mardi 18 janvier 2011

L, de Benoît Jacques (2010)

En général, je ne suis pas un grand amateur de bande dessinée muette. L'absence de mots y est trop souvent considérée par l'auteur comme un manque qu'il faut compenser par des innovations formelles. Cela conduit dans de nombreux cas à des exercices de style, souvent brillants, dont l'inventivité masque la relative pauvreté du fond.

Rien de tel avec L de Benoît Jacques. Ici, nul récit qui aurait pu être plus simplement traité avec des mots. Dans son texte introductif (seul texte de l'œuvre, avec les deux citations mises en exergue, tirées de Robinson Crusoé et de Vendredi ou les limbes du Pacifique, et les dates en guise de titres de chapitres et en bas de chaque page), Benoît Jacques nous précise tout ce que nous avons besoin de savoir pour lire cet ouvrage : « Ce livre est le journal d'une crise. Avant de se manifester par l'émergence d'une passion amoureuse et la rupture d'un couple (...) il s'est agi d'une brèche intérieure, d'une faille. Déchiré par la tempête d'émotions surgie des profondeurs, bouleversé par l'incapacité à la comprendre, il a fallu trouver d'urgence une issue de secours, un exutoire. (...) »

Nous ne sommes nullement dans l'explicitation, la verbalisation. Confronté à des sentiments qu'il ne maîtrise pas, qu'il ne comprend même pas, Benoît Jacques n'a que faire des mots. Pendant près de 250 pages, nous assistons à une éruption, une avalanche de dessins. On reconnaît bien entendu certains motifs qu'il est possible d'interpréter comme des métaphores en lien avec le thème principal : le marin sur un bateau pris dans la tempête, la prison qui est brisée, l'apparition de la femme, l'errance dans la forêt, Robinson Crusoé sur son île, le cheval en liberté, etc. Les dessins oscillent sans arrêt entre la figuration et l'abstraction. Certains motifs picturaux reviennent au fil des pages, se transforment progressivement, envahissent parfois tout l'espace. Leurs métamorphoses progressives permettent d'effectuer des transitions entre les séquences. Comme l'auteur submergé par ses émotions contradictoires, incontrôlables, nous sommes submergés par un flot graphique. Celui-ci, bien mieux que des mots parvient à nous entraîner dans le maelström sentimental de l'auteur.

On pourra trouver cette lecture un peu aride. Mais c'est vraiment réjouissant de découvrir ainsi de temps à autre un album qui ne ressemble à rien de connu et qui semble repousser les limites du média...

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