À mes yeux, une grande force de la théorie mimétique de René Girard est sa capacité à éclaircir, au moins pour moi, certains éléments peu clairs de la culture occidentale.
À plusieurs reprises, la lecture d'ouvrages de René Girard m'a permis de comprendre des œuvres, des problématiques, que je trouvais peu claires depuis longtemps ; ou au moins, elle m'en a apporté une explication que j'ai trouvé satisfaisante. Plusieurs textes m'avaient ainsi toujours laissé plus que perplexe avant que je ne lise l'interprétation qu'en faisait René Girard. J'en citerai aujourd'hui quelques-uns... Et je vous prie de m'excuser pour les nombreuses approximations que les paragraphes suivants contiennent. Ces quelques lignes n'ont en aucune façon la prétention de résumer quelques points clés de la pensée girardienne, mais simplement de partager mon enthousiasme à propos de plusieurs idées qui m'ont paru très éclairantes...
Le Livre de Job, tout d'abord. Dieu met Job à l'épreuve ; celui-ci semble se révolter, remet en cause la justice de Dieu. Il se fait alors reprendre par quelques-uns de ses amis qui invoquent l'infaillibilité et la justice du Tout Puissant. Dieu finit par intervenir, prend la défense de Job mais rappelle néanmoins à celui-ci son devoir d'humilité. Ce livre me semblait fondé sur un double paradoxe : On disait que Job était ruiné, que tous ses proches étaient morts ; pourtant Job ne se plaignait ni de la perte de ses biens, ni de la disparition de ses proches, mais du fait d'avoir été abandonné de tous. Et, deuxième paradoxe imbriqué dans le premier, alors que Job se plaignait d'être laissé seul suite à l'abandon de tous ses proches, le livre n'est qu'une discussion entre Job et quatre de ses amis.
En interprétant les malheurs de Job comme une crise mimétique, dans La Route Antique des hommes pervers, René Girard surmonte ce double paradoxe. La description des malheurs de Job est en fait celle du dénouement d'un crise mimétique : Job est un exemple typique de l'individu qui a été glorifié, d'où ses grandes richesses, avant de subir une mise à mort (symbolique puisqu'il est encore vivant) de la part de l'ensemble du peuple unanime au paroxysme d'une crise mimétique. On retrouve le schéma de la mise à mort d'un roi présente dans de nombreux mythes. Cela explique que Job, plus que de la perte de ses richesses et de ses proches, se plaigne d'avoir été abandonné par tous : la clé de son infortune réside dans l'unanimité de tous contre lui lors de la crise mimétique.
Quant à ses 'amis', ils représentent la sagesse populaire, encore mythologique, qui voit dans le bouc émissaire un coupable (lecture des mythes traditionnels) ; Job, lui, prend part à la révélation biblique qui met en lumière le mécanisme victimaire lié au désir mimétique et l'innocence du bouc émissaire. Job est innocent ; malgré son innocence, il est mis à mort par la foule indifférenciée et unanime.
La métaphysique de Satan de certains théologiens classiques était un autre sujet qui m'intriguait fortement. Pour certains théologiens en effet, tout être vient de Dieu. Le mal, Satan, est donc un non être, une absence de bien. Il était déclaré « Prince de ce monde » mais n'avait pas d'être propre ; encore un paradoxe qui m'avait fait réfléchir.
En assimilant, dans Je vois Satan tomber comme l'éclair, Satan au désir mimétique, René Girard surmonte cette difficulté : Satan est effectivement le « Prince de ce monde » dans la mesure où toute l'humanité est guidée, régie par le désir mimétique ; mais il n'a pas d'être propre, il ne dispose pas d'une existence individuelle.
Je pourrais évoquer longuement d'autres exemples. Si la base du complexe d'œdipe freudien m'a toujours semblé relativement claire, certains des prolongements qu'en tire Freud me paraissaient beaucoup plus obscurs. En interprétant le complexe d'œdipe comme un cas particulier du désir mimétique (l'enfant reproduit les désirs du modèle le plus proche de lui, le petit garçon reproduit les désirs de son père pour sa mère, la petite fille reproduit ceux de sa mère pour son père) , je comprends beaucoup mieux les origines et les conséquences de ce phénomène psychologique. Enfin, lorsque j'ai lu (ou vu, je ne sais plus) pour la première fois Le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, je n'ai pas du tout suivi la logique de cette succession de revirements amoureux apparemment sans queue ni tête. La lecture girardienne, qui y voit une série de désirs mimétiques (chaque personnage calque son désir amoureux sur un modèle ; et son amour disparaît lorsque le modèle n'est plus à craindre) m' a permis d'apprécier beaucoup plus cette pièce à la fois légère et formidablement complexe.
Bref, je suis très impressionné par la puissance des théories girardiennes qui sont capables d'éclairer des problématiques si diverses...
Ne pas oublier toutefois que toute lecture de René Girard doit être accompagnée de celle de René Pommier.
RépondreSupprimerLes critiques de René Pommier ne m'ont jamais convaincu. Certes les livres de René Girard ont des défauts, certes son côté "Je suis le seul à avoir compris quelque chose à l'humanité" (aspect qui est plutôt dû à ses disciples et interviewers qu'à lui, beaucoup plus mesuré dans ses propos) est très agaçant. Cela n'enlève à mon avis rien à la puissance de sa théorie, qui éclaire certains phénomènes humains sous un angle nouveau (et pas forcément unique).
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