jeudi 22 septembre 2011

Michel Serres et Astérix : Le ciel est-il tombé sur la tête du philosophe ?

Cela fait déjà un énorme "buzz" sur Internet ; après hésitation, je ne peux m'empêcher de réagir à mon tour à l'intervention récente de Michel Serres sur Astérix. Le philosophe a en effet parlé sur France Info de la bande dessinée de René Goscinny et Albert Uderzo le dimanche 18 septembre.

Il critique trois points : 1) « Tous les problèmes se résolvent à coups de poings » ; 2) il assimile la potion magique à de la drogue et à des produits dopants et en conclut donc que « les albums d'Astérix font l'éloge de la drogue » ; 3) le sort peu enviable réservé au barde Assurancetourix révèle pour lui un « mépris forcené de la culture ».

Bon. On peut passer sur le fait que ces critiques ne sont ni originales, ni récentes (je crois me souvenir que la série avait déjà essuyé ce type de commentaires du vivant de Goscinny). Passons également sur le fait que Michel Serres rejoint ainsi des cohortes de soi-disant pédagogues qui ont cherché à montrer le côté anti-éducatif de la bande dessinée (justifiant ainsi des décennies de censure le plus souvent aveugle et stupide).

Je vais rapidement essayer de reprendre les trois points évoqués par Michel Serres : 1) On ne peut nier l'importance de la force brutale dans les albums d'Astérix. Mais celle-ci ne suffit jamais. En effet l'intrigue de la quasi-totalité des albums part du principe que jamais les Romains ne pourront vaincre les Gaulois par la force ; dans chaque histoire, ceux-là mettent donc en œuvre des moyens autres de réduire la résistance de ceux-ci : il peut s'agir de la prise d'un otage (Astérix Légionnaire ou Astérix Gladiateur), de l'appât du gain (Obélix et Compagnie), de l'attrait du pouvoir (Le Cadeau de César), de la zizanie (dans l'album éponyme). Tout l'enjeu pour nos héros est donc de surmonter ces crises en faisant appel à leur courage, leur intelligence ou, surtout, leur amitié. 2) La potion magique comme métaphore de la drogue ? C'est un peu facile mais pourquoi pas. Cela pourrait être le symbole de bien d'autres choses : la volonté de résister, l'esprit d'équipe, etc. On peut noter que dans Astérix chez les Bretons, boire du thé, et non de la potion magique, suffit pour donner la force de vaincre les Romains. Et si parfois le courage, la foi dans sa cause et la cohésion suffisaient ? 3) La culture n'est en effet pas à l'honneur dans Astérix : les villageois préfèrent boire, rire, manger et se battre plutôt que d'écouter le barde. J'ai tendance à considérer qu'Assurancetourix a un rôle comique très similaire à celui de la Castafiore chez Tintin. Je ne sais pas si Michel Serres, tintinophile fervent a critiqué de la même façon dans l'œuvre d'Hergé un « mépris forcené de la culture » en évoquant la cantatrice.

Ces trois critiques sont donc un peu datées et très discutables. On aura compris qu'elles ne me convainquent pas mais si Michel Serres veut créer un buzz avec des attaques comme celles-ci, c'est son droit. Cela ne m'intéresse pas outre mesure mais cela ne me gène guère.

Ce qui me choque en revanche profondément, c'est le dérapage avec lequel Michel Serres conclut sa chronique ; il termine en effet en affirmant que les traits qu'il a relevés, « c'est l'éloge du fascisme et du nazisme ». Je ne m'appesantirai pas aujourd'hui sur le fascisme, aux contours idéologiques flous (il est suffisamment peu défini pour être resservi à toutes les sauces). Mais je voudrai rappeler à Michel Serres que le nazisme est une idéologie qui s'appuyait sur la pureté du sang allemand, sur la suprématie du peuple germanique et sur l'extermination des Juifs. Rappelons-lui également que le nazisme a mis en pratique ces principes au-delà de tout ce qui peut se concevoir, notamment par le biais de la « solution finale ». Évoquer ainsi le nazisme pour qualifier l'oeuvre d'Albert Uderzo, immigré italien, et de René Goscinny, juif, qui insistaient d'abord et avant tout sur la force de l'amitié, est tout bonnement scandaleux. Il est malheureusement trop courant que des esprits, pourtant réputés éclairés comme Michel Serres, tombent ainsi dans des délires verbaux dignes (ou plutôt indignes) des pires dérapages trollesques de forums Internet incontrôlés. Parler de nazisme en commentant l'oeuvre ou les actes d'une ou plusieurs personnes est une accusation d'une extrême gravité et qui, en principe, ne devrait être faite qu'avec la plus radicale prudence.

2 commentaires:

  1. J'ai appris que Michel Serres s'est finalement excusé et que les termes fasciste et nazi dépassaient sa pensée. C'est bien le moins qu'il pouvait faire...

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  2. J'avais beaucoup apprécié le texte de Michel Serres sur les "Bijoux de la Castafiore", dans le premier volume de sa série "Hermès", si ma mémoire est bonne. Mais là, il pulvérise le mur du çon, comme l'on dit au "Canard enchaîné". Ce que vous lui répondez est très juste ; un philosophe devrait tout de même maitriser les concepts qu'il utilise, et ne pas laisser sa pensée le dépasser ! C'est peut-être un effet du grand âge, en tout cas c'est la seule excuse qu'on pourrait lui trouver...

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