vendredi 29 octobre 2010

Le Portrait, d'Edmond Baudoin (1990) (introduction)

La bande dessinée est encore un médium jeune, et les chemins inexplorés demeurent nombreux. Certains albums défrichent des lieux importants et font prendre conscience des richesses actuellement encore inexploitées par la quasi totalité des récits en bande dessinée. Parmi ces œuvres qui sortent des sentiers et ouvrent des voies nouvelles, une des plus marquantes, une des plus fortes, une des plus innovantes, à mon sens, est Le Portrait d'Edmond Baudoin.

Je vais commencer, aujourd'hui, par présenter rapidement cet album. Dans les prochains jours, j'en donnerai une analyse plus approfondie, page par page.

Un lecteur inattentif pourrait lire Le Portrait, comme la plupart des autres œuvres de Baudoin d’ailleurs, assez rapidement : une quarantaine de pages, peu de cases par pages, pas d’excès de texte (certaines pages sont même complètement muettes). Un tel lecteur passerait à côté de l’essentiel. Comme dans les autres albums de Baudoin il faut profiter de la beauté et de l’expressivité des dessins. Les pages de croquis, notamment, sont magnifiques. Dans cet album il est également passionnant de suivre les réflexions de l’auteur et la façon dont ils met celles-ci en image par de superbes trouvailles.

De façon schématique, on trouve dans Le Portrait deux réflexions entrelacées, la première sur l’amour, l’autre sur l’art et la création. Elles sont véhiculées de façon visible par les monologues intérieurs des deux personnages principaux, Carol, le modèle, et Michel, le peintre. La réflexion sur l’amour prend naissance principalement dans les pensées de Carol. Dans celles de Michel apparaît plus nettement la réflexion sur la création. Carol vit une rupture au début de l’album, rencontre des anciens amants, passe la nuit avec Charles et finit par s’avouer qu’elle est amoureuse de Michel « ce petit bonhomme chauve et barbu », plus âgé qu’elle. Elle s’interroge sur l’amour, les hommes, les ruptures, ses sentiments… Michel ne cesse de s’interroger sur l’art et la vie : comment « dessiner la vie ». Tout l’album (voire toute l'œuvre de Baudoin) est d'ailleurs en quelque sorte une illustration de cette question. Ces réflexions des deux personnages principaux se mêlent au cours de l’album (page 9 : « Avec ses pinceaux il voulait simplement effleurer quelques instants d’éternité… Quelque chose comme des baisers. » ; la relation amoureuse entre peintre et modèle…) et finissent par se confondre à la dernière page : « Dessiner la vie… Le rêve impossible… on ne peut que l’aimer. »

Pour tenter de réaliser ce « rêve impossible », à savoir « dessiner la vie », Baudoin a développé dans cet album des moyens exceptionnellement inventifs.

En accumulant les pages de croquis de Michel (plus d’une demi-douzaine), Baudoin donne vie, comme par approximations successives, à Carol. L’art de Michel et celui de Baudoin se confondent dans ces pages, comme pour mieux symboliser ce qui les rapproche ; Baudoin reprend ainsi à son compte la quête et les interrogations de Michel.

Onze fois les sentiments de Carol sont symbolisés par un petit personnage féminin, vêtu d’un pantalon blanc large et d’un petit haut noir. Ce personnage n’est pas encadré par une case et, la plupart du temps, Baudoin dessine une succession de tels petits personnages, comme les images successives d’un dessin animé, pour décomposer un mouvement. Par celui-ci Baudoin rend visible les sentiments de Carol. C’est particulièrement marquant page 7 lorsque Carol reprend, à contrecœur, ses lettres, ou page 21 lorsque l’entrée de Charles lui fait peur.

Pour symboliser les sentiments de Michel, Baudoin utilise des moyens tout autres : c'est son propre trait, son propre style (ceux de Baudoin, pas ceux de Michel) qui laissent transparaître les émotions du peintre : ainsi lorsque Michel apprend que Carol et Charles ont passé la nuit ensemble, les quatre dernières cases de la page 29 se brouillent, comme sous l'effet de l'émotion.

Que dire de plus aujourd'hui ? Je pourrais évoquer la poésie de Baudoin, la sensibilité de son trait, les autres moyens innovants développés pour rendre son propos plus riche et plus subtils... Je vous parlerai de tout cela dans les prochains jours, en lisant avec vous, page à page ce chef-d'œuvre du neuvième art.

3 commentaires:

  1. Tu as oublié de parler de la taille !
    Cet album dans son édition originale faisait partie de la collection 30 x 40 de futuropolis (et faisait donc 30 cm sur 40 cm).
    Cette dimension donne une toute autre envergure à l'oeuvre, l'édition de 1990 n'est qu'une réédition au format normal...

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  2. Pardon, 1997 pour la réédition par l'association au format normal (1990 étant bien la date du 30x40 de futuropolis).

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  3. C'est vrai, je n'ai pas parlé du format... Cette collection 30 x 40 avait en effet la particularité, en plus d'offrir un panorama exceptionnel de la bande dessinée de l'époque, d'être publiée en grand format. Et cela donne effectivement au Portrait une force encore plus grande...

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