Alain Robbe-Grillet (1922-2008) n'est plus vraiment un auteur à la mode. Le Nouveau Roman dans son ensemble, et les romans de Robbe-Grillet en particulier, n'ont plus l'aura médiatique et critique dont ils ont bénéficié notamment dans les années 1960 et 1970 (parfois davantage à l'étranger qu'en France, mais ceci est un autre sujet). Notre époque est probablement encline à mettre en avant des oeuvres à la construction plus simple et se rattachant directement à des témoignages vécus en lien avec certaines problématiques sociétales. La construction non linéaire, l'approche formaliste et le détachement des sujets sociétaux d'actualité éloignent très probablement les romans d'Alain Robbe-Grillet des goûts actuels. En outre, le goût du romancier pour la provocation et la teneur fantasmatique de certains de ses écrits l'éloignent du consensus politiquement correct actuel.
Si ses romans sont moins cités qu'il y a quelques décennies, ses films, eux, sont quasiment oubliés et invisibles. Ils avaient pourtant rassemblé des acteurs célèbres (Jean-Louis Trintignant à plusieurs reprises, Philippe Noiret, Marie-France Pisier, Arielle Dombasle...) et gagné quelques prix prestigieux. On peut d'ailleurs noter qu'Alain Robbe-Grillet fut très peu cité dans les nombreuses notices nécrologiques consacrées à Jean-Louis Trintignant il y a quelques mois. Celui-ci a pourtant tourné, avec beaucoup de talent, dans quatre films du romancier (Trans-Europe-Express, L'Homme qui ment, Glissements Progressifs du plaisir et Le Jeu avec le feu (l'acteur n'est pas crédité dans ce film, car il avait accepté de jouer gratuitement pour ne pas en plomber le budget)). C'est même grâce à sa superbe prestation dans L'Homme qui ment qu'il reçut le premier prix important de sa carrière, l'Ours d'argent du meilleur acteur au festival de Berlin de 1968.
Fort heureusement, ce relatif oubli n'a pas freiné Benoît Peeters (oui, le scénariste des Cités Obscures et l'exégète de Hergé ; celui-ci a bien d'autres cordes à son arc : il a commencé sa carrière avec un roman hommage à Claude Simon et au Nouveau Roman, Omnibus, et a écrit plusieurs biographies de grands hommes de lettres) qui vient de publier simultanément deux ouvrages consacrés à Alain Robbe-Grillet, qu'il a bien connu. Il s'agit d'une biographie, Robbe-Grillet. L’aventure du Nouveau Roman, et de la transcription d'entretiens datant de 2001, Réinventer le roman. Entretiens inédits.
Alain Robbe-Grillet avait déjà largement parlé de lui et évoqué son travail, notamment dans les trois volumes de sa géniale et paradoxale pseudo-autobiographie (Les Romanesques : Le Miroir qui revient (1985), Angélique ou l'Enchantement (1988) et Les Derniers Jours de Corinthe (1994)) ainsi que dans plusieurs recueils d'entretiens, fort riches et intéressants : Le Voyageur en 2001 et Préface à une vie d'écrivain en 2005. Benoît Peeters parvient néanmoins, avec ces deux nouveaux ouvrages, à apporter des éléments nouveaux.
Dans Robbe-Grillet. L’aventure du Nouveau Roman, l'approche biographique permet de replacer l'ensemble des oeuvres et des prises de position de l'écrivain dans un déroulé chronologique clair. Benoît Peeters apporte également des éclairages complémentaires à celui qu'Alain Robbe-Grillet a mis en avant tout au long de sa vie. C'est particulièrement intéressant, notamment, lorsqu'existent des incohérences (le plus souvent assumées) entre les romans de Robbe-Grillet et ses textes critiques contemporains. L'un des exemples les plus flagrants est celui de l'usage de la métaphore : Alain Robbe-Grillet a publié presque en même temps des articles dans lesquels il critiquait violemment son usage (repris plus tard dans Pour un nouveau roman) et un roman, La Jalousie, dans lequel les métaphores ont une place significative. L'analyse des débats théoriques sur le Nouveau Roman est également bien mise en lumière, avec notamment la tentative de prise de pouvoir intellectuel sur ce mouvement par Jean Ricardou dans les années 1970, puis la relative et progressive mise à l'écart de ce théoricien jusqu'a-boutiste par la majeure partie des écrivains rassemblés sous cette enseigne. On voit ainsi comment la formalisation de certains concepts par Jean Ricardou a dans un premier temps donné lieu à des débats intéressants au sein des nouveaux romanciers et de leurs critiques, avant que la sécheresse de plus en plus grande de ces concepts ne vienne à être considérée comme stérilisante ; Jean Ricardou semblait vouloir enfermer dans un cadre très contraint des écrivains que rassemblaient avant l'amour de la liberté et la quête de nouvelles formes.
Dans Réinventer le roman. Entretiens inédits, Benoît Peeters, qui connaissait bien les différents entretiens et textes critiques déjà publiés à l'époque par et sur Robbe-Grillet, cherche à pousser l'écrivain plus loin, à lui faire dire des choses nouvelles, à approfondir certains points clés de sa démarche. Et cette tentative est très souvent couronnée de succès ; même pour un lecteur assidu des oeuvres (littéraires et critiques) du romancier, cet ouvrage permet d'apporter de nouveaux éléments.
Ces deux ouvrages ont le grand mérite de remettre sur le devant de la scène un auteur majeur du 20ème siècle et devraient permettre aux néophytes de le découvrir simplement et aux amateurs d'aller plus loin dans leur connaissance de l'oeuvre si riche d'Alain Robbe-Grillet.