Je suis d'assez loin les péripéties qui secouent actuellement L'Association, connaissant mal tous les tenants et aboutissants de ces affaires, ignorant notamment presque tout des griefs personnels qui semblent jouer un grand rôle dans ces tristes mésaventures.
J'ai néanmoins noté que la récente assemblée générale de L'Association avait apparemment débouché sur une des moins mauvaises solutions possibles : la désignation, par un vote de cette assemblée générale, des 7 membres fondateurs de L'Association pour trouver une solution au micmac actuel (si j'ai bien compris...).
Cette idyllique solution de retour aux origines (la réunion des 7 fondateurs, qui ont pour la plupart quitté le navire, soit depuis près de 20 ans, dans le cas de Mokeït, soit depuis le milieu des années 2000, dans le cas de David B, Lewis Trondheim, Stanislas et Killofer), me semble malheureusement trompeuse. La situation a en effet énormément changé en 20 ans pour ces différents auteurs (Jean-Christophe Menu et Mattt Konture étant les deux autres fondateurs).
Il y a 20 ans, les 7 fondateurs de l'Association partageaient une communauté d'intérêt : tous, ils voulaient publier des bandes dessinées qui n'intéressaient pas les éditeurs de l'époque ; tous, ils avaient besoin, pour publier les œuvres qu'ils souhaitaient, d'une nouvelle structure d'édition. Ce fut L'Association.
20 ans après, tout a changé. Les éditeurs 'mainstream' se sont rendus compte du potentiel commercial de certains auteurs publiés chez L'Association. Ils ont attiré ces auteurs chez eux, créé des collections pour les accueillir (la plus célèbre étant Poisson pilote chez Dargaud), voire ont même offert à ces auteurs de diriger leur propre collection (Shampoing chez Delcourt pour Trondheim, Bayou chez Gallimard pour Sfar, ce dernier n'étant pas co-fondateur de L'Association mais ayant été un auteur phare de cette structure).
Bref, les co-fondateurs ayant quitté L'Association n'ont plus véritablement besoin de cette structure. Leur volonté d'en reprendre le contrôle peut être dû à un effet madeleine (leur rappelant leurs jeunes années, glorieuses et combatives), à un réflexe de réappropriation (pour empêcher Menu de conduire ce qu'ils considèrent encore comme leur 'bébé' sur des voies qu'ils n'approuvent pas) ou au désir d'entretenir une danseuse (s'offrir le luxe de pouvoir publier à L'Association des ouvrages inacceptables par un autre éditeur).
En revanche, Jean-Christophe Menu et Mattt Konture ont, à mon sens, encore besoin, au sens strict, de L'Association. D'une part parce que leurs œuvres à tous deux me semblent difficilement acceptables par un éditeur mainstream. D'autre part parce qu'elle permet à Menu d'éditer des ouvrages majeurs impubliables ailleurs, ou au moins impubliables dans les mêmes conditions. Je pense notamment aux trois volumes de L'Éprouvette, à Faire semblant, c'est mentir de Dominique Goblet (ce livre aurait peut-être été accepté par un éditeur plus classique, mais je ne pense pas qu'il aurait alors été imprimé avec un tel soin) ou à L de Benoît Jacques.
En d'autres termes, les objectifs que les différents co-fondateurs peuvent maintenant fixer à L'Association ne sont plus forcément convergents, leurs attentes vis-à-vis de cette structure ne sont plus les mêmes. Cela rendra forcément délicate la poursuite de cette belle aventure.
Les éditeurs alternatifs restent, malheureusement, de frêles esquifs. Faire naviguer ce type d'embarcations lorsque tous les membres de l'équipage veulent aller dans la même direction, c'est difficile ; lorsque les membres ont des objectifs divergents, le risque de tangage, au mieux, voire de naufrage, au pire, devient très grand.
Il ne reste qu'à espérer que L'Association saura surmonter ce gros temps et naviguera encore longtemps pour notre plus grand plaisir...