L’Association a été créée en mai 1990 par Jean-Christophe Menu, Lewis Trondheim, David B., Mattt Konture, Patrice Killoffer, Stanislas et Mokeït, rassemblant des auteurs qui présentaient comme point commun important le fait de ne pas trouver leur place dans les maisons d’édition de l’époque.
Mokeït est très vite parti (il s'en explique un peu au cours d'un entretien passionnant avec Jean-Christophe Menu, dans le troisième numéro de l'Éprouvette). Pendant 15 ans, l’Association sera géré par un comité de rédaction composé des 6 autres membres fondateurs. Mais au printemps 2005, David B. quitte le navire, inaugurant une série de départs : Lewis Trondheim à l'automne 2006, suivi peu après par Stanislas et Killoffer. Par ailleurs, Joann Sfar, qui n'est pas un membre fondateur mais qui, par bien des aspects, était un auteur phare de cette maison d'édition depuis quelques années, annonce qu'il ne publiera plus de livre chez cet éditeur.
Restent Jean-Christophe Menu et Mattt Konture.
Cette séparation peut être lue sous bien des angles. Un des éléments est, à mon avis, que ce qui rassemblait ces auteurs en 1990, à savoir principalement leur inadéquation avec le monde de l'édition de l'époque, a perdu de son importance ; et que, au contraire, ce qui les différenciait, à savoir leur attitude face au récit et à l'innovation, est passé au premier plan.
(Il y a sans doute bien d'autres raisons à ces événements. Je n’entrerai notamment pas dans d’éventuelles questions de personnes qui ont peut-être également joué un rôle mais que je ne prétends pas connaître.)
Déjà à l’époque de la fondation, Jean-Christophe Menu semblait être la cheville ouvrière de l’ensemble, ce groupement d’auteurs étant, au moins partiellement, issu de l’équipe de Labo, publié chez Futuropolis (en passant, on peut note que, jusqu’au bout, Futuropolis a été force d’innovation).
Avec d’autres maisons d’édition (Cornelius, Ego comme X, Freon et Amok, etc.), l’Association a fondamentalement renouvelé le paysage la bande dessinée francophone. Le succès est venu, pour cet éditeur en général et pour certains de ces auteurs plus particulièrement. Certains d’entre eux ont essaimé chez des grands éditeurs, parfois dans des collections ou des filiales dédiées (Poisson pilote notamment, Futuropolis) : d’une certaine façon, ils avaient rempli leurs objectifs : faire accepter au grand public, et donc aux éditeurs grand public, des œuvres différentes du 48 CC (48 planches cartonné couleurs) aux dessins traditionnels (réalisme d’une part, dessin comique traditionnel, du type ‘gros nez’, d’autre part).
En schématisant grossièrement, j'affirmerais qu'une fracture est alors passée au premier plan entre les « conteurs », pour qui primait le récit, et les défricheurs pour qui comptait davantage l'innovation, l'exploration de nouveaux territoires.
Sfar et David B. ne sont pas fondamentalement des innovateurs à tout crin, plutôt des conteurs. Ils sont avant tout guidés par le récit qu’ils veulent raconter. Il se trouve qu’au début des années 1990, la forme sous laquelle ils racontaient leur récit, très originale à l'époque, ne trouvait pas sa place dans le paysage éditorial français. Mais le renouvellement de cette forme n'est probablement pas prioritaire pour eux : elle leur convient telle qu'elle est, leur permettant de narrer leurs récits comme ils le souhaitent.
Le cas de Trondheim me semble un peu différent dans la mesure où il présente les deux aspects. Une partie de son œuvre est principalement fondée sur une logique de récit (les Lapinot, son œuvre autobiographique depuis Approximativement). Mais il a toujours également été attiré par un côté plus purement innovateur, oubapien, de ses récits au nombre de dessins réduits (Moins d’un quart de seconde, Psychanalyse, Monolinguistes, Le Dormeur) à ceux qui obéissent aux contraintes les plus variées (Les Trois chemins, La Nouvelle Pornographie, Bleu, Mister O…).
Jean-Christophe Menu, dans ses bandes dessinées, mais peut-être encore davantage dans ses écrits théoriques et dans son activité d’éditeur, a toujours présenté un tropisme certain pour l’innovation et les défricheurs.
Le caractère innovant des tenants du récit était à mon sens conjoncturel, dû au caractère de non acceptation par le grand public de leurs œuvres à une époque donnée. Au contraire les tenants de l’innovation auront à mon sens tendance à rechercher la nouveauté et le renouvellement en permanence.
(Attention, je ne porte pas de jugement critique a priori sur ces deux tendances, récit ou innovation.)
Au début des années 2000, la situation avait donc fondamentalement changé : pour les tenants du récit, le but était atteint. Par une partie de sa production, l’Association était maintenant concurrencée, plus ou moins bien, par certains éditeurs traditionnels. En revanche pour la publication de certaines œuvres, plus fondamentalement novatrices, l’existence de l’Association et des autres maisons d’édition dites indépendantes restait indispensable. Le retrait de la plupart des fondateurs de l’Association peut être vue comme la normalisation des tenants du récit. Leurs œuvres ont été acceptées par le grand public, les auteurs ont pu rejoindre les éditeurs grand public, revivifiant au passage les œuvres feuilletonesques de ces éditeurs et renouvelant de l'intérieur le « 48 CC » mainstram. L’Association est repartie pour un nouveau cycle, avec de nouveaux auteurs, dont les œuvres semblent actuellement inacceptables par les éditeurs grand public…
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