Le nouveau numéro de Love & Rockets: New Stories, de Gilbert et Jaime Hernandez, vient de paraître, sous une superbe couverture de Jaime (quelle composition !). Comme à chaque fois, c'est une réussite artistique connaissant peu d'équivalent dans la bande dessinée contemporaine.
Le cas des frères Hernandez (Gilbert et Jaime principalement) est exceptionnel à plus d'un titre. Voir ainsi deux frères construire parallèlement, depuis presque 30 ans (le premier numéro de Love & Rockets est sorti en 1982), deux œuvres riches et exigeantes est déjà remarquable ; que ces deux œuvres soient publiées dans le même comics depuis le début de leur carrière l'est au moins autant ; enfin l'alternance, dans ces comics, de pages des deux frères montre à quel point les deux œuvres se complètent et s'équilibrent : les pages de Jaime, au dessin clair et précis et aux récits tout en nuances viennent très efficacement contre-balancer les exubérances de celles de Gilbert, marquées par la violence des récits et les outrances volontaires des dessins. Cet équilibre subtil des récits publiés en alternance, par courtes livraisons de quelques pages, contribue pour une part non négligeable à la qualité des nombreux numéros de Love & Rockets (50 numéros pour le volume 1 entre 1982 et 1996, 20 numéros pour le volume 2 entre 2000 et 2007 et 3 numéros pour le volume 3, en cours de publication depuis 2008) et est malheureusement absente de compilations traduites en français.
Revenons à l'objet de mon post d'aujourd'hui, à savoir la sortie du numéro 3 de Love & Rockets: New Stories, et tout spécialement aux pages de Jaime Hernandez. Celles-ci comprennent un récit 'contemporain' qui relate un événement attendu depuis plus de 15 ans par les lecteurs assidus de Love and Rockets, à savoir les retrouvailles de Maggie et de Ray, et, inséré entre les deux épisodes de ce récit, un souvenir douloureux de la jeunesse de la même Maggie, le déménagement de sa famille et le divorce de ses parents.
On a pu assimiler, pourquoi le nier, Love and Rockets à un 'soap opera'. Les récits de Jaime Hernandez suivent en effet les événements souvent banals de la vie de divers protagonistes, Maggie et Hopey en tête : crises familiales, déchirements amoureux et retrouvailles, deuils et tromperies. Les personnages vieillissent à la même vitesse que dans la vie réelle (adolescentes au début des années 1980, elles approchent maintenant la cinquantaine). Les ingrédients d'un bon 'soap opera' sont bien là. Mais voilà, le talent de Jaime Hernandez est immense et lui permet de transcender allégrement toutes les limites du genre...
Cette dernière livraison (qui a maintenant adopté un rythme annuel), n'échappe pas à la règle et on y retrouve tout l'art de Jaime Hernandez : ellipses parfaitement amenées, maîtrise de l'euphémisme dans le récit, noir et blanc précis. Que ce soit dans le texte ou le dessin, il n'y pas de superflu et tout est parfaitement à sa place. Sous ces dehors classiques, le propos de Jaime Hernandez est extrêmement subtil. On a rarement mieux rendu en bande dessinée les doutes et interrogations d'individus adultes face à des vies banales, les sentiments ambigus mêlant mélancolie face au passé et désir de renouveau.
Maggie retrouve donc Ray. En quelques pages les sentiments complexes de ces deux personnages nous deviennent palpables ; en quelques phrases, tout le poids des événements qu'ils ont vécu depuis leur séparation remonte à la surface. Jaime Hernandez parvient si bien à insuffler de la vie à ses créatures de papier que, pour un lecteur qui a suivi leurs péripéties, les quelques éléments très succincts de ces pages provoquent des émotions très fortes, comme si nous retrouvions de vieux amis avec lesquels nous avons partagé tant de choses. Ce récit contemporain introduit en outre, de façon très elliptique, un personnage nouveau, Calvin, un frère de Maggie. L'épisode de la jeunesse de Maggie, inséré au milieu de ce comics, permet à la fois d'enrichir encore le personnage de Maggie en creusant une de ses failles, la séparation de ses parents, et de donner une grande épaisseur à Calvin. On assiste ainsi à des subtils phénomènes d'échos entre ces deux récits que plus de trente ans séparent.
Un dernier mot pour conclure, à tous ceux qui sont en train de, ou qui vont bientôt, découvrir Jaime Hernandez avec les récentes traductions de Locas en français : Méfiez-vous, cette série est une drogue et l'accoutumance ne fait que croître avec les albums...
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