lundi 19 mars 2012

Les futurs grands prix d'Angoulême, vus de l'autre côté de l'Atlantique

L'élection du grand prix de la ville d'Angoulême est, chaque année, un événement attendu dans le monde de la bande dessinée, y compris de l'autre côté de l'Atlantique. Cette année, peu après le festival d'Angoulême, le webzine The Comics Reporter a eu la bonne idée de demander à une quinzaine de spécialistes (enfin, je suppose que ce sont des spécialistes, la plupart des noms m'étant inconnus) de "nommer cinq auteurs de bande dessiné qu'ils aimeraient voir recevoir le Grand prix à Angoulême dans les quinze prochaines années". Sans avoir la prétention d'être représentatif de quoi que ce soit, ce sondage donne cependant une petite idée des auteurs que des Américains considèrent comme dignes d'être récompensés par ce prix prestigieux. Cela change un peu des pronostics franco-français qui fleurissent tous les années à longueur de blogs (je dois d'ailleurs avouer que je me suis plié à l'exercice il y a deux ans), de forums et de revues spécialisés.

Je dois avouer que certains résultats m'ont étonné. Bien entendu, le poids des auteurs américains, mais aussi japonais, est nettement plus important que lorsque les pronostics sont effectuées chez nous. Mais, alors que j'imaginais que Chris Ware et Alan Moore feraient partie du peloton de tête, le premier n'a été cité qu'une seule fois, le second trois fois (contre sept pour les deux auteurs les plus souvent nommés). Et Dan Clowes, par exemple n'a pas été nommé une seule fois.

Les deux auteurs les plus souvent cités (sept fois chacun) sont Jason et Chester Brown... Jason n'est pas américain mais européen. Pourtant il est rarement cité en France parmi les favoris pour le Grand prix. Son style minimaliste (tant par l'apparente simplicité du graphisme que par le laconisme du texte, voire l'absence totale de celui-ci) semble donc séduire particulièrement chez nos amis anglophones. Quant à Chester Brown (Le Playboy, Je ne t'ai jamais aimé, etc.), son style autobiographique, d'une grande sensibilité, tout en retenue et en émotion, est effectivement perçu comme une influence majeure en Amérique du Nord.

Viennent ensuite, avec trois citations chacun, Alan Moore et Eddie Campbell. Le premier, par l'influence qu'eurent nombre de ses scénarios magistraux, mériterait en effet amplement le Grand prix. Je connais moins le second. Pour tout dire, jusqu'à il y a quelques jours, je ne le connaissais que comme dessinateur de From Hell. Dans les pays anglophones, il a une excellente réputation, acquise avec son comics autobiographique Alec. J'ai récemment lu Alec, comment devenir un artiste, que j'ai beaucoup apprécié.

Avec deux citations, on trouve trois Japonais, Yoshihiro Tatsumi, Taiyo Matsumoto et Yuichi Yokoyama, un Italien, Vittorio Giardino, et quelques anglo-saxons, Seth, Brian Talbot, Gilbert Hernandez (son frère, Jaime Hernandez, étant nommé une fois), Linda Barry et Dave Sim. Yoshihiro Tatsumi commence à être reconnu des deux côtés de l'Atlantique, avec ses histoires courtes désabusées et son autobiographie, Une Vie dans les marges. Taiyo Matsumoto (Amer Béton, Ping Pong, Number 5 et, plus récemment, Le Samouraï Bambou) est un dessinateur exceptionnel et très original mais ses scénarios sont rarement à la hauteur de son immense talent. Vittorio Giardino est un très bon dessinateur "ligne claire", bien édité en France mais ses scénarios ne m'ont jamais enthousiasmé. Seth, son trait élégant, ses histoires mélancoliques, ont beaucoup d'amateurs. Brian Talbot ne m'a jamais attiré (je n'ai pas spécialement apprécié son dessin dans les histoires de Sandman qu'il a illustrées) mais il jouit plutôt d'une bonne réputation, notamment grâce à son Histoire d'un vilain rat. Le talent de Dave Sim, auteur du monumental Cerebus (300 épisodes, répartis ensuite en "romans"), est controversé ; il a ses détracteurs et ses farouches partisans. Personnellement je n'ia jamais eu le courage de me lancer dans la lecture de Cerebus : le dessin et les mises en page, très (trop ?) travaillées, m'ont toujours rebuté. J'ai déjà écrit maintes fois tout le bien que je pensais des frères Hernandez et de leur génial Love and Rockets. Enfin, je ne connais ni Yuichi Yokoyama, ni Linda Barry.

