Il est assez généralement entendu que l'évolution de la musique classique occidentale s'est traduite, du 18e siècle au début du 20e siècle, par un éloignement progressif de la tonalité et des formes classiques. Cela a conduit, à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle à des œuvres de plus en plus atonales et, c'est ce dernier point qui m'intéresse aujourd'hui, de forme de plus en plus libre : Debussy, Stravinsky ou Schoenberg, entre autres, donnaient à chacune de leurs œuvres une forme originale et adaptée à leur propos (à peu près entre 1892, avec le Prélude à l'après-midi d'un faune, et le début des années 1920, date marquant le début du néo-classicisme de Stravinsky dans Pulcinella et la formalisation du sérialisme chez Schoenberg et ses disciples, notamment avec la valse de son Opus 23). Je ne m'étendrai pas là-dessus aujourd'hui, ni n'apporterai les nombreuses précisions que mériterait un tel propos.
À côté de cette évolution dans le monde musical (et probablement, de façon similaire, dans le monde pictural à la même époque), on peut repérer une tendance proche dans certaines œuvres littéraires datant de ces trois décennies. Tout particulièrement dans l'œuvre d'André Gide.
En effet, alors que de nombreux romanciers ont tendance, sur le sacro-saint modèle balzacien, à faire évoluer leurs récits, leurs personnages, leurs thèmes dans un moule formel quasiment toujours identique, André Gide n'a eu de cesse de varier sans relâche la forme de ses récits, soties et romans, cherchant à chaque fois à l'adapter au mieux au fond de son propos.
Dans Paludes, dès 1895, André Gide nous livre un livre qui ne ressemble à rien de connu, parfaitement en phase avec la description d'un jeune auteur, plus ou moins dilettante, sans but bien précis. Il va encore plus loin dans Les Nourritures Terrestres ; cet hymne à la découverte de soi et du monde, du rejet de tout attachement et de tout retour au passé, est lui-même un refus de toute forme figée, un patchwork de récits, de poèmes et d'apostrophes au lecteur. Dans L'Immoraliste ou Isabelle, on retrouve une forme apparemment classique avec un narrateur racontant une aventure qui lui est arrivée ; mais ces narrateurs s'illusionnent eux-mêmes et le lecteur découvre progressivement, dans les creux et les non-dits du récit, ce que le narrateur leur cache, quand il ne l'ignore pas lui-même. Dans La Porte Étroite, Gide va encore plus loin, puisque plusieurs récits se mêlent, chacun apportant un point de vue complémentaire et contradictoire, en fonction des différents narrateurs. J'aurais du mal à aborder en quelques mots Les Caves du Vatican : récits menés en parallèle avec des personnages qui vont et viennent, des péripéties rocambolesques et inattendues ; encore une fois, la forme de cette 'sotie' n' a rien de classique et a dû surprendre plus d'un lecteur de l'époque.
Tout cela pour aboutir finalement, en 1925, aux Faux-Monnayeurs, œuvre à part dans la production gidienne. Il ne s'agit en effet plus ici d'aborder une partie des thèmes chers à Gide. Plus de restriction de cette sorte dans ce monument : André Gide a choisi de tout dire, d'aborder tout ce qui lui tient à cœur au moment de l'écriture de ce livre. Mais j'y reviendrai...
Tout ceci est très juste et, hasard, m'occupe fort actuellement.
RépondreSupprimerOn dit « égotiste » ou « moraliste », et l'on croit avoir tout dit. Le formalisme, dès les Cahiers d'André Walter peut s'expliquer par la sortie du symbolisme. Mais tout au long de sa vie Gide va employer toutes les formes d'écriture, de façon classique ou de façon nouvelle : ainsi pour la critique usera-t-il de la conférence (prononcée ou non) et de la préface, mais aussi de la fausse correspondance (Lettres à Angèle) ou de la fausse interview (Interviews imaginaires)... Même au sein de la forme journal se manifeste cette adaptabilité que vous évoquez, idem pour la forme autobiographique ; et ne parlons pas du théâtre. Protée était l'un de ses personnages mythologiques préférés après tout...
Dans mon post, je n'ai abordé le formalisme que dans les oeuvres "romanesques" de Gide. Mais, comme vous le faites très justement remarqué, on peut étendre le propos à l'ensemble de ses écrits...
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