lundi 15 novembre 2010

Donjon, de Joann Sfar et Lewis Trondheim (1998-...)

Depuis le début des années 1980 (et, notamment, La Quête de l'oiseau du temps), les séries d'héroïc fantasy se sont multipliées dans la bande dessinée francophone.

En 1998, alors que cette vague semblait se perdre dans quelques poncifs éculés, de trolls sanglants et guerrières délurées, une série créée par deux jeunes auteurs venant du monde de la scène dite 'indépendante' a commencé à faire sensation en piochant allégrement dans tous ces poncifs, mais en renouvelant radicalement le genre. Qu’est-ce qui fait de Donjon, puisqu'il s'agit de cela, une série fondamentalement plus riche que la quasi-totalité des autres séries d’heroïc fantasy qui ont fleuri depuis une vingtaine d’années ?

  1. La première force de Donjon est évidente, utilisée constamment dans les bonnes séries télévisées ou dans les comics américains (mais trop souvent négligée dans la bande dessinée d’heroïc fantasy ou de science-fiction francophone, qui a multiplié les cycles interminables), il s’agit de la double temporalité du récit : une temporalité courte, qui permet à chaque album d’être lu comme un récit indépendant, une temporalité longue qui permet au récit d’être continu sur l’ensemble des albums (même si la temporalité s’estompe actuellement dans la série Crépuscule, voire dans la série Zénith depuis le numéro 5 : les différents albums sont de moins en moins indépendants les uns des autres).

  2. Le mélange des genres est roi : On trouve de tout dans Donjon, en fonction des albums et souvent au sein des mêmes albums, beaucoup d’humour (allant du relativement subtil au très potache), de l’aventure, de l’amour, du sexe (traité à la Joann Sfar, c’est-à-dire sans racolage et sans occulter les questions pratiques et existentielles qu’il pose), du tragique, etc.

  3. De nombreux fils narratifs sont mêlés, créant du suspens à de très nombreux niveaux : on suit tout d’abord les transformations du Donjon (de sa construction dans Potron-Minet à sa fin dans Crépuscule, en passant par son apogée dans Zénith) ; on se captive également pour les aventures des principaux personnages (Hyacinthe, Marvin, Herbert, Marvin le Rouge, etc.), les tribulations des objets du Destin, les aventures de certains porteurs de l’Épée du Destin, celles des automates, etc. Tous ces fils narratifs entrelacés tout au long des albums et des époques multiplient les niveaux de suspense et les intrigues.

  4. Les différentes époques sont traitées en parallèle : Il aurait été possible (c’est d’ailleurs l’idée la plus naturelle, la plus logique) de commencer l’histoire à l’époque de Potron-Minet et de la raconter progressivement, dans l’ordre chronologique du récit, arrivant à l’époque Zénith (au bout de 100 albums ?), puis à celle de Crépuscule (au bout de 200 ?). Cela aurait été probablement fastidieux. La méthode choisie (probablement par hasard plus que par réflexion) permet de multiplier les niveaux de lecture, les questions en suspens (comment tel lieu, tel personnage, tel objet passent de telle époque à telle autre), enrichit la lecture de multiples renvois d’une époque à une autre.

  5. La diversité des dessinateurs conviés en fait un who's who d'une certaine bande dessinée contemporaine. En outre certains volumes sont de très belles réussites sur la plan graphique ; je pense notamment à ceux dessinés par Blutch, Bézian, Killoffer, etc.

Enfin, l'ensemble est narré avec le sens du feuilleton et l’imagination débridée, notamment dans le domaine du fantastique, de Joann Sfar et l’humour et la force d’innovation sans frontière de Lewis Trondheim (ou l’inverse, d'ailleurs…).

Tout cela fait de Donjon une série très riche et, surtout, hautement addictive : à chaque lecture on découvre de nouveaux éléments qui renvoient à d’autres albums, que l’on a de ce fait envie de (re)lire et qui nous renverront à leur tour vers d’autres albums…

Malheureusement, ces séries ont connu un ralentissement depuis quelques mois. Christophe Blain passait la main pour Donjon Potron-Minet, Manu Larcenet arrêtait Donjon Parade, Joann Sfar et Lewis Trondheim semblaient accaparés par d'autres projets. En 2010, aucune nouveauté n'est parue (ce qui est, je crois la première fois depuis 1998). Mais Lewis Trondheim a récemment annoncé sur son blog la parution en 2011 de deux nouveaux albums réalisés l'un par Joann Sfar, l'autre par lui. Les séries ne sont toutefois pas précisées. Encore quelques mois à patienter pour en savoir plus...

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