepte de se faire balader de Charybde en Scylla. Mondes parallèles, galaxies lointaines, peuples disparus, voyages dans le temps, tous les ingrédients traditionnels des récits populaires sont repris et exploités avec imagination et talent.

Mais, loin de se contenter de cette naïveté, Alan Moore met tout son savoir-faire scénaristique au service de ces récits. Si ces histoires ne cherchent pas à briller par leur originalité, c'est la mise en forme de ces successions de clichés par un Alan Moore au meilleur de son talent qui fait de ces deux séries de grandes réussites. L'auteur soutient une trame volontairement simpliste et pleine de clichés avec son exceptionnelle technique narrative. Ainsi, pour donner aux aventures de Supreme et de Tom Strong une densité apparue dans les aventures de Superman au bout de plusieurs dizaines d'années de publication ininterrompues, il multiplie les flash back. Ceux-ci sont confiés à des artistes différents de celui du récit principal et dessinés dans des styles et avec des modes de narration volontairement rétro. On a ainsi l'impression de découvrir en quelques pages une compilation des récits les plus marquants de nos héros, publiés au cours de nombreuses années ; on découvre par exemple les innombrables rencontres entre Tom Strong et son ennemi favori, Paul Saveen, comme si elles avaient été publiées des années 1940 à nos jours.

Le second degré permet en outre d'introduire plus d'humour qu'on en trouve habituellement chez Alan Moore. Ainsi Tom Strong se plaint, à l'arrivée d'un nouvel envahisseur extraterrestre dans sa bonne ville de Millenium : "Encore ? Pourquoi ce genre de chose n'arrive qu'à Millenium ?" C'est l'écho de ces récits où tous les prétendants maîtres du monde se succèdent toujours dans la même ville, Metropolis, cité où habite Superman.

Et j'ai presque oublié de préciser que ces séries sont majoritairement dessinées par Chris Sprouse, talentueux artiste au trait classique et élégant...

En Europe, un tel effort pour revivifier de grands classiques un brin désuet me semble un peu similaire à celui de certains des auteurs ayant repris Spirou récemment : des tentatives pour retrouver aujourd'hui ce qui faisait le charme souvent naïf des grands récits publiés dans les années 1950 et 1960...

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