lundi 21 novembre 2011

Documentaire télévisuel sur Mattt Konture

Je viens de découvrir un documentaire télévisuel très intéressant consacré à Mattt Konture. Il dure 52 minutes et a été diffusé par France 3 Midi Pyrénées. Il est maintenant visible en ligne ici. Y sont notamment interviewés, en plus de Mattt Konture lui-même, Jean-Christophe Menu, Killofer et Pacôme Thiellement. On peut même y entendre des extraits de la musique de Matt Konture, ce qui a assouvi chez moi une curiosité déjà ancienne : il parle tellement dans ses comics de sa musique...

Un documentaire très instructif qui met bien l’œuvre de ce grand auteur en valeur.

mardi 15 novembre 2011

MetaMaus, d'Art Spiegelman (2011)

25 ans après la sortie du premier volume de Maus chez Pantheon, Art Spiegelman revient sur son œuvre majeure. Ce qui aurait pu ne constituer qu'un coup marketing pour profiter de 25e anniversaire est en fait un projet passionnant à plus d'un titre intitulé MetaMaus. La genèse de Maus est déjà en soi un sujet intéressant. Comment Art Spiegelman, cet auteur de bande dessinée érudit et underground, qui n'avait publié que des récits courts (rarement plus de quatre pages), très intellectuels et destinés à un public plus que restreint s'est-il lancé dans ce projet de longue haleine qui rencontra un sujet si fulgurant et si important (le prix Pulitzer attribué à une bande dessinée !) ?

Le livre MetaMaus permet de revenir en détails sur cette création. En trois principaux chapitres sous forme d'entretiens, "Why the Holocaust?", "Why Mice?" et "Why Comics?", Art Spiegelman retrace ses motivations, ses doutes, ses repentirs et ses réussites.

La première partie revient donc sur l’Holocauste et le traitement qu’en a fait Art Spiegelman dans Maus. La seconde partie aborde la principale métaphore du livre : l’assimilation de chaque groupe national ou racial à des animaux (les juifs représentés sous l’apparence de souris, les nazis sous celle de chats, les Polonais sous celle de cochons, etc.). La troisième est celle qui m’a le plus intéressé : Art Spiegelman y détaille comment il a transcrit le récit de son père en bande dessinée ; il revient sur ses influences, sur ses premières expériences en bande dessinée (que l’on a pu découvrir récemment dans le recueil Breakdowns : Portrait of the Artist as a young %@*!) et sur les nombreux moyens propres à ce medium qu’il a mis en œuvre dans son livre pour relater l’histoire de sa famille. Art Spiegelman connaît bien l’histoire de son médium, il a beaucoup réfléchi aux potentialités et aux limites de celui-ci et connaître son opinion sur tous ces sujets est passionnant, d’autant plus que l’ouvrage est richement illustré.

En plus du livre qui transcrit principalement quelques heures d’entretien avec Art Spiegelman, le projet MetaMaus propose également un DVD (il paraît que ce DVD reprend et complète un CD-ROM, diffusé dans les années 1990, que je ne connais pas), qui, à ma connaissance, nous offre quelque chose d’inédit dans le monde de la bande dessinée : il comprend de nombreux documents audiovisuels (entretiens avec l’auteur notamment), des articles d’Art Spiegelman ou des critiques parues lors de la publication de Maus, ainsi que d’autres que documents venant enrichir la connaissance du contexte de l’historie de la famille Spiegelman. Mais, surtout, il offre une version intégrale de Maus dans laquelle, pour chaque page et pour la plupart des cases, il est possible, par un simple clic, d’accéder à tous les documents ayant servi à la création de cette page et à tous les travaux préparatoires (esquisses, essais de dialogue, dessins préparatoires, soit quelques 400 pages de carnet et 7 500 dessins préparatoires) ayant précédé la page ou le dessin définitif. Art Spiegelman est un auteur intellectuel plus qu’intuitif : dans Maus, tout est mûrement pensé, longuement mûri. Les mises en page sont travaillées au fil de nombreuses esquisses, le moindre dessin est repris plusieurs fois avant d’être mis au propre. Art Spiegelman dispose donc d’une quantité impressionnante de documents permettant de suivre l’évolution du processus créatif à l’œuvre lors de l’écriture de Maus. Tous les atermoiements, toutes les hésitations peuvent être découverts en quelques clics.

