Je suis actuellement plongé dans les Souvenirs et Voyages d'André Gide (un volume dans la Bibliothèque de la Pléïade). Si, d'un strict point de vue littéraire, ce n'est pas aussi riche que ses récits ou son journal, cela n'en constitue pas moins un témoignage extrêmement riche sur la première partie du XXème siècle en général et sur André Gide en particulier.
La lecture du Retour d'U.R.S.S. (suivi de Retouches à mon "Retour d'U.R.S.S."), notamment, est particulièrement enrichissante. Bien que bourgeois, André Gide avait été très séduit par la Révolution russe. Pendant plusieurs années, il fut un fervent partisan de l'URSS. Il multiplia les déclarations présentant la Russie soviétique comme le pays de l'avenir. Tant et si bien qu'il finit par être y invité officiellement. Il séjourna ainsi neuf semaines au pays des Soviets.
Quelle ne fut pas sa déception ! L'URSS qu'il découvrait n'était ni démocratique (les électeurs ne disposaient d'aucun choix réel), ni égalitaire (l'écart entre les citoyens ordinaires et une classe de nouveaux privilégiés issus de l'administration et du Parti allait grandissant), le culte de personnalité qui entourait Staline s'imposait partout, la culture était bâillonnée et le sort matériel des masses n'était pas spécialement enviable. Peut-être, rétorquaient certains à Gide, mais ce qui compte, c'est la progression, de la misère endurée sous les tsars vers une prospérité toujours plus grande. Pour notre voyageur, et c'est bien ce qui l'attriste le plus, ce n'est même pas le cas. Il lui semble au contraire que la situation se dégrade...
À son retour, il publie Retour d'U.R.S.S., livre assez critique mais qui se veut encore optimiste sur l'avenir de la révolution russe. Il se conclut ainsi sur les phrases suivantes : "L'aide que l'U.R.S.S. vient d'apporter à l'Espagne nous montre de quels heureux rétablissements elle demeure capable. L'U.R.S.S. n'a pas fini de nous instruire et de nous étonner." André Gide fut très critiqué à la sortie de cet ouvrage. Il publia moins d'un an plus tard Retouches à mon "Retour d'U.R.S.S.", dans lequel il enfonce le clou. Alors que dans son premier ouvrage il se contentait le plus souvent, volontairement, d'impressions de voyages, cette fois il élabore un propos beaucoup plus argumenté, chiffres à l'appui, en se fondant sur les avis de nombreux fins connaisseurs du pays. Et toujours, bien entendu, dans sa langue si claire, précise et élégante. Cette fois le verdict est beaucoup plus sévère : "Il importe de voir les choses telles qu'elles sont et non telles que l'on eût souhaité qu'elles fussent : L'U.R.S.S. n'est pas ce que nous espérions qu'elle serait, ce qu'elle avait promis d'être, ce qu'elle s'efforce encore de paraître ; elle a trahi tous nos espoirs. Si nous n'acceptons pas que ceux-ci retombent, il faut les reporter ailleurs. Mais nous ne détournerons pas de toi nos regards, glorieuse et douloureuse Russie. Si d'abord tous nous servais d'exemple, à présent hélas ! tu nous montres dans quels sables une révolution peut s'enliser."
Ils furent bien peu nombreux à être si lucides si tôt... En plus d'être un grand styliste, un innovateur constant, un diariste de premier ordre, André Gide fut décidément un contemporain éclairé.
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