Je vous avais parlé des blogs en bande dessinée d'Ego comme X. Je viens d'aller voir l'état des mises à jour. Eh bien, il y a effectivement du nouveau. Sophie Darcq continue le récit des retrouvailles avec sa famille biologique en Corée. Le dessin a toujours autant de charme et sert bien la charme émotionnelle du récit. Gabriel Dumoulin relate de nouveaux épisodes de sa relation avec sa compagne colombienne. Et Frédéric Boilet nous offre cinq pages d'un projet d'histoire. Malgré l'inachèvement du dessin, les attitudes du personnage sonnent toujours aussi justes.
mercredi 30 mai 2012
mardi 29 mai 2012
Bollywood, festival de Cannes et poncifs
Trois films indiens étaient présentés au festival de Cannes cette année. Ce fut l’occasion pour nombre de journalistes d’avouer leur manque de connaissance du pléthorique cinéma indien, voire d’aligner les poncifs sur Bollywood.
Or le cinéma indien vaut beaucoup mieux que ces poncifs. Je connais peu le cinéma indien indépendant (exception faite des magnifiques films de Satyajit Ray, déjà anciens). En revanche, j’ai vu un grand nombre de films de Bollywood. Et, parmi eux, j’ai pu découvrir de très nombreux excellents films, à défaut, probablement, de réels chefs-d’œuvre. Certes, la majeure partie de la production est fondée sur des situations stéréotypées, une esthétique kitsch et des chansons répétitives. Mais que m’importe cette majorité si je parviens à voir quelques films qui s’élèvent loin au-dessus du lot ? Je dois avouer en préambule que j’ai, de façon générale, une très grande attirance pour l’Inde, sa culture, son mode de vie. Regarder des films bollywoodiens me permet de me replonger dans les ambiances si particulières de ce pays. Je ne pense cependant pas que cela annihile entièrement mon sens critique ni que cela décrédibilise complètement les quelques remarques qui vont suivre.
Il faut tout d’abord noter que les caractéristiques principales du cinéma bollywoodien, souvent considérées comme des facteurs à charge, peuvent, lorsqu’elles sont bien employées, constituer de réelles forces.
Premier poncif : Ces films sont longs, approchant souvent les trois heures, avec un entracte à mi-parcours. Ceci leur permet de développer davantage leurs intrigues. Cela peut se faire notamment en ajoutant des digressions (les numéros chantés sont les plus courants, j’y reviendrai) ou en multipliant les registres : il n’est pas rare, dans un même film de passer du comique le plus burlesque au drame le plus larmoyant, du suspens le plus haletant à la comédie romantique. Cette utilisation concomitante de registres divers, lorsqu’elle est utilisée à bon escient, ajoute une touche d’humanité aux intrigues. Une autre façon de tirer parti de cette durée de trois heures et de cet entracte est de changer de registre, plus ou moins radicalement, avant et après l’entracte : Ainsi Fanaa est une comédie romantique avant l’entracte et un film d’action après ; de même Ghajini est une comédie romantique avant l’entracte et un thriller après ; Saathiya présente un autre cas intéressant : la première partie du film est une comédie romantique qui se conclut par le mariage des deux jeunes premiers, la seconde partie s’intéresse à ce que l’on nous montre trop rarement, ce qui se passe après le mariage, lorsque l’amour est confronté à la réalité du quotidien.
Deuxième poncif : L’esthétique est kitsch. Les Indiens aiment généralement les couleurs ; pour s’en convaincre, il suffit de voir la beauté colorée des saris ou leur affection pour Diwali, la fête des couleurs. Les films de Bollywood profitent de cette richesse colorée pour offrir des images chromatiquement très riches. Ils tirent également parti de la beauté des paysages et des monuments indiens pour proposer des images parfois kitsch, certes, mais souvent magnifiques. Dans Fanaa, par exemple, la grâce multiséculaire des plus beaux monuments de Delhi (du Qutub Minar au tombeau d’Humayun) et les blanches immensités du Cachemire nous offrent des images magnifiques et variées de l’Inde.
