J'ai déjà parlé du Semble-Lune, le troisième album de Barbarella sur ce blog. À l'époque, c'était pour souligner les similarités entre le récit des aventures de l'aventurière spatiale et l'intrigue principale du film Inception, de Christopher Nolan. Je n'avais pas cherché à analyser l'album plus en détail ; pourtant il le mérite amplement. Jean-Claude Forest y construit en effet une intrigue riche et complexe, mêlant mondes parallèles, concurrences commerciales et artistiques, relations amoureuses, etc. Contrairement aux précédentes aventures de Barbarella, l'auteur nous livre cette fois-ci une histoire unique et cohérente, alors que le premier tome était un recueil de récits courts et que l'intrigue du deuxième partait encore dans de nombreuses directions.
Le trait de Forest a mûri. Depuis la publication des Colères du Mange-Minutes, le deuxième tome, huit ans plus tôt, Forest s'est consacré à d'autres bandes dessinée, Mystérieuse matin, midi et soir et Hypocrite. Il a acquis dans ces récits, et particulièrement avec Hypocrite, une grande liberté dans son trait. Dans le Semble Lune, il mêle cette vivacité dans le trait au réalisme propre aux aventures de Barbarella, qui est plus marqué que dans celles d' Hypocrite, délibérément plus fantaisistes. En bref, Jean-Claude Forest parvient à nous livrer une troisième aventure de Barbarella largement au niveau des deux précédentes, tout en s'en démarquant notablement, aussi bien dans le récit que dans le dessin.
Il y a quelques années, je m'étais intéressé aux différentes versions du premier tome de Barbarella, puis du second. Je m'étais alors arrêté car les deux tomes suivants n'avaient pas connu de la même façon de nombreuses versions publiées. (Même si le troisième tome, Le Semble-Lune, dont je souhaite parler aujourd’hui, fut réédité dans la collection 16/22 des éditions Dargaud).
J'ai appris depuis (grâce à Hillen6661, qui en parle notamment ici) que, même s'il n'existait qu'une version publiée, Jean-Claude Forest avait dessiné pas moins de trois versions, au moins partielles, de cet aventure avant la publication de l'album... Je me suis donc replongé dans le toujours précieux Art de Jean-Claude Forest pour en savoir plus. Après l'expérience du magazine Chouchou, trop tôt disparu, dans lequel il avait notamment publié Bébé Cyanure en 1964-1965, Jean-Claude Forest avait participé à la tentative de lancement d'un autre magazine, Bazar, en 1975, qu'il aurait dirigé (avec un financement des éditions Vaillant). Seul a vu le jour un n°0, jamais mis en vente. Forest avait dessiné pour ce magazine 10 pages grand format en couleurs (voir la première planche ci-dessous).
Après l'échec de Bazar, Jean-Claude Forest proposa son récit au quotidien France-Soir, dans lequel il avait notamment publié Hypocrite et le monstre du Loch Ness en 1971. Il dessina alors tout son récit sous forme de strips en noir et blanc (il redessina les 10 planches préparées pour Bazar et les fit précéder d'un prologue, chanté par un baladin de l'espace). Ci-dessous, voici les strips 3, 8 et 16.
Malheureusement France-Soir changea d'avis et le troisième Barbarella n'y fut finalement pas publié. Forest reprit ses strips, les retoucha et les fit mettre en couleurs. Les strips étant plus hauts dans la version finale, cela permit à Forest d'aérer un peu plus ses dessins, certains phylactères empiétant parfois sur le dessin des personnages dans la version de France-Soir. Mais la mise en couleurs d'un récit pensé pour le noir et blanc ne fut pas toujours très heureuse. L'album finalisé fut publié en 1977 aux éditions Pierre Horay. Ci-dessous, la deuxième planche de l'album, qui correspond peu ou prou à la première planche prévue pour Bazar présentée plus haut (et reprenant notamment le strip 3 dessiné pour France-Soir, plus haut également).
Ce n'était pas tout à fait fini, puisqu'en 1979 et 1980 Dargaud réédita cette aventure en deux parties dans la collection 16/22 au format intermédiaire : Le Semble Lune et Les Compagnons du Grand Art. Les modifications sont alors mineures, mais pas toujours heureuses : légers recadrages, déplacement de phylactères, quelques traits de pinceaux dans les décors...