Le festival de Cannes bat son plein. Comme tous les ans, la presse en parle longuement et quotidiennement. Le Monde, par exemple, y consacre plusieurs pages par jour.
Quel contraste avec le festival d’Angoulême ! Certes lorsque celui-ci se déroule, quelques journaux et magazines, de Libération à Beaux Arts magazine saisissent l’occasion pour sortir un hors-série consacré à la bande dessinée, mais c’est pour mieux se dédouaner de n’en parler quasiment pas le reste de l’année (même s’il faut bien saluer l’évolution très positive de Beaux Arts magazine dans son traitement de la bande dessinée depuis les années 1990). Le Monde y consacre au moins quelques pages, mais une seule fois, dans son supplément littéraire.
Pourquoi une telle différence de traitement ? Le cinéma et la bande dessinée, tous deux un peu plus que centenaires, tous deux longtemps considérés comme des divertissements populaires beaucoup plus que comme des expressions artistiques, ont des points en commun. Pourquoi une attention médiatique et une reconnaissance médiatique si différentes entre ces deux médias ? Le Monde ou Télérama chroniquent chaque semaine tous les films qui sortent en France alors qu’ils n’évoquent rapidement qu’un livre de bande dessinée, rarement deux. Tout « honnête homme » français, se prétendant un tant soit peu cultivé, connaît, au moins de nom, les réalisateurs les mieux reçus par la critique. Pour la bande dessinée, si Art Spiegelman est généralement connu du grand public cultivé, essayez de parler autour de vous de Chris Ware. Et ne parlons pas de Baudoin ou de Fabrice Neaud. Vous rencontrerez très probablement un silence poli.
Certes la bande dessinée francophone a mis du temps à s’extraire de son public enfantin (et masculin) ; au XXe siècle la bande dessinée francophone a commencé à produire de façon significative des œuvres notables destinées à un public adulte dans les années 1960, voire les années 1970 (mais les quotidiens publiaient depuis les années 1920 des strips destinés aux adultes, de Krazy Kat à Terry and the pirates en passant par Gasoline Alley et Polly and her pals). Mais cela fait des années que certains auteurs ont publié des œuvres qui, par la richesse des thèmes évoqués, leur complexité tant formelle que narrative, leur attention aux problèmes les plus contemporains et leurs qualités artistiques (de Jean-Claude Forest à Fabrice Neaud, de Frank King à Chris Ware), n’ont rien à envier aux plus grands films.
Non, décidément, je ne parviens pas à comprendre ce qui fait du festival de Cannes un événement qui occupe la Une des médias pendant toute sa durée alors que le festival d’Angoulême est relégué à quelques pages d’un supplément. En France, dans les années 1950, les critiques des Cahiers du cinéma (ceux-là mêmes qui, devenus réalisateurs, fondèrent plus tard la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard et François Truffaut, Éric Rohmer et Claude Chabrol, etc.) ont fortement contribué à la reconnaissance du cinéma, mettant en avant l’importance des réalisateurs, considérés comme les véritables « auteurs » des films, et n’hésitant jamais à comparer les films qu’ils admiraient aux plus grands chefs-d’œuvre de la littérature. Ils avaient notamment pour eux leur grand enthousiasme et leur grand talent de cinéastes, qu’ils ont amplement montré par la suite. Se pourrait-il que la bande dessinée continue à souffrir avant tout du manque de critiques talentueux et pertinents ?
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