Troisième poncif : De nombreuses chansons ralentissent l’action. Certes, il s’agit de comédies musicales, genre roi à Hollywood il y a un demi-siècle, moins bien considéré depuis. À ; Bollywood, les chansons sont rarement pleinement intégrées à l’action, il s’agit davantage de rêves, de variations autour des pensées les plus intimes des protagonistes. Et les compositeurs travaillant actuellement à Bollywood sont parfois très bons. Il faut notamment citer A.R. Rahman, probablement un des meilleurs compositeurs de musique populaire dans le monde à l’heure actuelle (il a notamment été rendu populaire en Occident pour sa B.O. de Slumdog Millionaire, qui n’est pourtant pas du tout ce qu’il a composé de plus intéressant). Ses morceaux ont su intégrer les apports de la musique occidentale sans renier les riches traditions musicales du sous-continent indien.
Quatrième poncif : L’histoire est toujours la même. Ce poncif est peut-être celui qui est le plus reproché à la production bollywoodienne. Or il est clairement erroné. Traditionnellement, les thèmes dominants sont ceux de la comédie romantique, les conflits entre les mariages arrangés par la famille et les histoires d’amour. Le cinéma bollywoodien a d’ailleurs produit quelques-unes des meilleures comédies romantiques que je connaisse (Dil To Pagal Hai, Kuch Kuch Hotai Hai notamment). Mais le cinéma bollywoodien ne peut se résumer à cela. Il a déjà produit de très nombreux films de genre : films de gangsters, de science-fiction, films historiques (parmi lesquels on peut citer les excellents Jodha Akbar, sur l’amour entre Akbar, le grand empereur Moghol musulman, et Jodha, sa femme, princesse Rajput hindoue, ou Mangal Pandey: The Rising sur la révolte de 1856 contre l’occupant anglais, sanglante et vite réprimée). Et, surtout, il aborde parfois frontalement de nombreux thèmes très prégnants dans la société indienne contemporaine : les tensions communautaires, principalement entre Hindous et Musulmans (Delhi 6 avec son récit si girardien : un individu tente de réconcilier deux communautés en créant un bouc émissaire ; la rivalité mimétique entre les deux communautés conduit à une crise mimétique de plus en plus violente où l’indifférenciation va croissant et qui aboutit à la mise à mort du bouc émissaire, puis à la réconciliation de tous autour du corps inanimé de celui-ci), le terrorisme et les affrontements armés actuellement en cours au Cachemire (Fanaa) ou dans les territoires du Nord-Est (Dil Se), la corruption des élites (Rang de Basanti), la difficile montée en puissance économique des classes sociales les moins favorisées (Guru), l’ostracisme des États-Unis vis-à-vis des Musulmans et des Orientaux en général depuis le 11 septembre 2011 (My Name is Khan), l’aide au développement que peut apporter un ingénieur Indien éduqué aux États-Unis dans un village indien rural (Swades), etc. Les films de Bollywood se montrent extrêmement fiers de l’Inde, de sa culture, de sa beauté, de son développement, tout en étant très critiques sur les principaux maux actuels de la société indienne.
Les bons films bollywoodiens peuvent être excellents, et n’ont clairement pas à rougir devant les blockbusters d’Hollywood ou les grands succès du cinéma français. Ils présentent des caractéristiques marquées, qui leur permettent de conserver une identité nationale forte (évitant ainsi de se fondre dans la soupe culturelle mondialisée qui se répand de plus en plus) et qui, bien employées, permettent de contribuer à produire des films très agréables et de réintroduire dans le cinéma des notions de détente, de merveilleux, de glamour et de rêve qui ont été la marque de fabrique de l’Hollywood des années 1940 à 1960 mais qui semblent parfois bien loin aujourd’hui.
Je précise encore une fois, que les films dont je parle aujourd’hui ne sont par forcément des chefs-d’œuvre immortels du 7e Art (je répète toutefois que je ne connais pas le cinéma indien indépendant contemporain). Mais ils offrent aux passionnés de cinéma un continent à découvrir, qui vaut beaucoup mieux que les poncifs répétés à son sujet…
dimanche 27 mai 2012
Festivals, d’Angoulême à Cannes
Le festival de Cannes bat son plein. Comme tous les ans, la presse en parle longuement et quotidiennement. Le Monde, par exemple, y consacre plusieurs pages par jour.