Puis viennent tous ceux qui n'ont été cités qu'une fois. Pour certains d'entre eux, je m'attendais à plus de citations : Joost Swarte (son œuvre est quantitativement limitée, quelques albums, mais son influence considérable, notamment sur Yves Chaland et Chris Ware), Chris Ware (probablement l'un des cinq auteurs vivants les plus importants), Bill Waterson (son exigence artistique, son humour tendre et délirant, son dessin très sûr lui auraient en effet fait mériter le Grand prix). Quelques auteurs francophones, issus pour la plupart de ce qui fut parfois appelé la "nouvelle génération" : David B, Emmanuel Guibert, Christophe Blain et Riad Sattouf ; ansi que Serge Le Tendre (nommé peut-être pour la Quête de l'oiseau du temps ?). Deux dessinateurs exceptionnels, ni francophones, ni anglophones : Carlos Nine et Lorenzo Mattotti. Quelques auteurs aux œuvres notables sans être exceptionnelles : Posy Simmonds (son mélange de dessins et de textes est souvent intéressant), Jordi Bernet (excellent dessinateur, virtuose du noir et blanc), Naoki Urasawa (bon feuilletoniste). Quelques auteurs réputés que je connais assez mal : Jim Woodring (un album de sa série Frank vient d'être récompensé à Angoulême), Ben Katchor, Carlos Gimenéz. Trois auteurs à mon avis surcotés et que je ne considère pas du tout comme pertinents pour le Grand prix : Jill Thompson, Igort, Alejandro Jodorowsky. Quelques auteurs que je ne connais que par quelques dessins mais qui ne m'attirent pas spécialement : Alison Bechdel, Sergio Aragones, Darwyn Cooke, Stan Sakai, Walt Simonson. Kevin O'Neill, dont la prestation sur La Ligue des gentlemen extraordinaires ne m'a pas déplu mais ne m'a pas pleinement convaincu non plus. Enfin, une série d'auteurs que je ne connais pas du tout : Baku Yumemakura, Naif Al-Mutawa, Moto Hagio, Lat, Woodrow Phoenix, Pat Mills, Monkey Punch, Alex Nino, CF, Atsushi Kanedo, Tom Kaczinski.

De nombreuses idées pour les jurés du Grand prix s'ils souhaitent sortir du milieu franco-français...

3 commentaires:

  1. Chaque années depuis 2008, le forum bulledair, où se croise nombre d'amateurs de bande dessinée plutôt alternative (pas mal d'auteurs et quelques éditeurs), choisi son Grand prix - qui ne doit pas avoir été récompensé à Anbgoulême. C'est purement pour le jeu mais les résultats sont intéressants, au début il y a eu un grand oublié, primé depuis, puis des auteurs européens non primés, et désormais on semble repartir vers l'international. Les débats sont instructifs.
    Des gens comme Clowes ou Matsumoto sont très souvent nommés, pas Jason, dont je m'étonne de la popularité outre-Atlantique.

    Le sujet sur le forum en question est là http://www.bulledair.com/index.php?rubrique=sujet&sujet=2260

    Les primés :
    2008 : Spiegelman
    2009 : Edmond Baudoin
    2010 : F'murr
    2011 : Andréas
    2012 : Chris Ware

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  2. Tiens, je fréquente très régulièrement Bulledair mais je ne connaissais pas ce sujet. En tout cas le palmarès de ce Grand prix "off" est tout à fait séduisant (même si Andréas, malgré tout son talent, dénote un peu, à mon avis...). Quant au succès d'estime de Jason outre-Atlantique, il me surprend également.

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    1. Les débats sont intéressants.

      Et oui je trouve qu'Andréas dénote aussi radicalement, mais il a ses lobbyistes sur bulledair. C'est le lot de chaque pris et jury !

      Bonne lecture alors !

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