J'ai lu cet été Chris Ware, la bande dessinée réinventée, de Jacques Samson (surtout) et Benoît Peeters (un peu), sorti l'année dernière. Quoique d'un intérêt inégal, cet instructif ouvrage m'a permis de situer un peu mieux la personnalité et les objectifs du génial Chris Ware. Il a également attiré mon attention sur le fait que je n'avais pas acheté le numéro 18 1/2 de l' Acme Novelty Library (certes ce volume a été très peu distribué en France), publié en 2007. Je me suis alors empressé de rattraper cet oubli.
On pourrait penser que ce recueil ne s'adresse qu'aux amateurs les plus fanatiques de Chris Ware. Il ne s'agit en effet que du recueil des cinq pages (couvertures et pages intérieures) qu'il a dessinées pour le numéro du New Yorker publié le 26 novembre 2006, pour Thanksgiving, et d'une page supplémentaire. Un recueil de cinq-six pages seulement, cela peut sembler peu... D'autant plus que les cinq pages issues du New Yorker étaient (et le sont peut-être encore) disponibles sur Internet.
Oui mais voilà, avec Chris Ware, c'est toujours différent. Ces pages sont reproduites chacune séparément sur un excellent papier, au format A3. La lecture de ces planches sur papier et non sur écran en font ressortir deux caractéristiques majeures, que Chris Ware a particulièrement développées ces dernières années :
- Chris Ware a longtemps été spécialisé dans les pages débordant explicitement d'informations : planches aux cases innombrables et regorgeant de diagrammes ou de signes cabalistiques variés (notamment avec Quimby the mouse), pages constituées de fausses annonces et publicités à la police de caractère minuscule, etc. Au contraire, les planches du New Yorker sont d'une grande sobriété : trois d'entre elles contiennent entre un et quatre dessins, avec peu ou pas du tout de texte. Cela ne les empêche pas de raconter énormément de choses ; avec une grande économie de moyens, Chris Ware parvient à faire vivre des personnages, à nous conter des tranches de vie chargées d'émotion...
- Les premières planches de Chris Ware étaient bien entendu riches et innovantes mais pas toujours très esthétiques. Il a progressivement perfectionné l'aspect purement visuel de ses planches et celles-ci sont maintenant de toute beauté. Deux éléments sont particulièrement marquants : Chris Ware traite les couleurs par à-plat, à la manière des studios Hergé dans les albums de Tintin (dans l'entretien avec Benoît Peeters publié dans Chris Ware, la bande dessinée réinventée, il affirme d'ailleurs qu'il doit sa méthode d'à-plats de couleurs « presque entièrement à Hergé »). Il compense la simplicité de cette technique par la variété des nuances. Cela aboutit, comme chez Hergé, à des dessins d'une grande beauté et d'une grande variété chromatique, sans aucun effet tape-à-l'œil. L'autre élément marquant est l'utilisation de la perspective axonométrique (ou perspective parallèle, sans point de fuite). Cette perspective, non réaliste, procure un certain hiératisme, un aspect légèrement artificiel, qui renforce notamment l'impression de moments figés procurée par ces dessins.
En conclusion, encore un opus marquant de Chris Ware, qui me fera patienter quelques mois, dans l'attente d'un 21e volume de l' Acme Novelty Library, malheureusement pas encore annoncé...