Quel contraste avec le festival d’Angoulême ! Certes lorsque celui-ci se déroule, quelques journaux et magazines, de Libération à Beaux Arts magazine saisissent l’occasion pour sortir un hors-série consacré à la bande dessinée, mais c’est pour mieux se dédouaner de n’en parler quasiment pas le reste de l’année (même s’il faut bien saluer l’évolution très positive de Beaux Arts magazine dans son traitement de la bande dessinée depuis les années 1990). Le Monde y consacre au moins quelques pages, mais une seule fois, dans son supplément littéraire.
Pourquoi une telle différence de traitement ? Le cinéma et la bande dessinée, tous deux un peu plus que centenaires, tous deux longtemps considérés comme des divertissements populaires beaucoup plus que comme des expressions artistiques, ont des points en commun. Pourquoi une attention médiatique et une reconnaissance médiatique si différentes entre ces deux médias ? Le Monde ou Télérama chroniquent chaque semaine tous les films qui sortent en France alors qu’ils n’évoquent rapidement qu’un livre de bande dessinée, rarement deux. Tout « honnête homme » français, se prétendant un tant soit peu cultivé, connaît, au moins de nom, les réalisateurs les mieux reçus par la critique. Pour la bande dessinée, si Art Spiegelman est généralement connu du grand public cultivé, essayez de parler autour de vous de Chris Ware. Et ne parlons pas de Baudoin ou de Fabrice Neaud. Vous rencontrerez très probablement un silence poli.
Certes la bande dessinée francophone a mis du temps à s’extraire de son public enfantin (et masculin) ; au XXe siècle la bande dessinée francophone a commencé à produire de façon significative des œuvres notables destinées à un public adulte dans les années 1960, voire les années 1970 (mais les quotidiens publiaient depuis les années 1920 des strips destinés aux adultes, de Krazy Kat à Terry and the pirates en passant par Gasoline Alley et Polly and her pals). Mais cela fait des années que certains auteurs ont publié des œuvres qui, par la richesse des thèmes évoqués, leur complexité tant formelle que narrative, leur attention aux problèmes les plus contemporains et leurs qualités artistiques (de Jean-Claude Forest à Fabrice Neaud, de Frank King à Chris Ware), n’ont rien à envier aux plus grands films.
Non, décidément, je ne parviens pas à comprendre ce qui fait du festival de Cannes un événement qui occupe la Une des médias pendant toute sa durée alors que le festival d’Angoulême est relégué à quelques pages d’un supplément. En France, dans les années 1950, les critiques des Cahiers du cinéma (ceux-là mêmes qui, devenus réalisateurs, fondèrent plus tard la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard et François Truffaut, Éric Rohmer et Claude Chabrol, etc.) ont fortement contribué à la reconnaissance du cinéma, mettant en avant l’importance des réalisateurs, considérés comme les véritables « auteurs » des films, et n’hésitant jamais à comparer les films qu’ils admiraient aux plus grands chefs-d’œuvre de la littérature. Ils avaient notamment pour eux leur grand enthousiasme et leur grand talent de cinéastes, qu’ils ont amplement montré par la suite. Se pourrait-il que la bande dessinée continue à souffrir avant tout du manque de critiques talentueux et pertinents ?
mercredi 23 mai 2012
Tintin et le mystère de la taille des cases
Une des très grandes forces d'Hergé (et, après lui, de ses grands compagnons de la ligne claire, E.P. Jacobs et Jacuqes Martin en tête) est d'offrir au lecteur des pages apparemment très simples, en tout cas très lisibles, mais qui s'appuient en fait sur des constructions extrêment réfléchies. Chaque détail des planches de Tintin a été pensé, repensé, analysé pour aboutir à un récit le plus efficace possible sans que la lisibilité de l'ensemble ne soit perturbée en rien par ces trésors de réflexion.
Chez Hergé, l'un des aspects les plus marquants de l'art de la construction d'une planche est, à mon sens, l'extrême efficacité dans le choix de la taille des cases. J'aime à dire que si un apprenti dessinateur s'interroge sur la façon de faire varier la taille des cases dans une bande dessinée, il devrait commencer par étudier les planches des aventures de Tintin.
