La première partie de cette analyse peut être lue ici.
Chose promise, chose due. Voici (enfin ?) la suite de l'analyse littérale de ce chef-d'œuvre d'Edmond Baudoin. Reprenons donc les choses là où nous les avions laissées, c'est-à-dire en haut de la page 8.
Pages 8 et 9 : Rencontre de Michel et Carol.
Michel et Carol se promènent dans une rue passante. La foule représentée fait écho à celle peinte par Michel aux pages 4 et 5. Michel voit Carol au loin dans la foule et l'interpelle. Les silhouettes de Carol, déjà utilisées page 7, représentent cette fois-ci la surprise, la crainte ressenties par Carol.
La première et la dernière cases de cette double page se répondent : de la même taille (un strip complet), elles représentent toutes deux en leur centre Michel. Mais alors que dans la première case, le fond était occupé par la foule compacte de la rue, celui de la dernière ne représente que quelques traits courbes, sensuels, comme porteurs de la « promesse » que Michel a perçue dans le visage de Carol. Si les sentiments de Carol sont symbolisés par des silhouettes la représentant, ceux de Michel sont ainsi explicités par des modifications dans le décor qui l'environne.
Pages 10 et 11 : Carol après la rencontre.
Ces deux pages sont pleines de contrastes : contraste entre la foule bruyante du métro (la case est saturée d'encre) et le calme du chemin bordé d'arbres (beaucoup de blanc, juste traversé par la silhouette des troncs) ; contraste entre les douces rêveries de Carol (« Elle rêva cette nuit de la mer », « Que le monde est beau / et tanguent les arbres ») et la dure réalité vécue par le marginal réduit à boire le fond de la bouteille qu'il ramasse par terre. Les silhouettes de Carol sont maintenant convoquées pour symboliser le dur et brusque retour de celle-ci à la réalité terre à terre de cette « ville qui [l]'écrase ».
Page 12 : Première séance de pose.
Michel parle d' « étranges rencontres aux détours des chemins de Paris ». Évoque-t-il la rencontre de Carol avec le marginal ? sa propre rencontre avec Carol ? En tout cas ces étranges rencontres sont pour lui le « le pourquoi de "je l'aime" ». Il parle déjà d'un amour possible mais le "je l'aime" n'est pas encore un "je t'aime". Puis, pendant les deux tiers de la page, nous assistons aux premiers essais de portraits de Carol par Michel. Six tentatives sont représentées dans une superbe mise en abyme : la tentative de « peindre la vie » de Michel, personnage, rejoint celle de Baudoin, auteur.
Pages 13 et 14 : Retrouvailles avec un amour ancien.
Carol retrouve « Bill un amour ancien ». L'acte d'amour qui suit est représenté par huit dessins schématiques, détourés, presque identiques, d'un corps à corps idéalisé. La femme y est représentée en position d'ouverture, avec des traits fins et peu d'encre (évoquant la pureté, le don de soi) ; l'homme est dessiné fermé, possessif, en traits gras.
Pages 15 à 17 : Deuxième séance de pose.
Arrivée dans l'atelier, Carol découvre des dessins qu'a réalisés Michel la veille, après son départ : il s'agit en fait des dessins de la page précédente, que le lecteur avait assimilés à la représentation de l'amour entre Carol et Bill. En bas de la page 15, Carol prend la pose... et se place tout naturellement dans le « trou blanc », où Michel disait, en page 5, souhaiter « y dessiner la vie ». Le jeu de trompe-l'œil entre ce qui est, dans le récit, "dessin" ou "réalité" continue ; la frontière entre les deux, entre la vie et l'art, s'estompe encore davantage.
Page 16, la séance de pose se déroule comme la précédente : Carol est représentée successivement six fois. En page 17, au moment où Michel met fin à la séance, les silhouettes de Carol nous montrent une certaine déception de sa part, comme si elle ressentait ce congé temporaire comme un nouveau renvoi. En bas de la page, Michel contemple un des portraits qu'il a réalisé dans la journée et qu'il a punaisé dans le « trou blanc ».
La suite de cette analyse peut être lue ici.
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