Jamais il n’avait été possible d’aller si loin dans la connaissance de la genèse d’une bande dessinée. Cela m’ a donné une excellente occasion de me replonger dans cette œuvre réellement à part qu’est Maus.

dimanche 13 novembre 2011

Le goût du Paradis, de Nine Antico (2008)

Depuis des années les éditions Ego comme X font découvrir de jeunes auteurs, débutants ou presque, souvent fort talentueux, en publiant leurs premières œuvres autobiographiques. Au milieu des années 1990, il y eut Fabrice Neaud, bien sûr, Xavier Mussat, Frédéric Poincelet... Plus récemment ce fut le tour de Matthieu Blanchin, Simon Hureau, Lucas Méthé. Ce qui constitue déjà un superbe catalogue. En 2008, ce fut le tour d'une nouvelle venue, Nine Antico.

Dans Le goût du Paradis, elle nous relate en une centaine de pages quelques tranches de vie de sa pré-adolescence et son adolescence. Jeune "fille à papa", blanche, dans une banlieue du "9-3", elle connaît les difficultés à s'intégrer dans un groupe, un milieu familial perçu comme médiocre (les repas familiaux du dimanche...), les premiers émois sentimentaux... Tout cela serait extrêmement classique si c'était raconté par un garçon. Le développement de l'autobiographie, entre autres facteurs, a contribué à l'éclosion d'auteurs de bande dessinée femmes, ce qui permet d'élargir le champ des récits. Nine Antico nous fait découvrir tous ces moments si classiques avec beaucoup de sensibilité et un trait vif et très personnel, avec ce qu'il faut de naïveté parfois, d'émotion souvent, de désenchantement fréquemment et d'humour de temps en temps.

mercredi 9 novembre 2011

L'Abbé, d'Edmond Baudoin (1994-2011)

Altercomics et l'Acnav ont la bonne idée de rééditer l'album consacré par Edmond Baudoin à l'Abbé Pierre. Initialement paru en 1994 sous le titre Le Défi, il ressort cette année sous le titre L'Abbé.

Edmond Baudoin étant un athée, en rien porté sur la religion, la rencontre entre le dessinateur et le prêtre fondateur d'Emmaüs n'allait pas de soi. Ce livre ne cherche pas à résumer la vie de l'abbé Pierre, ni de relater l'un ou l'autre épisode marquant de sa riche existence (comme a pu le faire, très bien, le film Hiver 54).

Il s'agit simplement du récit d'une rencontre entre deux personnalités très différentes. Le dessinateur, qui ne croit pas au surnaturel, est impressionné par ce prêtre qui tire son inlassable énergie de la prière. Il est admiratif devant la sagesse et la bonté de cet abbé. Et, pendant la quarantaine de pages de l'album, en alternant habilement moments d'échanges avec l'abbé Pierre et mise en scène de l'auteur et de ses réflexions sur ce personnage hors du commun, il met tout son art pour faire partager au lecteur son admiration...

lundi 7 novembre 2011

Chroniques de Jérusalem, de Guy Delisle (2011)

Je ne pense pas que le genre du reportage, ou des chroniques de voyage, permette de déboucher sur des chefs-d’œuvre, que ce soit en littérature ou en bande dessinée : trop anecdotique, trop daté. Mais il peut donner naissance à des livres agréables à lire et fort instructifs. Les Chroniques de Jérusalem, de Guy Delisle, me semblent appartenir à cette catégorie.

On retrouve dans ce nouvel opus les qualités des précédents albums de Delisle (Schenzhen ou PyongYang notamment) : un dessin simple et très plaisant, un sens de l'observation qui sait bien percevoir une certaine absurdité dans les situations que l'auteur rencontre, un humour léger qui amène un peu de légèreté aux événements pourtant graves qu'il traverse. Dans ce nouvel album le narrateur suit sa campagne, travaillant pour MSF, à Jérusalem. Là ils découvrent les différentes communautés cohabitant dans la ville trois fois sainte ; les démarches kafkaïennes pour traverser les nombreusx frontières, limites et autres check-points ; la violence soudaine de l'armée israélienne lors de l'opération Plomb durci. Au milieu de tout cela, Guy Delisle nous montre comment s'adaptent les ONG et les expatriés, navigant entre les heurts violents entre communautés et les petites difficultés de l'existence quotidienne. Ce livre ne permettra sans doute pas de comprendre beaucoup plus clairement les enjeux du conflit israëlo-arabe mais il en donne un éclairage tout autre que celui auxquels les médias nous ont habitué, intimiste et attachant.