Je passerai rapidement sur les années pendant lesquelles Tintin paraissait par doubles pages dans le Petit Vingtième ; l'art d'Hergé s'y élabore progressivement et n'a pas encore atteint sa pleine maturité. Ensuite, pendant les quelques années de guerre pendant lesquelles Tintin paraît en strips quotidiens (dans Le Soir, le format ne permet guère à Hergé de varier la taille des cases, aucune d'entre elles ne pouvant dépasser la hauteur de chaque bande journalière. Cependant dans les années 1940 deux modifications dans la parution des aventures de Tintin vont amener Hergé à réfléchir en profondeur à la composition de ses planches : la mise au format de ses premiers albums, pour les faire passer de leur format d'origine (pagination libre et trois strips par page pour les histoires publiées dans le Petit Vingtième, une série de strips pour celles parues dans Le Soir), et la création du journal Tintin dans lequel il essaie d'être présent le plus souvent possible.
Dans Le Soir, la taille des cases était fortement contrainte par la parution quotidienne en strips. Dans le journal de Tintin, Hergé est réticent à dessiner de grandes cases car il estime que cela ralentit l'action et que ce n'est pas adéquat pour la parution d'un feuilleton hebdomadaire. On retrouve ici le très grand soin qu'a toujours eu Hergé de s'adapter au mieux au format de parution auquel il était soumis. Lorsque ces feuilletons sont mis au format des albums classiques (62 pages), Hergé les retravaille pour qu'ils s'adaptent au mieux à ce nouveau format, pour en affiner le rythme et vérifier que les péripéties et les gags sont bien équilibrés. Il en profite également pour repenser la taille des images. Celle-ci pourra varier grandement : Si l'action est rapide, voire précipitée, les cases peuvent être toutes petites, d'une hauteur d'une demi-bande (par exemple, dans Le Temple du Soleil lorsque le capitaine Haddock essaie désespérement de rejoindre le cargo où Tintin est allé chercher le professeur Tournesol et où viennent d'éclater des coups de feu). Au contraire, pour des cases d'une importance particulière dans le récit, la taille peut être étendue à la demi-page (par exemple, lorsque Tintin, Haddock et Zorrino parvienne à pénétrer dans le temple du Soleil, la case prend une demi-page dans l'album, alors qu'elle n'occupait qu'un seul strip lors de la parution en feuilleton hebdomadaire ; cela permet à Hergé d'insister sur la solennité du moment, les héros ayant enfin atteint le but de leur quête, et sur l'aspect grandiose de la culture inca cachée mais toujours puissante).
C'est toutefois dans On a marché sur la Lune que l'utilisation de grandes cases me frappe le plus. Cet album met en scène un événement historique : pour la première fois dans l'histoire de l'Humanité, "on a marché sur la Lune". À plusieurs reprises Hergé utilise des grandes cases, occupant une demi-page, voire les trois quarts d'une page pour accentuer les moments les plus solennels, notamment l'alunissage ou les premiers pas de Tintin sur notre satellite. Ces cases ont à la fois un rôle dans l'économie du récit, dans la mesure où elles introduisent une sorte de point d'orgue, un moment d'arrêt pour insister sur le moment historique vécu par nos héros, et un rôle esthétique puisqu'elles offrent de superbes panoramas des paysages lunaires.
Ces variations dans la taille des cases n'apparaissent jamais comme gratuites (au moins avant Tintin et les Picaros dans lequel certaines grandes cases peuvent apparaître davantage comme des moyens pour les studios Hergé d'occuper plus d'espace que comme de réelles nécessités pour le récit) et viennent jamais perturber le récit. Au contraire elles en accompagnent les péripéties pour mieux faire vivre au lecteur.
