J'ai déjà discuté assez longuement du « bonhomme patate » avec Fabrice Neaud dans un entretien disponible sur le site qui lui est consacré.
Dans un passage célèbre de l'Art invisible, Scott Mac Cloud a théorisé l'intérêt de représenter les personnages très schématiquement : un rond pour la tête, deux pour les yeux, un pour le nez et un trait pour la bouche. L'identification du lecteur au personnage est ainsi facilitée. Tintin en est peut-être le meilleur exemple. Mais si une telle inexpressivité convient à merveille à ce type de personnage, héros sans peur, sans reproche et sans personnalité ni réelle psychologie, qui n'est qu'acte et mouvement et nullement profondeur, on se rend vite compte des limites d'une telle approche si l'on souhaite aborder d'autres styles que le récit d'aventure classique, popularisé par la bande dessinée franco-belge traditionnelle.
Une plus grande expressivité peut présenter des avantages certains, notamment une personnalisation accrue des personnages et une palette de moyens élargie pour aborder leur psychologie.
Cela peut passer par un réalisme accru ou une schématisation différente, plus typée, des personnages, au niveau du visage, certes, mais également du reste du corps (démarche, mains, etc.).
À ma connaissance, ces possibilités ont été peu exploitées en bande dessinée, à quelques notables exceptions près.
Albert Uderzo, dans son style réaliste très inspiré des classiques américains, caractérisaient ainsi de façon précise les visages de ses personnages. On peut citer en exemple quatre cases successives de Tanguy et Laverdure dans lesquelles les casques d'aviateur ne laissent apparaître que les yeux des protagonistes. Ceux-ci sont suffisamment typés, et leurs personnalités suffisamment différenciées (et schématiques, mais cela relève du scénario d'aventure classique si fréquent à l'époque) pour qu'ils puissent être identifiés sans ambiguïté par leurs yeux.
J'ai déjà évoqué dans ce blog la capacité du même Uderzo à jouer avec les mimiques de Falbala...
André Franquin également, particulièrement à la fin de sa carrière, dans les dernières planches, de plus en plus maniéristes, de Gaston, travaillait beaucoup l'expression des visages.
Plus récemment certains mangakas utilisent ce genre de ressort. Taiyo Matsumoto s'est ainsi fait une spécialité de donner à certains de ses personnages des tics corporels les caractérisant. Dans Ping pong, Smile remet régulièrement ses lunettes en place sur son nez à l'aide de son majeur. Dans Gogo monster, la professeur se passe fréquemment les mains dans les cheveux. Ces gestes rendent ces personnages moins schématiques, plus humains.
Fabrice Neaud, dans son Journal, se montre particulièrement attentif aux expressions des visages et, de façon notable, aux mains de ses personnages, comme on peut le voir dans l'image ci-dessous, issue du deuxième volume du Journal.
On aurait pu penser que le développement de la bande dessinée de l'intime, de l'autofiction en bande dessinée s'accompagnerait d'une recherche accrue dans le domaine de ce type de description psycho-physionomique (prière d'excuser le jargon mais je n'ai rien trouvé de mieux). Cela n'a été que marginalement le cas ; j'ai déjà cité Fabrice Neaud, on pourrait également évoquer Frédéric Boilet, Jaime Hernandez, Karl Stevens (même si dans le cas de cet auteur, c'est au prix d'un réalisme parfois pesant). Mais la plupart des auteurs (sur papiers comme dans les blogs) ont pour l'instant peu exploité les expressions corporelles de leurs personnages pour aborder leur psychologie...
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