Après la mort de Jean Giraud / Moebius, je me suis replongé dans son œuvre. Je me suis notamment penché à nouveau sur les relations entre les Indiens et Blueberry dans la série éponyme. Cette relation est à la fois très révélatrice de l'évolution des deux auteurs de ce western et tout à fait intéressante au niveau du récit.
Dans la plupart de ses séries, Jean-Michel Charlier pouvait passer pour quelqu'un de plutôt conservateur. Dans ses séries militaires entre autres, Buck Danny et Tanguy et Laverdure, les héros étaient plutôt du côté de l'ordre établi et des pouvoirs en place. Dans Blueberry, probablement en grande partie sous l'influence de Jean Giraud, dessinateur de la série, d'une génération plus jeune que son scénariste, les positions du héros prirent une tournure beaucoup plus rebelle, notamment en ce qui concerne les relations avec les Indiens. Mais cette position allant à l'encontre de l'ordre établi s'est développée progressivement, au fil des albums. On peut distinguer trois étapes principales, correspondant aux trois cycles d'albums tournant autour des Indiens.
Dans le premier cycle des guerres indiennes (les cinq premiers albums de la série), Blueberry est un soldat globalement en ligne avec sa hiérarchie. Les responsabilités de la guerre sont partagées entre les bellicistes des deux camps mais le principal "méchant" est un Indien, Aigle Solitaire, dont la mort marque d'ailleurs la victoire finale de Blueberry et des partisans de la paix dans les deux camps.
Dans le cycle du cheval de fer, Blueberry reste un officier loyal. Mais cette fois-ci les principaux méchants sont des Blancs, le mercenaire Steelfingers et le sanguinaire général Allister (inspire par le général Custer de sinistre mémoire) ; les Indiens sont clairement désignés comme les victimes de ces individus et des bellicistes. Blueberry s'oppose frontalement à ses supérieurs en prenant la protection des Indiens et demande même à être relevé de ses fonctions, ce qui lui est refusé. Il reste cependant dans son rôle et se bat au milieu de ses collègues soldats.
Dans le troisième cycle indien (de Nez Cassé à La Tribu Fantôme), Blueberry franchit encore une étape dans son soutien aux Indiens : il est cette fois intégré à une tribu indienne qu'il cherche à défendre contre les abus des Blancs.
En trois cycles (et 12 albums) nous assistons donc à l'évolution de deux auteurs, en phase avec leur époque, des interrogations des années 1960 au parti-pris en faveur des peuples premiers dans les années 1980, en même temps qu'à l'évolution psychologique de leur personnage prenant de mieux en mieux conscience des abus des colons occidentaux.