samedi 5 novembre 2011

Une Vie Chinoise, de P. Ôtié et Kunwu Li (2009-2011)

Je parlais il y a quelques jours d’autobiographie en bande dessinée. Je ne considère pas Une Vie en Chine comme un chef-d’œuvre du genre mais c’est un excellent témoignage en image. Il s’agit du récit de la vie de Kunwu Li, dessinateur chinois, et de sa famille, depuis le milieu du XXe siècle. P. Ôtié a discuté avec Kunwu Li de la vie de celui-ci et en a tiré un scénario que Kunwu Li a dessiné. L’exercice est réussi : le récit est fluide et clair (alors que la situation du pays ne l’est pas du tout…) et le dessin, dont l’origine chinoise est relativement marquée, est très agréable. Le trait et certains paysages en perspective aérienne, notamment, rappellent un peu (au moins à mes yeux de béotien dans ce domaine) la peinture traditionnelle chinoise, ce qui n'est pas pour me déplaire. On suit les tribulations du père de famille, issu d'une famille bourgeoise rallié au Parti, qui participe à la prise du pouvoir par les communistes mais dont la vie est bouleversée par la Révolution culturelle ; on découvre les péripéties vécues par sa famille, notamment par son fils, Kunwu Li, dessinateur élevé dans le culte de Mao et abordant l'âge mur dans un monde qui vit au rythme de l'accumulation de richesses.

La grande réussite de cette trilogie (Le Temps du père, Le Temps du Parti, Le temps de l'argent) est de parvenir à expliquer à des lecteurs occidentaux un peu de la complexité de l’expérience chinoise de ce dernier demi-siècle.

J'avais déjà lu quelques histoires de la Chine ou des récits couvrant cette période. À chaque fois, bien des éléments m'étaient restés obscurs. Comment appréhender l'évolution si rapide de ce pays, passant en quelques décennies d'une culture traditionnelle plurimillénaire à un régime révolutionnaire faisant délibérément table rase du passé puis à un système au capitalisme débridé ? Comment les individus moyens ont pu traverser des périodes si variées ? dans quelle mesure ont-ils pu s'adapter ? Deux énigmes, principalement, me restaient impénétrables : comment Mao avait-il pu garder une telle aura après ses errements du Grand bond en avant et de la Révolution culturelle et des morts innombrables qui en en découlé ? Et comment imaginer ce que fut la Révolution culturelle ? Une révolution complète et éminemment paradoxale puisqu’elle a renversé le pouvoir en place à tous les échelons, alors qu'elle était lancée par Mao lui-même, dirigeant suprême du pays disposant peu ou prou de tous les pouvoirs ? Qu'avaient vécu ceux qui avaient traversé ces bouleversements sans équivalent connu dans l'Histoire ?

Je ne prétends nullement avoir tout compris après avoir lu ce témoignage. Et il est clair qu'il s'agit du récit d'une personne, qui, même en cherchant à raconter sa vie avec le plus d'objectivité possible, y a forcément introduit une vision subjective. Il n'empêche, Une Vie Chinoise m'a permis de comprendre un peu moins mal ce qu'ont vécu certains Chinois pendant ces décennies passionnantes et extraordinaires. Et, de ce point de vue, c'est une grande réussite.

Un article intéressant sur L'Association

Les récentes péripéties qui ont secoué L'Association sont complexes. J'en ai parlé sur ce blog à plusieurs reprises (ici, ici ou encore , notamment) mais je n'affirme pas avoir tout compris aux divers rebondissements.

Or je viens de découvrir l'article le plus clair sur ce sujet que j'ai pu lire jusqu'à maintenant. À ma grande surprise, il s'agit d'un article anglophone, disponible sur le site du Comics Journal. Comme quoi, parfois un peu de recul ne fait pas de mal...

mardi 1 novembre 2011

Où est donc passée l'autobiographie en bande dessinée ?

En une dizaine d'années, entre 1993 et 2003, l'autobiographie a permis à la bande dessinée francophone de nous offrir quelques chefs-d’œuvre exceptionnels. Lewis Trondheim dessinait les six volumes de son comics autobiographique, Approximate Continuum Comics, chez Cornelius en 1993 et 1994, puis les regroupait en recueil, dans Approximativement, en 1995. Dupuy et Berbérian publiait leur Journal d'un album en 1994. Livret de Phamille, de Jean-Christophe Menu, sortait l'année suivante, en 1995. Edmond Baudoin livrait son Éloge de la poussière en 1995 et Terrains Vagues l'année d'après. Fabrice Neaud nous offrait quatre volumes de son Journal entre 1996 et 2002. Xavier Mussat nous parlait de sa Sainte Famille en 2002. Les six tomes de L’Ascension du Haut Mal, de David B, étaient publiés entre 1997 et 2003. Mattt Konture sortait Printemps Automnes en 1993 puis les cinq premiers volumes de son Auto-psy d'un mort-vivant entre 1990 et 2001.

