mardi 1 novembre 2011

Où est donc passée l'autobiographie en bande dessinée ?

En une dizaine d'années, entre 1993 et 2003, l'autobiographie a permis à la bande dessinée francophone de nous offrir quelques chefs-d’œuvre exceptionnels. Lewis Trondheim dessinait les six volumes de son comics autobiographique, Approximate Continuum Comics, chez Cornelius en 1993 et 1994, puis les regroupait en recueil, dans Approximativement, en 1995. Dupuy et Berbérian publiait leur Journal d'un album en 1994. Livret de Phamille, de Jean-Christophe Menu, sortait l'année suivante, en 1995. Edmond Baudoin livrait son Éloge de la poussière en 1995 et Terrains Vagues l'année d'après. Fabrice Neaud nous offrait quatre volumes de son Journal entre 1996 et 2002. Xavier Mussat nous parlait de sa Sainte Famille en 2002. Les six tomes de L’Ascension du Haut Mal, de David B, étaient publiés entre 1997 et 2003. Mattt Konture sortait Printemps Automnes en 1993 puis les cinq premiers volumes de son Auto-psy d'un mort-vivant entre 1990 et 2001.

Malheureusement, ce qui a pu être considéré à l'époque comme un renouveau de la bande dessinée francophone s'est révélé plutôt de l'ordre du feu de paille. Les Approximate Continuum Comics se sont transformés en Petits Riens, décidément bien trop légers. Le Journal d'un album n'eut pas vraiment de successeur (même si le Hanté du seul Philippe Dupuy est loin d'être dénué de qualités) et Dupuy et Berbérian préfèrent maintenant se moquer des bobos. Jean-Christophe Menu, notamment à cause de problèmes juridiques liés à son divorce, n'a pas donné à son Livret de Phamille la suite qu'il avait prévu. Nous attendons encore les volumes suivants du Journal de Fabrice Neaud, qui se consacre actuellement à une série d'anticipation (premier tome annoncé pour janvier 2012), ainsi que la suite de l’œuvre de Xavier Mussat. Depuis L’Ascension du Haut Mal, David B ne se consacre à l’autobiographie qu'incidemment.

Cela ne signifie nullement que les albums plus récents de ces auteurs, non autobiographiques, aient forcément moins d'intérêt. Ces dessinateurs ont pu souhaité passer à autre chose, soit qu'ils estiment avoir fait le tour de ce qu'ils avaient à raconter de leur vie (c'est probablement le cas de David B, par exemple), soit que les difficultés rencontrées avec leur entourage représenté dans leurs œuvres autobiographiques les aient plus ou moins forcé à s'arrêter (cela a pu jouer dans le cas de Fabrice Neaud ou de Jean-Christophe Menu, notamment).

Certes, Mattt Konture a continué son Auto-psy d'un mort-vivant, mais à un rythme bien ralenti. Certes, Edmond Baudoin continue à publier des récits autobiographiques mais il a toujours eu des rapports compliqués avec le récit du moi et l'autofiction : lorsqu'il parle à la première personne, c'est souvent pour raconter la vie d'une tierce personne (son grand-père dans Couma Aco, sa mère dans Éloge de la poussière), pour des carnets de voyage (les plus récents étant Le Parfum des olives ou Viva la vida) ou dans des récits plus ou moins oniriques (Le Chant des baleines) ; c'est sans doute dans des récits à la troisième personne, dans lesquels il arbore un masque, qu'il se livre le plus, comme dans Le Portrait ou L'Arleri.

Les chefs-d’œuvre cités plus haut ont-ils une descendance dans l’œuvre d'autres auteurs ? Pas réellement (on peut bien entendu citer quelques exceptions, comme Lucas Méthé, par exemple, mais elles restent bien rares). L'autobiographie des auteurs que j'ai évoqués ici a eu deux types de successeurs :

  • Des recueils de courts billets, dans la lignée des Petits Riens de Lewis Trondheim ou des Notes de Boulet, d'une part. Tranches de vie calquées sur les blogs, elles mettent en scène majoritairement des trentenaires, fans de jeux vidéo et de Star War pour les hommes, accro au shopping et aux chatons pour les femmes. Il s'agit le plus souvent, par des clins d’œil appuyés aux lecteurs, de leur arracher un sourire en leur rappelant les petits tracas de leur propre vie quotidienne. Cela peut être amusant, cela manque souvent de souffle.

  • Des carnets de voyage ou des reportages en bande dessinée, d'autre part. Même dessinés par des auteurs talentueux (Guy Delisle par exemple), voire géniaux (encore et toujours Baudoin), ils restent le plus souvent au niveau de l'événement, voire de l'anecdote. À la décharge des auteurs, on peut remarquer que même en littérature, le reportage ou le récit de voyage a produit des livres intéressants mais bien peu de chefs-d’œuvre, même comme de grands noms, comme André Gide notamment (ses retours du Tchad ou d'URSS sont très agréables à lire et sont de passionnants témoignages mais restent bien forts que ses grands romans et récits ou que son Journal), se sont emparés de ce genre.

6 commentaires:

  1. Trop n'est pas assez, publié l'année dernière est à mon avis l'exception qui confirme cette analyse.

    RépondreSupprimer
  2. Je dois avouer que je ne mettrais pas Trop n'est pas assez au même niveau que les autres œuvres que j'ai citées. L'album a des qualités certaines, pourtant.

    RépondreSupprimer
  3. Julie Delporte fait un beau travail de Journal en ce moment, et ceci sans parler de shopping:

    http://juliedelporte.com/

    RépondreSupprimer
  4. Pour tout dire, cela fait longtemps que je n'ai pas relu Journal d'un album et Approximativement et je me demande s'ils ne sont pas désormais datés. Je vais les relire.

    RépondreSupprimer
  5. Je ne les ai pas lus depuis quelque temps mais je crois me souvenir qu'ils vieilli très différemment : Le Journal d'un album est toujours une œuvre forte sur la création d'un album ; Approximativement est victime de son succès ; cet album est en quelque sorte devenu le modèle étalon de l'humour type blog ; très novateur a l'époque, ses innovations semblent moins originales aujourd'hui a force d'avoir été imitées.

    RépondreSupprimer
  6. Article fort intéressant, je me pose la même question depuis quelques temps. On pourrait citer Gabriel Dumoulin, qui avec "Mon meilleur ami" (ego comme x), reprend le flambeau dignement.

    RépondreSupprimer