mercredi 16 mai 2012
Hergé, Chronologie d'une oeuvre, de Philippe Goddin (1943-1949, 2004)
Je suis actuellement plongé dans le 5e volume de la monumentale Chronologie d’une œuvre que Philippe Goddin a consacré à Hergé. Le principe de cette série est ambitieux : il s’agit d’effectuer une recension exhaustive de l’œuvre de Hergé, des planches de bande dessinée, bien sûr, aux couvertures et illustrations diverses pour des livres ou des magazines (principalement Le Petit Vingtième, Le Soir et Tintin), en passant par le moindre album à colorier, la plus anecdotique illustration pour une publicité ou une boîte de crayons. Les ouvrages sont très richement illustrés. De nombreuses images sont extraites des albums, parfois fortement agrandies ; le plus intéressant demeure les très nombreux dessins inédits en album. Il peut s’agir de cases de bande dessinée non reprises en album (la plupart des albums ont été retouchés maintes fois, Hergé cherchant à chaque fois à atteindre une plus grande efficacité dans le récit), de la quasi-totalité des dessins inédits cités plus haut ou de nombreux documents de travail. Ces derniers sont constitués essentiellement de croquis d’attitude jusqu’aux années 1950 puis, à partir de Coke en Stock (et du 6e volume de Chronologie d’une œuvre) de crayonnés de planches (puisqu’à partir de cette époque les crayonnés n’étaient plus encrés directement mais étaient reproduits au moyen de calque avant de fournir la base à la planche originale).
L’iconographie de cette collection est donc extraordinairement riche. Dans ce 5e volume de Chronologie d’une œuvre, nous voyons Hergé atteindre son âge classique. Sa méthode de travail se perfectionne. Son dessin atteint sa pleine maturité, les scénarios atteignent l’équilibre le plus juste entre action et humour, entre éducation et divertissement. Nous assistons au dessin de la nouvelle version du Sceptre d’Ottokar. Les originaux de la première version de cet album étant coincés à Paris à cause du conflit mondial, il fut entièrement redessiné avec la précieuse assistance d’E.P. Jacobs pour les costumes et les décors. Hergé conclut Les Sept Boules de cristal, laissé plusieurs mois dans l’attente, après la fin du Soir « volé » (comprendre : par les « collaborateurs ») à la fin de la Guerre, et poursuit avec Le Temple du Soleil, dans le tout nouveau Journal de Tintin.
Il envisage ensuite un Tintin dans la lune, sur un scénario de son ami Jacques van Melkebeke, avant de passer à la reprise de L’Or Noir, que l’invasion allemande avait laissé inachevé. Côté illustrations, nous découvrons les premières illustrations de la série Voir et Savoir (illustrations didactives consacrées à l’histoire des costumes, de la marine, de l’aviation, etc. ; les dessins techniques étaient confiés à E.P. Jacobs, puis à Jacques Martin et étaient accompagnés d’une illustration humoristique mettant en scène Tintin et Milou, de la main d’Hergé) ainsi que les travaux nombreux travaux effectués pour le Journal de Tintin : couvertures, en-têtes de rubriques, etc. On peut notamment voir de nombreux dessins humoristiques dessinés dans un style assez différent de celui employé pour les aventures de Tintin : très enlevé, il est plus proche du dessin de presse que du style auquel Hergé nous avait habitué. Chaque illustration est reproduite avec le plus grand soin et nous pouvons en admirer tous les détails.
En ce qui concerne les texte, Philippe Goddin effectue un travail de maniaque : la chronologie est suivie au jour le jour et rien ne nous est épargné : du nom de tous les collaborateurs (déjà nombreux à cette époque, environ cinq ou six personnes) au moindre relevé de compte que son éditeur fournissait à Hergé. On pourrait regretter (mais ce n’est peut-être pas l’objectif de cette Chronologie) un certain manque de prise de recul et très peu d’analyse critique. Les dessins ne sont que très rarement analysés, ce qui fait leur beauté et leur efficacité n’est pas du tout étudié.
Il faut bien noter également le principal défaut de cette collection : son prix élevé, même si celui-ci peut se justifier par l’ampleur de la tâche et la qualité de l’ensemble. Quoi qu’il en soit, nous avons la chance de disposer ainsi d’un document de tout premier ordre sur l’œuvre si riche de Hergé.
jeudi 10 mai 2012
Pour une (bonne) édition intégrale de l'oeuvre de Moebius
Moebius est largement reconnu comme un très grand dessinateur. Ses dessins atteignent des prix de plus en plus élevés dans les ventes d'art. Malheureusement, ses œuvres sont très mal éditées et cela ne semble pas s'améliorer.
Deux éditeurs, principalement, se partagent les droits de ses œuvres. Ils sont, de façon générale, connus pour le peu de respect qu'ils accordent à leur patrimoine.