Malheureusement, ce qui a pu être considéré à l'époque comme un renouveau de la bande dessinée francophone s'est révélé plutôt de l'ordre du feu de paille. Les Approximate Continuum Comics se sont transformés en Petits Riens, décidément bien trop légers. Le Journal d'un album n'eut pas vraiment de successeur (même si le Hanté du seul Philippe Dupuy est loin d'être dénué de qualités) et Dupuy et Berbérian préfèrent maintenant se moquer des bobos. Jean-Christophe Menu, notamment à cause de problèmes juridiques liés à son divorce, n'a pas donné à son Livret de Phamille la suite qu'il avait prévu. Nous attendons encore les volumes suivants du Journal de Fabrice Neaud, qui se consacre actuellement à une série d'anticipation (premier tome annoncé pour janvier 2012), ainsi que la suite de l’œuvre de Xavier Mussat. Depuis L’Ascension du Haut Mal, David B ne se consacre à l’autobiographie qu'incidemment.

Cela ne signifie nullement que les albums plus récents de ces auteurs, non autobiographiques, aient forcément moins d'intérêt. Ces dessinateurs ont pu souhaité passer à autre chose, soit qu'ils estiment avoir fait le tour de ce qu'ils avaient à raconter de leur vie (c'est probablement le cas de David B, par exemple), soit que les difficultés rencontrées avec leur entourage représenté dans leurs œuvres autobiographiques les aient plus ou moins forcé à s'arrêter (cela a pu jouer dans le cas de Fabrice Neaud ou de Jean-Christophe Menu, notamment).

Certes, Mattt Konture a continué son Auto-psy d'un mort-vivant, mais à un rythme bien ralenti. Certes, Edmond Baudoin continue à publier des récits autobiographiques mais il a toujours eu des rapports compliqués avec le récit du moi et l'autofiction : lorsqu'il parle à la première personne, c'est souvent pour raconter la vie d'une tierce personne (son grand-père dans Couma Aco, sa mère dans Éloge de la poussière), pour des carnets de voyage (les plus récents étant Le Parfum des olives ou Viva la vida) ou dans des récits plus ou moins oniriques (Le Chant des baleines) ; c'est sans doute dans des récits à la troisième personne, dans lesquels il arbore un masque, qu'il se livre le plus, comme dans Le Portrait ou L'Arleri.

Les chefs-d’œuvre cités plus haut ont-ils une descendance dans l’œuvre d'autres auteurs ? Pas réellement (on peut bien entendu citer quelques exceptions, comme Lucas Méthé, par exemple, mais elles restent bien rares). L'autobiographie des auteurs que j'ai évoqués ici a eu deux types de successeurs :

  • Des recueils de courts billets, dans la lignée des Petits Riens de Lewis Trondheim ou des Notes de Boulet, d'une part. Tranches de vie calquées sur les blogs, elles mettent en scène majoritairement des trentenaires, fans de jeux vidéo et de Star War pour les hommes, accro au shopping et aux chatons pour les femmes. Il s'agit le plus souvent, par des clins d’œil appuyés aux lecteurs, de leur arracher un sourire en leur rappelant les petits tracas de leur propre vie quotidienne. Cela peut être amusant, cela manque souvent de souffle.

  • Des carnets de voyage ou des reportages en bande dessinée, d'autre part. Même dessinés par des auteurs talentueux (Guy Delisle par exemple), voire géniaux (encore et toujours Baudoin), ils restent le plus souvent au niveau de l'événement, voire de l'anecdote. À la décharge des auteurs, on peut remarquer que même en littérature, le reportage ou le récit de voyage a produit des livres intéressants mais bien peu de chefs-d’œuvre, même comme de grands noms, comme André Gide notamment (ses retours du Tchad ou d'URSS sont très agréables à lire et sont de passionnants témoignages mais restent bien forts que ses grands romans et récits ou que son Journal), se sont emparés de ce genre.