mercredi 30 juin 2021

Les Fleurs de cimetière, d’Edmond Baudoin (2021)

Les Fleurs de cimetière est un livre bien intimidant par certains aspects : pavé de presque 300 pages en grand format, il regroupe les pages autobiographiques sur lesquelles Edmond Baudoin, le « parrain » de l’autobiographie dans la bande dessinée francophone, travaille depuis plusieurs années.

Baudoin a toujours eu un rapport ambigu à l’autobiographie. Dans l’un de ses premiers albums, Passe le temps, il racontait sa jeunesse à Villars-sur-Var, village près de Nice. Tout au long de son œuvre, il a évoqué ses proches, sa mère dans Éloge de la poussière, son grand-père dans Couma Acò, son frère Piero dans l’album éponyme. Plus récemment, il a publié de nombreux récits de ses voyages autour du monde, seul (Araucaria. Carnets du Chili) ou en duo, notamment avec Troubs (Viva la vida. Los sueños de Ciudad Juarez, Le Goût de la terre), avec son fils Hugues (Le Parfum des olives) ou d’autres complices. Il n’empêche que lorsqu’il abordait des sujets encore plus intimes, touchant à la création artistique ou aux relations amoureuses, il portait souvent un masque. Dans Le Portrait, réalisé avec l’aide de son amie Carol Vanni, et dans lequel il abordait la création artistique et la porosité de celle-ci avec la complicité amoureuse, il donnait au personnage principal du livre les traits de l’un de ses amis peintres, non les siens propres. Dans L’Arleri, livre somme sur les relations amoureuses tout au long de la vie, il redonnait au personnage principal, pourtant très largement son porte-parole, les traits d’un autre.

Dans Les Fleurs de cimetière, Baudoin a décidé cette fois d’aborder de façon plus directe les questions autobiographiques les plus intimes, notamment les relations avec les femmes de sa vie et avec les enfants qu’ils ont eus ensemble. Il conserve cependant quelques artefacts de fiction, principalement avec le personnage d’Aile, synthèse fictive de l’ensemble des femmes de sa vie, qui vient lui donner la réplique à de nombreuses reprises.

Il ne faut toutefois pas s’attendre à un récit chronologique en bande dessinée classique. Ce serait mal connaître Baudoin. Il s’est lancé en bande dessinée à près de 40 ans, en quasi autodidacte. Cette ignorance des codes du médium lui a permet d’inventer ses propres techniques, avec la plus grande liberté. Dans Les Fleurs de cimetière, il mélange donc pages de bande dessinée presque traditionnelles, longs pavés de texte, écrits à l’ordinateur ou au pinceau, avec de nombreuses ratures, extraits de carnets, portraits, dessins d'arbres en pleine page, il alterne pages en couleurs et d’autres en noir et blanc… Et l’enchaînement des idées n’est guère chronologique, à peine thématique. Baudoin se confie, suit librement le fil de ses idées, bifurque de façon souvent inattendue, change de sujet quand il touche un sujet trop sensible, y revient néanmoins quelques pages plus loin. L’ombre de Piero, frère préféré et « meilleur dessinateur du monde », aux dires de Baudoin lui-même, plage sur l’ensemble du livre. L’auteur aborde ses relations amoureuses de façon plus libre et directe que jamais auparavant. Baudoin a toujours eu une approche très libre de l’amour, et il ne s’en cache pas, sans crainte des bien-pensants ou d’un certain féminisme.

Un livre somme, qui ne ressemble à aucun autre ; une nouvelle preuve qu’à près de 80 ans, Baudoin peut encore nous surprendre.

lundi 28 juin 2021

Gallimard reprend les Éditions de Minuit

Les rapprochements dans le monde de l’édition ne sont pas rares. Mais celui qui vient d’être annoncé, entre Gallimard et les Éditions de Minuit, est très loin d’être anodin.

Gallimard, c’est l’héritier de la NRF fondée par André Gide et ses amis il y a plus d’un siècle. Il s’agit de l’éditeur au catalogue le plus prestigieux de l’édition française, et de très loin. Avec certaines collections exceptionnelles, La Pléiade bien entendu, meilleur catalogue de chefs-d’œuvre de la littérature mondiale en langue française, ou bien d’autres comme L’Imaginaire Gallimard, regroupant une multitude de titres souvent moins connus, mais toujours d’une folle inventivité.

Les Éditions de Minuit, c’est un double héritage de résistance et de grande exigence artistique. Fondées par le résistant Vercors pendant la Seconde guerre mondiale, elles ont ensuite été à la pointe de l’avant-garde littéraire et intellectuelle pendant des décennies, publiant de nombreuses œuvres phares du Nouveau Roman (Alain Robbe-Grillet, Claude Simon Marguerite Duras, Michel Butor ; on peut d’ailleurs noter que la plupart des autres romans majeurs du Nouveau Roman furent publiés chez Gallimard) et des sciences humaines (L’Anti Œdipe de Deleuze et Guattari). Elles firent connaître deux prix Nobel de littérature (Samuel Beckett et Claude Simon). Pendant de nombreuses années Jérôme Lindon, à leur tête à partir de 1948, et Alain Robbe-Grillet, alors directeur littéraire, considéraient qu’ils n’avaient pas besoin de donner une réponse rapide aux écrivains qui leur envoyaient leurs manuscrits : en effet, l’exigence artistique des Éditions de Minuit était telle qu’elles étaient les seules susceptibles d’accepter les livres qu’elles publiaient.

Les Éditions de Minuit étaient l’une des seules maisons littéraires prestigieuses à rester indépendante. L’actuelle présidente, Irène Lindon, âgée de 72 ans, fille de Jérôme Lindon, a décidé de confier l’entreprise au groupe Madrigall, maison mère de Gallimard, pour assurer l’avenir de la prestigieuse maison. Longue vit aux Éditions de Minuit !