lundi 13 février 2012

Critique de la critique (3) : Critiques musicales du Monde, de Télérama, des Inrockuptibles et de Libération

J'ai déjà évoqué, au moins à deux reprises (ici et ), les critiques que je formulais à l'égard de la majorité des critiques professionnels. Je me suis contenté jusque là d'aborder ce vaste problème d’un point de vue très général. Aujourd'hui, je vais prendre quelques cas plus concrets en me concentrant sur les critiques musicales dans quatre grands quotidiens et magazines : Les Inrockuptibles, Télérama, Libération et Le Monde.

Je considère qu’il y a deux phases, deux niveaux, dans l’acte critique : le premier est celui du choix : le critique sélectionne les œuvres qui lui semblent valables, intéressantes ; il sort du lot les œuvres qui lui semblent mériter d’être distinguées du tout-venant d’une production pléthorique. Le deuxième niveau est celui de l’analyse : le critique explique pourquoi il apprécie (ou pas) les œuvres qu’il a sélectionnées. Lorsqu’il s’agit des critiques musicaux du Monde, j’ai peu de chose à dire sur cette deuxième phase : les critiques sont claires, argumentées, bien écrites. En revanche la première phase laisse à désirer. Plus précisément, je leur reproche de sélectionner les œuvres chroniquées non pour des raisons esthétiques mais essentiellement pour des considérations de notoriété : il s’agit des albums dont « on » parle, sur lesquels le lecteur moyen du Monde souhaite avoir un avis (c’est en tout cas particulièrement le cas pour la variété française et internationale). Le Monde a ainsi recommandé, à au moins deux reprises, l’achat de l’intégrale d’Eddy Mitchell (37 CD de monsieur Schmoll !), chronique avec fidélité tous les albums et tournées de Johnny Halliday et a mis en couverture du Monde Magazine Jacques Dutronc pour son retour sur scène il y a un an. Excusez-moi, mais tous ces événements sont pour moi des non événements artistiques ou même musicaux. Écouter l’intégrale d’Eddy Mitchell, y compris ses péchés de jeunesse des années 1960, est destiné à une frange des lecteurs du monde qui se rappelleront ainsi leurs jeunes amours et leurs premières « surprises parties », bien plus qu’à un réel public de mélomanes ; cela fait des années que les péripéties de « Johnny » appartiennent plus à la rubrique « people » des journaux qu’à la rubrique musicale (si elles ont jamais réellement relevé de celle-ci d’ailleurs) ; quant à Jacques Dutronc, il a troussé quelques rengaines amusantes à la fin des années 1960, en grande partie grâce aux paroles de son compère Lanzman, et les a popularisées grâce au personnage de dandy qu’il s’était créé, mais son retour musical en 2010 est clairement un non événement sur le plan musical (de toute façon il aura, qualitativement, nettement plus marqué la culture française par quelques rôles magistraux au cinéma, notamment dans le Van Gogh de Maurice Pialat que par ses ritournelles, tout amusantes qu’elles puissent être). Si Le Monde souhaite en parler, qu’il crée une rubrique « People » ou « show business », mais ces articles n’ont rien à faire dans une rubrique de sélection musicale d’un journal qui vise un certain niveau intellectuel. À ce titre, un article m’avait frappé : Le Monde avait chroniqué en une, privilège exceptionnel, le dernier album de Vanessa paradis, Divine Idylle. La chronique concluait en affirmant que ce disque, pas exceptionnel, se situait dans la moyenne de la production française actuelle. Fort bien, cela signifie donc que de très nombreux albums (ceux qui se situent « au-dessus » de la moyenne) mériteraient davantage la une que celui-ci… Oui, mais encore une fois le choix avait été fondé sur la notoriété, non sur la qualité du disque. Le Monde informe donc ses lecteurs de l’actualité musicale mais ne me semble pas en mesure de les conseiller pour effectuer une sélection digne d’écoute dans la production de disques…

Je lisais il y a peu, sur un forum Internet, les arguments de lecteurs des Inrockuptibles venus défendre leur magazine. Ils étaient à peu près d’accord : Les Inrockuptibles était à leurs yeux un bon magazine car il leur permettait de connaître avant les autres la musique qu’il fallait écouter. On ne saurait mieux résumer ce que je pense de ce magazine : Il ne s’agit pas de sélectionner les bons disques, les albums intéressants, les artistes innovants. Non, il faut en premier lieu détecter, le plus tôt possible, ce qui est « in », ce qui va faire le « buzz ». L’important est de pouvoir répartir la population en deux catégories : ceux qui ont bon goût, qui savent ce qu’il faut écouter, et ceux qui ont mauvais goût, qui ne savent pas. Les Inrockuptibles, ou la recherche du « hype » sans réel sens de la qualité musicale.

Télérama travaille par catégorie, en distinguant soigneusement le jazz de la variété française, la pop des musiques du monde (catégorie absurde qui ressemble tout ce qui n’est pas de chez nous, qui mêle ainsi la musique classique indienne au blues sahélien, la variété italienne et le tango argentin…). Chaque catégorie a son chroniqueur attitré (en tout cas était-ce le cas lorsque je feuilletais régulièrement ce magazine ; je n’ai pas vérifié récemment si c’était encore systématiquement le cas). Quel sens cela a-t-il de sectionner ainsi la musique (« les musiques » dit-on certes de nos jours) ? Si le chroniqueur qui parle du On the corner de Miles Davis, classé en jazz, n’a jamais entendu Sly and the family Stone, classé en pop-rock ou en soul, et Stockhausen, classé en classique, son analyse sera forcément partielle. Idem pour le chroniqueur de Magma, classé selon les personnes en jazz ou en rock français, qui ne connaîtrait pas Coltrane et Stravinsky ; ou pour un chroniqueur de Frank Zappa qui ne serait pas au courant de la production classique du XXe siècle ; ou encore pour celui de Fela Kuti, classé en musique du monde qui ne serait pas familier de James Brown, classé en pop rock ou en soul… Les grands créateurs musicaux ont généralement (toujours ?) fait fi des frontières musicales ; si les critiques musicaux, à Télérama ou ailleurs, se complaisent dans ces frontières, il subsistera toujours un problème de compréhension.

Je connais assez peu les chroniques musicales de Libération, elles ont rarement retenu mon attention. Les rares que j’ai lues étaient plus préoccupées du bon mot que de l’analyse juste et j’y ai davantage appris sur les dernières frasques amoureuses ou déboires judiciaires des artistes que sur les qualités artistiques des albums chroniqués.

La critique musicale française a donc encore des progrès à faire. Et encore son niveau moyen reste-t-il élevé par rapport à ce qui s’écrit en termes de critique de bande dessinée…

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