Les Humanoïdes Associés disposaient il y a quelques années d'un catalogue fantastique : Francis Masse (L'Encyclopedie de Masse et On m'appelle l'Avalanche), Edmond Baudoin (Théâtre d'ombres et La Croisée, deux albums avec Frank) Jean-Claude Forest (Barbarella), Alberto Breccia (Le Coeur Révélateur, Dracula,L'Éternaute), Frédéric Boilet (3615 Code Alexia). Ils ont tout laissé tomber pour se concentrer sur la production de Jodorowski et de quelques épigones (avec, soyons honnêtes, quelques exceptions comme le Monsieur Jean de Dupuy et Berbérian). Ils éditent les œuvres de Moebius en changeant le format régulièrement (couleurs, noir et blanc, nouvelles couleurs, intégrales, plus intégrales, changement de taille ou de couvertures...). Une chose est constante : l'appareil critique est inexistant. Et les couvertures récentes, pour les recueils reproduisant les éditions nord-américaines, sont particulièrement laides.
J'ai déjà écrit le peu de considération que j'ai pour les efforts patrimoniaux de Casterman : irrespect du format original des albums dans leur collection prétendument de prestige, Écritures ; modifications fréquentes des couvertures, des paginations, voire des mises en page de nombreuses séries à succès, Corto Maltese en tête. Pour l'édition des œuvres de Moebius, elles n'ont rien fait de scandaleux mais se sont contentées du minimum syndical ; et la maquette des couvertures ne brille pas par son élégance...
Parmi les éditeurs actuels de Moebius, on peut également nommer Glénat, pour la remise à jour d'Arzak, et Stardom éditions pour les dernières œuvres, malheureusement éditées de manière trop confidentielle et déjà épuisées pour la plupart (40 jours dans le désert B, Inside Moebius, Le Chasseur déprime).
Bref, la situation actuelle n'est pas brillante.
L'œuvre de Moebius, complexe, proteiforme, publiée dans des supports très variés (Pilote, L'Écho des savanes, Métal Hurlant, À Suivre, BoDoï, etc.), dans des formats très divers (bande dessinée, couvertures de magasines, illustrations diverses, publicités, affiches, croquis préparatoires pour le cinéma, etc.), en perpétuelle évolution, mérite amplement d'être publiée intégralement et de façon structurée : dans l'ordre chronologique, avec un rappel du contexte des différentes publications et des explications sur les évolutions du style de l'auteur.
Dans cet ordre d'idée, les intégrales que Dupuis publie actuellement sont plutôt réussies : réédition intégrale, incluant les récits inédits en album et les dessins de couverture du magazine Spirou, introduction historique dans chaque volume, etc.
Ou, encore mieux, le modèle pourrait être La Chronologie d'une œuvre d'Hergé, sous la direction de Philippe Goddin. La recension quasiment exhaustive des oeuvres, même secondaires, le choix judicieux des illustrations, la beauté des images, notamment celles qui sont agrandies, le soin apporté à la présentation générale, l'élégance de la maquette, font de cette série un modèle du genre pour la publication de l'intégrale d'une œuvre d'un auteur de bande dessinée. Ces gros volumes sont malheureusement vendus à un prix prohibitif pour la grande majorité des lecteurs.
Quel que soit le modèle choisi, l'œuvre de Moebius mérite amplement d'être publiée de façon exhaustive, dans des intégrales respectant la chronologie et disposant de textes critiques suffisamment bien conçus pour replacer les différents travaux dans leur contexte. C'est pour l'instant très loin d'être le cas...
mercredi 9 mai 2012
Maurice Sendak est mort, les maximonstres sont en deuil
Maurice Sendak (1928-2012), illustrateur et auteur de livres pour enfants, vient de mourir à l'âge de 83 ans. Il était surtout connu pour Max et les Maximonstres (dont le titre original est Where the Wild Things Are), publié en 1963. Les dessins fins et expressifs de ce grand dessinateur, associés à une histoire drôle et subtile, ont fait de ce livre un des plus grands classiques de la littérature enfantine. L'auteur y joue avec beaucoup de finesse sur les fantasmes des enfants, leurs craintes et leur besoin de tendresse. L'ouvrage fut adapté au cinéma en 2009.
En plus de son très grand succès public, il était largement reconnu par ses pairs. On peut notamment lire dans MetaMaus une savoureuse bande dessinée réalisée à quatre mains par Art Spiegelman et Maurice Sendak dans laquelle ces deux auteurs se mettent en scène en train de discuter de leur art et de ce qu'il est possible raconter aux enfants...
mardi 8 mai 2012
Jean de l'ours, de Mattt Konture et Jacques Velay (2010)
Lorsque j'ai découvert, récemment, Jean de l'ours, cet album a attiré ma curiosité à plus d'un titre. Tout d'abord, cet album avait échappé à mon attention lors de sa publication, je ne l'ai découvert que deux ans après. Exceptionnellement pour Mattt Konture, il ne s'agit pas d'un récit autobiographique ; or, depuis le début des années 1990, il n'avait publié que des récits dans lesquels il se mettait en scène soit directement, soit sous la forme d'un de ses avatars (Ivan Morve, Galopu ou Mysteur Vrö). Enfin le scénario de cet album n'est pas de lui mais de Jacques Velay (que je ne connais mais qui semble avoir participé avec lui à des fanzines montpelliérains).
Cet album est assez surprenant... Il démarre avec un couple qui marche dans les superbes paysages de Lozère (magnifiquement rendus par le dessin de Mattt Konture, très en forme). La femme se fait enlever par un ours et le récit commence à délirer... La femme et l'homme connaîtront chacun quelques péripéties, fortement teintées de fantasmes pour aboutir à une chute originale et ouverte (l'album se clôt avec une "fin de l'épisode", une suite est-elle prévue ?).
La principale force de cet album atypique est le fantastique dessin de Mattt Konture. Celui-ci prend davantage ses aises que dans la plupart de ses comixtures auto-analytiques : les paysages sont superbes, les décors intérieurs sont très travaillés, chaque motif du décor donnant lieu à un travail de texture riche et spécifique, les personnages, en particulier les femmes, sont dessinés avec beaucoup de sensualité.
Un album original, dont le scénario peut surprendre, voire déranger, mais dont les dessins en font une œuvre superbe.
Mattt Konture a publié en 2011 une autre fiction, L'Abbé, que je n'ai pas trouvée en librairie. Quelqu'un l'a-t-il lue et peut-il me dire ce qu'il en a pensé ?
vendredi 4 mai 2012
Kitaro le repoussant, de Mizuki Shigeru (1965-1969)
Je viens de lire les trois premiers tomes de Kitaro le Repoussant (sur les douze que doit compter la série complète). Jusqu'à présent j'avais eu du mal à apprécier les oeuvres de Mizuki Shigeru, mais la lecture de cette série, d'ailleurs souvent considérée comme son chef-d'oeuvre, a fini par me convaincre du talent de ce grand mangaka. Kitaro est en effet une oeuvre originale et extrêmement attachante.
Autant le signaler tout de suite, cette série baigne dans l'imaginaire le plus total. Kitaro est le dernier représentant de la race des morts-vivants. Accompagné de son père, réduit à l'état d'un simple oeil, il consacre son existence à défendre les humains contre les méfaits des démons. Ceux-ci sont la plupart du temps issus du folkores japonais mais certaines créatures occidentales (je pense notamment au cas d'un vampire) sont également conviées à ce foisonnant délire. Toutes ces histoires courtes font donc intervenir des créatures aussi fantastiques qu'intrigantes. Kitaro les combat selon des règles qui semblent inventées au fur et à mesure par l'auteur, ce qui laisse à celui-ci un spectre potentiel d'invention quasiment sans limite. Et Mizuki Shigeru s'en donne à coeur joie. Chaque récit est un festival d'inventions délirantes, dans une douce atmosphère de poésie morbide...
Comme d'habitude chez cet auteur, les personnages sont dessinés de façon très schématique alors que les décors sont traités de manière hyper-réaliste. Cette caractéristique du dessin de Mizuki Shigeru m'avait un peu gêné dans d'autres ouvrages mais se fond ici naturellement dans ces récits où se mêlent un certain comique, certains personnages n'étant pas exempts de ridicules, et des atmosphères souvent angoissantes.