mercredi 20 avril 2011

De la difficulté de publier une autobiographie sincère en bande dessinée

L’autobiographie en bande dessinée est un genre relativement récent qui a déjà produit quelques chefs-d’œuvre capitaux. C’est également un genre avec lequel les auteurs se mettent en danger, d’un point de vue personnel en se mettant à nu devant leurs lecteurs mais également sur les plans relationnel, voire juridique. En effet un récit autobiographique met généralement en scène des personnes réelles, les proches de l’auteur, et celles-ci peuvent le lui reprocher, mécontentes de l’image qu’il renvoie d’elles, ou même simplement d’être ainsi mises en scènes dans un document public (il arrive également parfois que des personnes croient se reconnaître, à tort, dans le personnage d’une œuvre).

Je ne parle pas ici des blogueurs ou assimilés qui livrent des récits autobiographiques ‘light’, dans lesquels ils disputent à leur chat l’utilisation de leur couette et ils relatent leur angoisse d’être privés d’eau chaude à l’heure de la douche. On comprend aisément que ces auteurs ne seront pas mis en cause par les protagonistes de leurs aventures.

Je veux plutôt parler d’auteurs qui vont au-delà de l’anecdote et pour qui le récit autobiographique est une expérience plus profonde, tant sur le plan psychologique, existentiel ou même politique. J’en citerais trois parmi les plus marquants.

Cela se savait déjà, mais Jean-Christophe Menu le confirme dans La Bande Dessinée et son Double : S’il n’a pas donné de suite à son Livret de Phamille comme il l’avait prévu, c’est en raison de complications juridiques liées à son divorce.

Quant à Fabrice Neaud, les difficultés liées à la mise en scène de personnes réelles dans son œuvre sont une des thématiques principales de ses récits. Et cela, dès le tout début de sa carrière : dans Credo, un des ses premiers récits publiés, dans Bananas, en 1995 (et disponible en ligne ici), il dépeignait déjà différentes réactions, parfois franchement hostiles, d’individus apparaissant dans ses bandes. Une importante partie de Journal (III) tourne également autour de ce thème. Dans Émile, exceptionnel récit court publié dans la revue Ego comme X (et disponible en ligne sur le site de l’éditeur), Fabrice Neaud relatait les débuts de son histoire avec Émile mais sans représenter aucun être humain (exception d’un personnage public, dont une photo était reproduite), suite notamment aux difficultés et aux réactions hostiles rencontrées à la publication du Journal (III). Plus récemment il a été reproché à Fabrice Neaud devant la justice d’être susceptible de mettre en scène dans son œuvre l’autre personne impliquée dans le procès. La privatisation de plus en plus importante de l’image de chacun est un sujet qui lui tient à cœur (et qu’il a d’ailleurs récemment abordé, une nouvelle fois, sur son blog).

Ces difficultés participent très probablement à la forte raréfaction des œuvres autobiographiques de ces deux auteurs depuis plusieurs années.

Mattt Konture est l’exception qui confirme la règle. Depuis une vingtaine d’année, il publie une autobiographie sans concession mais purement autocentrée. Il ne fait quasiment aucune référence, si ce n’est très allusive, aux personnes qui l’entourent (depuis quelques années, il fait quelques exceptions, dûment assumées, à cette règle en parlant un peu de sa fille, de la mère de celle-ci et du nouveau compagnon de celle-ci). Il s’affranchit ainsi des difficultés rencontrées par Jean-Christophe Menu ou Fabrice Neaud suite à la mise en scène de personnes réelles. Mais il prive son récit autobiographique d’un pan capital de sa propre existence. Edmond Baudoin parvient également à livrer de riches récits autobiographiques en exposant très peu ses proches

L’autobiographie en bande dessinée, un genre encore jeune mais déjà menacé ? Certaines œuvres récentes, dont celle de Lucas Méthé donnent cependant espoir…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire