Les grandes heures de la série Isabelle sont dues à la rencontre de trois fortes personnalités : Yvan Delporte, ancien rédacteur en chef du magazine Spirou, mis à la porte quelques années auparavant ; Will, dessinateur dont les collègues connaissaient le talent mais qui n’en montrait qu’une très faible part dans ses récits de Tif et Tondu dessinés en routine depuis des années ; André Franquin, dessinateur vedette des éditions Dupuis, dont la production amorçait une forte baisse sur le plan quantitatif et qui commençait à se lasser de Gaston Lagaffe comme il s’était lassé de Spirou dans les années 1960. Il fallut que ces trois amis se mettent autour d’une table pour créer une série apparemment enfantine, avec une liberté et une poésie très peu communes dans la bande dessinée de l’époque.
Pour être tout à fait exact, ces trois auteurs n’auteurs n’ont pas créé Isabelle ; elle avait déjà connu quelques aventures, dessinées par le même Will mais scénarisées par Yvan Delporte et Raymond Macherot. Ce dernier ayant été contraint d’arrêter sa collaboration, Will et Yvan Delport firent appel à leur ami André Franquin pour lui succéder. Bien leur en prit car il s’est alors créé une alchimie entre ces trois personnalités qui permit à chacun de donner le meilleur de lui-même. Yvan Delporte put ainsi mettre à profit son sens des dialogues et des bons mots (il en mit de nombreux dans la bouche d’un diamant bavard). André Franquin commença à développer ouvertement son goût pour le fantastique et les monstres (qu’il développa quelques années plus tard, notamment dans Les Idées Noires ou ses dessins de monstres) et fit bénéficier Will de son art de la composition et de la mise en scène (en effet, André Franquin dessinait un story-board détaillé, sur la base de scénarios coécrits par Yvan Delporte et lui et dialogués par Yvan Delporte). Enfin Will, aidé par les indications précises d’André Franquin put enfin (pour la première fois de sa carrière ?) donner libre cours à son grand talent. Son dessin est magnifique dans ces pages, qu’il représente la magnifique Calendula, les innombrables monstres gentils ou néfastes, les recoins de vieilles demeures ou les fonds marins ; son sens de la couleur apparaît au grand jour.
L'addition de ces talents a permis l'émergence de cinq albums atypiques et potéiques, charmants et déroutants, des Maléfices de l'Oncle Hermès à L'envoûtement du Népenthès. Un grand plaisir pour tous les âges...
Décidément il est toujours intéressant de vous lire. Petit mot aussi sur l'article consacré au Garage. Oui, la version noir et blanc, parce qu'elle a été pensée ainsi, est meilleure. Et non, tous les nostalgiques qui ont vécu cette période créative ne se rueront pas sur cet album luxueux. J'ai lu le Garage mois après mois, dans son jus et dans son époque. Mon éblouissement était contemporain de sa parution et la scansion, l'attente, faisait partie de l’œuvre. Cette bande a eu un tel impact sur moi qu'elle a instruit mon regard sur tout ce qui est image, dessin. Sans Moebius ma vie aurait été autre. (Elle aurait été autre aussi sans Flaubert, Céline, Velázquez... Ces quelques noms pour vous dire où, à tort ou à raison, je place cet immense artiste...) Bien à vous et merci pour ce blog impeccable...
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